Barbarie
C’est le principal terme retenu par la classe politique pour désigner l’attaque de Charlie Hebdo. François Hollande, Martine Aubry, Nicolas Sarkozy, Pierre Laurent, etc. reprennent le terme, et le soulignent. La presse suit : de 20 minutes qui titre seulement « Barbarie » en blanc sur fond noir, aux Echos, ou à L’équipe, qui prend pour une : « Barbarie 12 - Liberté 0 ». Nous y voilà, ce qui est opposée à la barbarie, c’est la société libérale, la liberté d’expression, voire les libertés démocratiques au sens large (en choeur, le Figaro, L’humanité, Le Parisien, Ouest France, etc. retiennent cet axe). Or, ce terme de barbarie est tout sauf neutre. Le barbare, c’est d’abord, selon l’étymologie grecque, celui dont on ne comprend pas la langue, qui parle en charabias et borborygmes « bar-bar ». C’est ensuite, par le latin, celui dont les invasion nous menacent. C’est enfin, plus spécifiquement en français, le pays des berbères, et au sens large l’ancien nom du Maghreb actuel (Barbarie, côte des Barbaresques). Il y a une connotation raciste, consciente ou non, dans le choix de ce terme de barbarie pour désigner la cruauté de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo.
Unité nationale
Ce racisme encore implicite se traduit par la mise en avant par les hommes politiques d’un nationalisme assumé.
Hollande : « Nous sommes une nation unie »
S’il est plus banal que celui de "barbare", le terme de "nation" n’est pas moins neutre : venu du latin natio, qui désigne les petits d’une même portée, et signifie aussi « groupe humain de la même origine », le terme de nation, et ses diverses définitions idéologiques renvoient bien à des origines, un territoire, et finalement un État. Cette idée de nation unie est exprimée par l’idée de "faire bloc" par Juppé ou Lang. De Hollande à Sarkozy ou Le Pen, chacun en appelle à l’unité nationale et voit dans l’attaque de Charlie Hebdo une attaque contre la mère patrie, la France. Il n’en faut pas plus au Front National pour s’approprier cet attentat contre un journal qu’il détestait et contre lequel il avait engagé une série de procédures judiciaires [1]. Sans même respecter un peu les personnes touchées et leurs proches, Jean-Marie Le Pen ou Louis Alliot se sont empressés de s’engouffrer dans la brèche, ce dernier n’hésitant pas à déclarer "les faits qui viennent de se dérouler nous donnent raison". Il n’y a rien de tels que les morts pour se faire des amis. Revoici le temps des jeux sinistres de la récupération, Le Pen père s’efforçant de faire l’amalgame entre immigration et islamisme, tandis que Le Pen fille s’emploie à utiliser l’émotion pour essayer à nouveau de revenir sur l’abolition de la peine de mort. Plus grave, il y a une large complaisance médiatique à relayer ces propos sans critique, ou à donner la parole à des éditorialistes islamophobes au lendemain du drame.
Guerre contre le terrorisme
Ainsi Le Monde reprend-il la comparaison de Zemmour avec le 11 septembre, ce dernier, toujours aussi doué pour les amalgames, n’hésitant pas à affirmer que « la guerre est revenue » mais contre « des ennemis intérieurs », « la dernière fois, c’était en Algérie ». Cette union sacrée a bien pour corrélat la guerre, ainsi que l’affirment des élus UMP qui parlent d’ « état de guerre », ou qu’on le lit dans Le Point et Le Figaro, dans une version post-coloniale. Les mots « soldats », « assassins », ou « kalachnikov » sont bien vite associés aux éléments de discours médiatique habituel du type « attentat », « terroriste », « islamiste », qui sont abondamment présents dans les diverses déclarations, avec un appel à la traduction concrète et immédiate sous la forme de « mesures contre le terrorisme ». Ce terme de « terrorisme » a lui-même une histoire qui remonte à la condamnation de la Terreur par les contre-révolutionnaires, puis, plus spécifiquement, à la discréditation des attaques contre l’État, en Irlande ou en Russie. En pratique, on le comprend bien vite : concrètement, les premières victimes de cette terreur, ce sont les personnes racialisées, en particulier dans les quartiers populaires de région parisienne, où la pression policière s’est immédiatement accrue, conformément à la stratégie du choc (le relèvement d’échelon touche en effet principalement les banlieues, les zones dites sensibles). Cette attaque contre Charlie Hebdo sert en outre de prétexte à un discours usé sur la nécessité de la sévérité pénale (voire la peine de mort), et le réarmement de la police... comme si elle avait été désarmée : tout se passe comme si au moment de crier « nous sommes Charlie », plus personne ne se souvenait d’avoir entendu « nous sommes Rémi ». Le vocabulaire guerrier est constamment présent dans les propos médiatisés, ce qui n’est effectivement pas sans rappeler la teneur des propos tenus aux États-Unis lors de la War on Terrorism de l’administration Bush, qui s’est effectivement traduite non seulement par des opérations militaires spectaculaires, mais aussi par un renforcement du contrôle intérieur, en particulier contre les populations racisées.
Finalement, dans l’ensemble des grands médias et des principaux partis politiques, guerre contre le terrorisme ou union sacrée contre la barbarie, tous les éléments de discours sont en place pour renforcer les peurs et les tensions racistes. Le deuil a bon dos : les larmes de crocodile ont bien vite séché, chacun-e s’emploie ouvertement désormais à faire de Charlie Hebdo un symbole pour renforcer son parti.
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(Revue de presse réalisée par R.)