Après cinq semaines de prison, la version policière anéantie

Compte-rendu d’une comparution au tribunal de Bobigny suite aux émeutes de juin.

Tribunal de Bobigny, vendredi 4 août, chambre 17.

H., agent de police, s’avance à la barre :

Je confirme à Chénay-Gagny la présence des trois prévenus le 1er juillet. Je les connais bien.

Les trois jeunes de 19 à 20 ans, ainsi désignés, viennent de passer cinq semaines en détention provisoire. Leur procès pour participation aux émeutes, violences aggravées, feux de poubelles et lancers de mortiers sur les forces de l’ordre vient de commencer avec la lecture, par le président du tribunal, du récit policier rédigé par H. et ses collègues ; une version policière notant à la minute près leur longue surveillance de cette nuit de révolte suite à l’assassinat de Nahel par un policier à Nanterre le 27 juin.

Les trois prévenus ne reconnaissent pas les faits et déjà lors de leur défèrement, début juillet, ils voulaient passer en Comparution Immédiate mais le juge avait refusé, au motif que la plaidoirie serait trop longue. "On n’a pas le temps" avait-il asséné sans honte aux trois avocat.es qui les représentaient. Et d’envoyer les trois jeunes en prison préventive malgré les garanties de représentation ; une justice expéditive qui ressemblait fort à la réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique » préconisée par la circulaire Dupont-Moretti du 30 juin.
Pour le tribunal, ce 4 août, l’affaire est entendue et la culpabilité des jeunes probante. La lecture par le président, du dossier à charge, enchante la procureure : "Il y a eu énormément de procédures sans suite. Là, c’est particulier : la situation est claire du fait d’une surveillance d’une heure ; les actions sont décrites ; les tenues vestimentaires identifiées (…) Là, il se trouve que les agents interpellateurs connaissent les prévenus, notamment leurs casiers". La vigilance des policiers a même pu confondre un "coordinateur" qui est sur "toutes les scènes" et qui donne "des instructions" pour les lancers de mortiers. "Ces messieurs ne sont pas les représentants du maximum qu’on ait pu voir (…) mais son coordinateur a déjà été condamné.", ajoute la procureure qui peut donc entrer en voie de condamnation : "12 mois aménageables" et "10 mois de sursis probatoire" pour le plus jeune des trois. "Quand on est reconnu par trois fonctionnaires, il n’y a aucun doute" sur la culpabilité avait claironné l’avocate de la partie civile du flic qui demandait plusieurs centaines d’euros pour préjudice moral.

Dans ce quartier du Chénay-Gagny, là où les flics repèrent plusieurs groupes très mobiles « d’émeutiers », dans une obscurité totale, eux-mêmes en cache pour surveiller voire se protéger, H. et ses collègues ne vont appréhender que ceux qu’ils contrôlent en permanence et connaissent par leur prénom.

Il a fallu deux longues plaidoiries des avocates de la défense pour déconstruire le récit policier. "Sur les 90 pages de la procédure, deux phrases seulement d’éléments à charge" contredites par l’expertise d’une vidéosurveillance et l’énoncé quelque peu imprécis du PV d’interpellation : "Ils (les flics) observent des individus qui préparent des cocktails (…) on peut reconnaître dans l’obscurité un insigne", un logo sur une veste.

Pendant leur garde à vue, les trois jeunes n’auront été auditionnés qu’une seule fois. Pour chacun, "une audition courte " ; comprendre ils nient la version policière donc ils mentent.

La commission rogatoire qui est venue justifier le renvoi et donc la mise en détention préventive a été significative des intentions du tribunal : "pas d’investigation, pas d’audition". Deux témoignages à décharge n’auront pas été pris en compte car taxés de "subjectifs". Les éléments à décharge ne sont pas présentés comme tels. A. est interpellé au pied de son immeuble accroupi, il est en train d’envoyer un texto. N. est interpellé dans une voiture, endormi, très loin des feux de poubelle et des lancers de mortiers. L. le "coordinateur" n’est pas du tout habillé comme le montrent les photos ou la vidéo-surveillance. Tant pis, la narration policière inventera une histoire : "L. est rentré chez lui. Il a changé de vêtements et il a pris une douche (…) Il sent très fort le gel douche". Une des avocates détaille avec snapchat le fait qu’il ne s’est pas changé et qu’il habite à Champs-Sur-Marne… Elle en profite pour énoncer la longue liste des faux en écriture publique produits par des policiers : Aulnay en 2010, Marseille en 2017, Clamart en 2018, Paris 17è en 2020, Suresnes en 2021…

Les deux avocates citent également la circulaire Dupont-Moretti. Elles dénoncent ainsi l’attitude du Ministère public et cette procédure où "les paroles des prévenus ne sont pas entendues" et "leur vie réduite à leur casier judiciaire". L’une d’elle cite l’article 6 de la CDEH et enjoint la cour d’être courageuse en prononçant la relaxe !

Les deux avocates osent préciser, de surcroît, "qu’un policier peut se tromper ou même mentir... qu’en l’occurrence leur subjectivité n’est pas moins en cause que celle des témoins à décharge" dont il n’a pas été fait grand cas, que les magistrats ne sauraient se contenter d’une procédure rapide ou se plier à la politique du chiffre.

Il est évident que les trois prévenus, contrôlés en permanence, sont dans le viseur du comico de Gagny... H. et ses collègues avaient une occasion toute trouvée de les incriminer.

A. N. et L. n’ont jamais admis les faits. Ce qui d’ailleurs a le don d’agacer le tribunal et la procureure qui le reprend dans ses réquisitions : "ils nient tout".
Leur attitude face à la police et au tribunal est constante : refus de collaborer. Pas des "militants", peut-être, mais aguerris aux rencontres quasi quotidiennes avec la police ou la justice. Ils n’essaient même pas de contenter le juge qui aimerait bien un petit début de collaboration, un petit début d’acceptation des faits, un signe qu’ils pourraient regretter. Non, rien. Après les interpellations, les comparutions, les interrogatoires, les cinq semaines d’incarcération, rien, ils ne collaborent pas. Et sans aucun doute cette attitude ferme de leur part énerve. C’est aussi la possibilité de plaider la relaxe tant ils n’ont reconnu aucun des éléments évoqués pour les inculper. Une belle leçon de courage et de noble comportement face à la justice : ne rien reconnaître, ne pas mettre un doigt dans l’engrenage de la collaboration. De toutes façons, ce n’est pas le fond de la question. Eux trois l’ont parfaitement compris et le mettent en pratique, déstabilisant la machine judiciaire. Merci à eux de cette leçon magistrale.

Immense soulagement dans la salle à l’énoncé du verdict : RELAXE GÉNÉRALE ! Mais A., N. et L. auront cependant passé cinq semaines à Fleury, en détention préventive.

Parce qu’une révolte se mate aussi dans les tribunaux. Pas de justice, pas de paix !

Des participant.es à la Coordination contre la répression et les violences policières Paris-IDF

Localisation : Bobigny

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