En réaction aux élections présidentielles qui n’offrent qu’un horizon répressif, c’est un mouvement de contestation qui est en train de naître, riche en potientialités et dont nous ne saurions deviner tous les aspects pour l’instant. Le 13 avril la vieille Sorbonne a été spontanément et sauvagement occupée par une génération qui s’est tout de suite retrouvée dans et par la révolte. Bien que le bâtiment ait été récupéré par la police, ce n’est pas la fin, mais la mise en branle d’un mouvement, d’une réelle dynamique.
Comme cela commence à se comprendre et à se dire, elle dépasse largement les cadres des mobilisations habituelles. Déjà, alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire, l’occupation ne s’est pas faite sur une base étudiante. Que l’on parle ici des forces initiales de l’occupation, des pratiques, de la composition des AG, de la rareté voir de l’absence de revendication, toutes ces choses nous montrent que c’est déjà un mouvement large et surtout, qu’il tend vers son propre élargissement. Les centaines de personnes d’horizons variés qui se sont retrouvées à la première AG de l’occupation se sont vues emportées dans leur propre conflictualité, instantanément propulsées dans des enjeux de luttes concrets, loin des logiques particularistes et attentistes, des petites boutiques des luttes habituelles, partidaires, syndicales ou tout simplement bourgeoises et conservatrices. Ça, la chute de la Sorbonne, qui porte encore les magnifiques traces de son occupation, ne pourra pas l’enterrer aussi facilement. Déjà, on voit que dans les petits mouvements annexes qui ont, de près ou de loin, rapport à l’occupation, le nombre de participants qui cherchent l’amplification de la situation grossit. Les AG sont pleines, les espoirs sont tendus, les magouilles politiques ne passent plus, et cette énergie explosera, à un moment ou à un autre, si nous allons dans ce sens.
C’est pour cela qu’il faut à tout prix se rendre compte de l’étendue potentielle de ce rapport de force et de la puissance qui en découle, afin de réaliser qu’il faut rapidement jeter toutes nos forces à cet endroit pour conserver vivace cette dynamique, et l’amplifier encore et encore.
Nous avons tous été surpris par notre puissance neuve, et elle a largement surpris les autorités, ce qui continue d’ouvrir dès à présent une myriade de brêches et de possibilités conflictuelles.
L’occupation de la Sorbonne est finie, mais ce ne sont que des murs et les prochaines sont dans toutes les têtes. Alors ne nous laissons pas enfermer par la peur, arme principale de la police. Seule la confiance inspirée par la force collective peut y remédier. Ne nous laissons pas enfermer par la présomption des limites individuelles, par la place des angoisses particulières, car personne ne peut soupçonner combien ses propres forces peuvent être démultipliées par un mouvement. Un horizon sans concessions nous transformera tous !
Ne nous laissons pas enfermer par les chantages judiciaires et répressifs qui isolent, distinguent, trient, dissocient : une solidarité inconditionnelle avec tous les actes a été votée durant l’AG d’occupation de la Sorbonne, et c’est une telle solidarité qu’il faut étendre dans le temps face aux mécanismes répressifs habituels.
Faisons confiance aux liens que nous allons éprouver et construire en combattant de nous-mêmes, sauvagement et dans tous les sens, les autorités et les institutions. Ne nous laissons pas enfermer par des revendications spécifiques et particularisantes qu’essayent d’amener les partis et syndicats, surpris par la vivacité de l’occupation de la Sorbonne.
En effet, alors que le NPA, l’UNEF et la FI se mettent en branle dans les facs pour nous faire croire que le mouvement d’occupation de facs est un mouvement bassement étudiant, et que ce qui se joue c’est l’organisation d’un « troisième tour social » sous leur houlette, défions leurs mots d’ordre en partant du point auquel notre révolte est actuellement ailleurs, plus autonome, spontanée, sauvage, car plus large et non institutionnalisée.
La massification est une arnaque
Le point auquel les partis et syndicats sont à côté de la plaque n’a justement jamais été aussi saillant. Avec leurs lorgnettes institutionnelles, ils toisent les jeunes révoltés en les invitant à se « politiser », c’est-à-dire, pour eux, à rejoindre les rangs et revendications de leurs traditionnelles structures lénifiantes. Ils voudraient nous faire croire que l’aboutissement d’une telle occupation serait d’être organisés par eux. Nous sommes pourtant tellement plus vastes, plus vifs et plus intelligents, prêts à nous organiser autrement, depuis le mouvement et non pas depuis leurs anciennes rengaines. On va entendre parler de « massification » à toutes les sauces et dans toutes les tribunes tant qu’on ne les aura pas balayées - massifier, c’est-à-dire prêcher : apporter la bonne conscience organisationnelle aux révoltés non encartés, en roue libre, pas-dans-les-clous, surprenants et autrement plus imaginatifs. C’est dès à présent que l’on peut refuser ces dynamiques là qui toujours rabaissent les perspectives et enferment les pratiques. Durant l’AG de Nanterre qui faisait suite à celle de la Sorbonne le lendemain de la fin de l’occupation, les mégaphones autoritaires du NPA et de l’UNEF ont bien montré, après avoir instauré de force une tribune alors que l’AG avait voté contre, que leurs seuls objectifs étaient de parvenir à amener les participants à l’AG à se retrouver pour dilapider leurs forces, leurs temps et leurs inventivités en tractage auprès d’étudiants (voilà la massification évangéliste) et non pas pour réfléchir aux suites concrètes de la lutte.
Une nouvelle autonomie pourrait nous permettre de comprendre, enfin, où était passé l’héritage révolutionnaire de 1968.
Il reste encore de l’espoir dans les cœurs, et il reste encore des pavés à Paris !
Contre la massification, vive la révolution sans partis ni syndicats !
qui n’attendront pas leur « 3e tour social »