Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas seulement une Loi Travail XXL que nous combattrons le 12 septembre, mais bien tout un monde qu’on cherche à nous imposer. La manifestation seule ne résoudra rien, car elle ne remettra pas en cause le système qui nous écrase. Bien entendu, il sera nécessaire de protester contre la casse du Code du Travail, mais il sera encore plus vital de se saisir de cette occasion pour assumer, au-delà d’une contestation, une affirmation féroce : celle d’une autre organisation de la société, débarrassée de ses tares hiérarchiques et de ses rapports de domination ; celle d’un projet politique profondément humain, laissant enfin toute leur place à la vie et à la liberté. Et cette affirmation devra être sans concession.
Sans concession, cela veut dire qu’elle devra excéder de très loin le cadre, tant temporel que spatial, imposé par la manifestation. Si c’est dans ce cadre que nous mesurerons d’abord l’ampleur de la convergence et l’unité entre les différentes forces de lutte, le mouvement social devra le dépasser. Il en va de notre devoir, que ce soit vis-à-vis de nos camarades en lutte en France métropolitaine, dans les collectivités d’outre-mer, et dans le monde ; il en va de notre devoir envers celles et ceux qui subissent, ou qui s’indignent sans toujours savoir quoi faire. Il nous faudra construire l’unité, sans quoi le mouvement social ne saurait prévaloir. Oui, nous prendrons la rue le 12 septembre. Mais pourquoi la rendre une fois le tour de manège accompli ?
Pour que la convergence ait un avenir, pour qu’elle s’inscrive au-delà de l’instant éphémère de la manifestation, il nous faudra l’entretenir sans cesse, en attiser le foyer partout et en toute heure. Alors, que faire ? Garder la rue, maintenir l’unité du mouvement social, inscrire ses forces dans le quotidien. Il faut que les bases militantes du mouvement social puissent échanger, partager leurs expériences, faire valoir leurs idées, inventer leurs projets et exprimer leurs interrogations. Il faut que la diversité des forces sociales s’exprime, et pour cela que chacun.e puisse participer à l’organisation de la contre-offensive sur le modèle de société à abattre, sur le monde à déposer. Ce qu’il nous faudra le 12 septembre, c’est créer une plateforme constructive ouverte, permanente et créatrice.
Si nous parvenons à mettre en place, partout où il y aura âme qui vive, des points de rencontre, d’information, de partage et d’organisation, alors notre monde se fera de lui-même. De tels rassemblements, qu’ils prennent la forme d’assemblées, de rassemblements, de comités, de barbecues, ou toute autre forme née de la volonté des personnes impliquées, deviendront une galaxie de points névralgiques du mouvement social. C’est là qu’émergeront les nouveaux groupes d’affinité, les nouveaux comités, les nouveaux collectifs. C’est là, aussi, que le mouvement social progressera, que les lieux communs seront renforcés, investis et même renouvelés. Alors, le fossé entre le pouvoir et la population finira de se creuser.
Dans le même temps, le mouvement social deviendra une évidence. Face au gouffre toujours grandissant, un monde naîtra. Le mouvement social, souvent réduit à son rôle d’opposition, deviendra inévitablement positif, c’est-à-dire créateur. Il sera créateur car les forces sociales viendront éclore et fleurir dans les foyers, aux coins des rues, sur les places publiques. Le pouvoir se trouvera assailli par une nuée de contre-pouvoirs, tous plus locaux les uns que les autres, et qui formeront un tissu solide et solidaire. Il ne s’agira plus alors de conquérir et d’imposer sa ligne, mais d’assurer la diversité des luttes, de ne pas l’entraver ; de construire ensemble en tout temps et en tout lieu par-delà nos clivages. Seule une telle union pourra décapiter le vieux monde.
Il n’y a pas de mode d’emploi pour construire cette union. Ni de recette magique. Nous ne pouvons, individuellement, qu’avancer des pistes. Nous pourrions rassembler collectifs et associations, groupes d’affinité et organisations alternatives, comités d’action et sections syndicales – puis décider ensemble d’unir nos revendications, de manière à éviter tout compromis et toute désagrégation du mouvement social. Car le plus grand risque qu’encoure le mouvement social actuellement, c’est que ses composantes se désagrègent progressivement au fil des compromis. Affaibli, privé progressivement de sa teneur révolutionnaire, le mouvement social s’écroulerait sur lui-même. Et le monde de demain avec lui.
Alors, le 12 septembre, ne lâchons pas la rue et portons la lutte partout. Allons chercher les camarades et les passant.e.s, les indigné.e.s et les curieux.ses. En deux mots : Organisons-nous ! S’organiser, c’est se rencontrer, échanger, informer et s’informer. C’est partager et discuter, entretenir les liens préexistants et en créer de nouveaux. C’est aller vers celles et ceux qui subissent péniblement et qui ne demandent peut-être qu’à faire bouger les choses. C’est faire entendre les luttes et les nourrir. S’organiser, c’est briser le silence et gronder à l’unisson ; c’est ancrer le mouvement social pour en libérer les forces. S’organiser n’a rien d’abstrait ni de stérile : l’organisation, c’est l’action ! Alors, maintenant plus que jamais, organisons-nous.
Le mouvement social n’est pas mort. Ses forces veillent et s’éveillent ; des cortèges aux comités, des discussions amicales aux petits gestes de solidarité, elles se propagent et s’affirment. Partout les luttes fleurissent et s’enracinent. La déferlante est en marche, et les jours de fête avec elle.