Ça s’enjaille à Versailles

Samedi 7 janvier, plus de 500 teufeurs remontaient la plus grande artère de Versailles, juste devant le Château, derrière six camions de son. La semaine précédente, des manifestations dans toute la France avaient rassemblé 10 000 personnes. On a été voir un peu ce qui se passait de ce côté de la fête, et on a rencontré quelques uns de ces ravers.

Qu’est-ce que vous venez faire à Versailles ? Pas vraiment une ville de teufeurs non ?

Ouais, en effet. En fait, si on est là, c’est en réponse à une free party qui a dégénéré au nouvel an 2010, à Mesnil le Roy, dans les Yvelines. On s’est pris une immense amende sur la gueule, 191 000 euros. C’est le tribunal de Versailles qui a décidé de l’amende, du coup on répond en venant ici.

Que s’est-il passé ce 31 décembre 2010 ?

Y’avait un technival à Mesnil le Roy, dans une ancienne champignonnière, une sorte de cave qui a servi pendant longtemps à la culture des champignons. Bien sur y avait pas d’autorisation. Y’a eu plusieurs problèmes. Déjà, un puits d’aération était bouché, donc le taux de monoxyde de carbone a augmenté super vite. Les pompiers sont arrivés vers 4h pour mettre en place une soufflerie, mais ils l’ont montée à l’envers ! Quand ils s’en sont rendu compte, les flics ont simplement décidé d’évacuer tout le monde. C’était pas complètement absurde comme décision, c’était quand même craignos. Sauf que, trouvant qu’on sortait pas assez vite, ils ont d’abord empêcher les gens qui étaient déjà dehors de rentrer pour récupérer leur matos. Ils ont ensuite voulu accélérer le mouvement : ils ont tiré au flashball, sorti les gaz lacrymos, c’était hyper violent. Un mec juste après m’a dit « Je viens de quitter la guerre », les flics étaient déchaînés. Ils ont blessés plus de 100 personnes, un gars a reçu 3 décharges de taser, une fille a été complètement défigurée par les flashballs. L’autre problème est venu par la suite. Cette champignonnière, elle a servi pendant la guerre froide de centre d’écoute et de poste de commandement pour l’OTAN. Du coup ils avaient entreposés leurs chars, qui trainent toujours là bas. Ces chars sont complètement abandonnés, y’a plein de graffs dessus depuis longtemps. Sauf qu’on s’est pris cette énorme amende pour « dégradation de biens publics » ; selon eux, on aurait taggé les chars à ce moment-là. Bref, en gros on se prend une amende pour des graffs qui étaient déjà présents au moment où on est arrivé.

C’est la deuxième manif en deux semaines, ça fait longtemps qu’on avait pas vu ça, non ?

En fait, la répression qui s’abat sur nous depuis plusieurs années avait fini par verrouiller véritablement le mouvement. Y’a une cellule des RG qui a été crée en 2011 pour ficher et contrôler les organisateurs des free, y’a eu énormément de saisies de matos injustifiées. Les différents crews (hardcore, techno,…) communiquaient presque plus entre eux, ils s’organisaient plus ensemble. Mais là y’a un véritable renouveau avec la manif’ nationale du 31 janvier, on se remet à se coordonner nationalement, les liens se recréent, on fait des choses ensemble, bref, ça reprend carrément de l’ampleur.

C’est quoi pour toi une free ?

Organiser une free, c’est un acte avant tout politique. À la base si ça a commencé, c’est parce qu’on a pas envie de faire la fête dans des boîtes de nuit, on a pas envie d’être parqués, soumis aux lois capitalistes qui nous disent combien on doit payer notre entrée, combien faut lâcher pour les boissons. Ce cadre fermé, ça nous gave. Nous ce qu’on revendique, c’est la liberté d’occuper des espaces, d’y faire des teufs comme on l’entend, d’y expérimenter ce qu’on veut. Dans les free, c’est là que les gens lâchent les barrières imposées, qu’ils créent leur propre vérité. Là quand je regarde autour de moi, je trouve ça putain de beau, ces gens qui parlent, qui se marrent, qui dansent et qui partagent.

Et comment allez-vous vous démerder avec cette amende ?

Pour nous ce qui compte c’est de continuer. De répondre coup pour coup. Comme tu vois : 191 000 euros d’amende et on est toujours là. On a bloqué les périfs de Rennes et de Paris et on recommencera. Nous notre truc c’est pas la légalité, mais on voudrait bien au moins qu’ils respectent leurs propre loi, qu’ils arrêtent avec leurs mesures d’exception contre le mouvement techno. En vrai, on a essayé de parler avec les politiques mais ils nous ont fait des promesses ridicules qu’ils n’ont même pas tenu. Genre les flics saisissent le matos si il y a plus de 500 personnes à la teuf. Alors que pour les autres mouvements musicaux, le seuil est fixé à 1500. De toutes manières les flics ont bien compris qu’on avait pas envie de se laisser institutionnaliser, c’est ça qui les fait baliser. Rien n’arrête un peuple qui danse.

Publié sur Lundi Matin

Mots-clefs : techno
Localisation : Versailles

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