À l’appel de cinq syndicats, dont CGT, CFDT et FO, des chauffeurs de taxi ont roulé depuis les aéroports d’Orly et de Roissy le 13 janvier 2014, tôt le matin, pour converger vers la place Vauban, dans le VIIe arrondissement, en fin d’après-midi. D’autres manifestations ont eu lieu dans certaines villes comme Marseille, Lyon ou Montpellier.
Les revendications actuelles des taxis interviennent contre des mesures capitalistes ultralibérales. Ces dernières ont été prises par le précédent gouvernement de droite en juillet 2009 sous le nom trompeur de « loi de développement et de modernisation des services touristiques ». Une loi promulguée après l’échec du gouvernement de Sarkozy pour la libéralisation totale du « marché des transports par taxi » à cause des grèves des 30 janvier et 6 février 2008 des chauffeurs de taxi. Ces grèves ont été organisées après la remise du rapport d’Attali à Sarkozy le 23 janvier 2008 qui avait pour titre : Libération de la croissance française.
La loi de juillet 2009 d’un gouvernement de droite est bien évidemment appliquée maintenant par un gouvernement de gauche. Cette loi autorise des VTC ou des véhicules de tourisme avec chauffeur à faire du transport de personnes uniquement sur réservation. Il se trouve qu’après seulement trois ans d’existence elle est devenue une source de conflits entre les chauffeurs de taxi et ceux de VTC. Pourquoi ?
Plusieurs gros investisseurs sont arrivés sur le marché de transport de personnes en se servant de la loi de juillet 2009. Pour n’en citer que deux : Voitures jaunes, avec plus de 3 millions d’euros d’investissement, et Uber, filiale de Google, investissant quelque 260 millions de dollars sur ce marché à Paris, à New York, à Pékin et dans une quarantaine d’autres villes dans le monde. La banque Goldman Sachs investit également des capitaux chez Uber. Si les Voitures jaunes n’ont que des salariés smicards, Uber centralise les appels de clients et prélève des commissions exorbitantes sur des courses distribuées aux chauffeurs qui travaillent souvent sous le statut précaire d’auto-entrepreneur (encore un chef-d’œuvre de droite maintenu par la gauche !). Mis à part les nouveaux arrivants, une grosse société de taxis comme G7 a fondé une nouvelle filiale appelée G7 Events pour mettre aussi en circulation des VTC, en prétendant qu’ils sont destinés à une « clientèle haut de gamme » !
Le sacro-saint marché du transport de personnes n’a guère absorbé l’arrivée de plusieurs milliers de véhicules en si peu de temps. Chaque autorisation de VTC au prix de 100 euros délivrée par Atout France permet la mise en circulation de cinq véhicules, voire plus, car la police accepte la copie de la même autorisation en cas de contrôle ! Résultat : des chauffeurs de VTC se voient obligés de « racoler », surtout dans les gares et les aéroports pour pouvoir vivre de leur activité. Or les chauffeurs de taxi disent qu’ils « volent » leurs clients, eu égard à la baisse de leur chiffre. Celle-ci est une réalité. L’Insee donnait 1 427 euros de revenu moyen mensuel ou 1 135 euros de revenu médian mensuel pour un chauffeur de taxi en 2010. Ce chiffre doit être revu à la baisse constante depuis ces trois dernières années. Car, tout simplement, et contrairement à ce que disaient et disent encore « les marchés », la taille du gâteau du transport de personnes par taxi et VTC n’a pas crû, seulement les uns et les autres, les chauffeurs de taxi et de VTC, doivent manger le même en plus petites parts, d’où la paupérisation et la précarisation des deux, d’où, aussi, les conflits constatés entre eux.
Il y a aussi d’autres sources de conflit entre les taxis et les VTC. Un chauffeur de taxi parisien peut être un salarié, un locataire, un coopérant ou un artisan. Si il ou elle (il y a un millier de chauffeurs de taxi femmes sur une vingtaine de milliers à Paris) est salarié, locataire, coopérant ou artisan, il devra être engagé dans son travail au moins soixante heures par semaine pour arriver au revenu moyen calculé par l’Insee. Les salariés n’ont qu’un peu plus de 12 euros de salaire fixe par jour de travail, soit onze heures, plus une commission de 30 % sur le taximètre. Les locataires doivent faire autant d’heures (voire la totalité autorisée, pour tous les statuts, soit soixante-dix-sept heures par semaine) car les loueurs leur font payer trente jours de loyer par mois. Les coopérants ont des charges sur une partie de la licence, plus celles de la coopérative dans laquelle ils sont. Et les artisans remboursent sur dix à douze ans une licence extrêmement onéreuse : 230 000 euros pour Paris. Ils ont tous une réglementation assez sévère dont certains articles datent du début du siècle passé ! Une brigade de police spéciale taxi, qu’ils appellent « boers », est chargée de les contrôler et, en cas d’infraction, ils doivent passer à la commission de discipline des taxis pour sanction. Beaucoup de ces obligations n’existent pas pour les VTC, ce que les chauffeurs de taxi trouvent particulièrement injuste.
Le ministère de l’Intérieur a bien voulu recevoir une délégation de syndicats appelant au mouvement du 13 janvier 2014. Mais cela n’a rien donné, et les délégués ont tout de suite proposé une nouvelle date de manifestation pour le 10 février 2014. Une cinquantaine de chauffeurs de taxi ont alors décidé de marcher vers le palais de Matignon, mais avant même qu’ils quittent le périmètre de la place, les CRS les ont aspergés de gaz lacrymogène. Cet acte plus ou moins désespéré et les insinuations des bureaucrates du ministère de l’Intérieur selon lesquelles les manifestants n’étaient pas assez nombreux pour que leurs revendications soient prises en compte, pourraient servir un mouvement plus large sans toutefois se tromper de cibles. Ce ne sont pas les chauffeurs de VTC qui devraient être incriminés. Il s’agit du rouleau compresseur du capitalisme ultralibéral qui passe sur les uns et les autres, il s’agit des gouvernements de droite et de gauche qui le fabriquent et le font marcher.
Nader Teyf,
Groupe Henry-Poulaille de la Fédération anarchiste