Antispécisme : des dérives néo-colonialistes au détriment des peuples autochtones

Un premier article portait sur le sexisme au sein de la lutte vegane, en s’appuyant sur les exemples de PETA et de DxE France qui font usage du corps des femmes pour promouvoir leurs idées et leurs produits dérivés. Mais l’antispécisme connaît également des dérives néocolonialistes au détriment des peuples autochtones.

Les luttes antiracistes et anticoloniales ont permis la manifestation de différents mouvements d’émancipation des peuples autochtones. Pour eux existe un rapport à la faune et à la flore très différent du monde capitaliste. Parallèlement, l’affirmation de nouveaux combats, écologiste et antispéciste, permet d’appréhender sous un jour nouveau les us et coutumes de ces minorités. Ainsi, le lien avec l’animal n’est pas seulement physique (se nourrir), mais également symbolique et social : le passage de l’enfant à l’adulte, la relation individu-communauté, le lien intrafamilial, etc.

Aussi, des relations conflictuelles se font jour entre activistes antispécistes et autochtones, notamment du fait de la méconnaissance — pour ne pas dire la condescendance — des premiers concernant l’histoire de communautés pluricentenaires. En effet, certains peuples ont un rapport qu’on pourrait qualifier d’antispéciste, dans le sens où les animaux et les humains sont vus comme égaux, mais sans être vegans puisqu’ils consomment des produits issus des animaux pour se nourrir, s’habiller, se chauffer, etc.

La chasse à la baleine : massacre barbare vs activité rituelle et de subsistance

En 2017, Paul Watson, fondateur de l’ONG Sea Shepherd luttant notamment contre la chasse à la baleine, lance une campagne médiatique violente contre un Inuit de 16 ans, Chris Apassingok, vivant sur l’île Saint-Laurent située entre l’Alaska et la Russie. Celui-ci a fait la une des médias locaux pour avoir harponné une baleine boréale, mesurant 17 mètres et âgée de 200 ans.

Selon Paul Watson, l’attitude différentialiste selon laquelle les natifs des régions polaires auraient un droit spécifique à tuer des baleines est une excuse « minable » : tuer une baleine est un meurtre, la culture ou les traditions n’étant pas un passe-droit. Paul Watson réitère ses critiques, en 2018, en estimant que certaines communautés n’ont d’indigènes que le nom, car certains peuples ont été, depuis longtemps, massacrés, sédentarisés ou assimilés par l’Homme blanc colonisateur.

Le harcèlement médiatique que subit l’adolescent inuit — il doit même quitter son école — jette la communauté dans la stupeur, qui se sent blessée et dévalorisée. En effet, tuer une baleine a une considération économique (nourrir le village, car les produits de consommation sont chers et que le village vit parfois de l’aide alimentaire), mais également coutumière : le passage à l’âge adulte, l’intégration de l’individu à la communauté avec ses droits et ses devoirs.

En outre, la chasse de subsistance a toujours été autorisée par les instances internationales, au titre de la sécurité alimentaire et comme activité rituelle : la chasse est à la fois une célébration de l’animal et la démonstration de la vitalité sociale et culturelle de la communauté. Nombre de croyances et pratiques religieuses y sont associées. Tout comme le rôle des femmes. Ainsi, la tradition veut que la femme du chef soit la première à découper les morceaux les plus nobles, et de les partager entre tous.

Fête annuelle de la viande de chien : abattoir à ciel ouvert vs résistance culturelle

En Chine, on estime entre 10 et 20 millions de chiens tués annuellement pour la consommation locale. Il existe même une fête annuelle du litchi et de la viande de chien, qui a lieu à Yulin, dans le sud de la Chine. Des milliers de chiens (et de chats) sont tués pendant une semaine, de manières cruelles (ébouillantage, coups de bâton, éviscération, etc.), afin de donner une viande a priori plus tendre et satisfaire les mangeurs.

En 2019, en France, une pétition a réuni 160 000 personnes et les soutiens de Michel Sardou et Brigitte Bardot afin de mettre un terme à cette fête. Des associations de défense des animaux, comme celle de Stéphane Lamart, ou William Burkhardt et Léa Dubost, fondateurs de DxE France, ont décidé d’agir et de sauver des animaux. Ils ont ainsi rapatrié en France neuf chiens, destinés à être tués, afin de les proposer à l’adoption.

À première vue, l’action est totalement légitime afin de mettre fin à cette cruauté. Toutefois, les activistes ne donnent jamais d’explications historiques ou culturelles concernant cette fête annuelle. Ils ne se focalisent que sur les rapports de domination animaux-humains.

Aucunes références ou explications au contexte culturel et politique propre à l’ethnie Zhuang, en Chine, ne sont disponibles sur les réseaux de DxE France

De fait, ils hiérarchisent, empiètent sur d’autres luttes : ici l’émancipation d’une minorité assujettie. En effet, aussi abjecte que cela puisse paraître, la consommation de chien est une tradition séculaire de l’ethnie Zhuang, comptant 18 millions de membres et localisée dans la région pauvre du Guangxi. Cette minorité organise la fête gastronomique à Yulin, symbole du passage à l’été.

Or, comme toutes les minorités en Chine, celle-ci est la cible du pouvoir répressif central. Ainsi, il a sévèrement restreint l’apprentissage de la langue de la communauté. De même, sous couvert de tollé national contre la fête annuelle du litchi et de la viande de chien, les autorités tentent chaque année d’en réduire la portée par la mise en place de règles de sécurité, d’hygiène, etc. drastiques. Ces pratiques de l’État autoritaire n’ont rien d’exceptionnelles au regard du génocide culturel subi par les Tibétains depuis 70 ans ou encore l’établissement de camps de rééducation pour les Ouïghours musulmans. Et ce, dans l’indifférence la plus totale.

Faire la part des choses

En 2014, Greenpeace Canada s’est ouvertement excusée des conséquences négatives en termes d’images que son action virulente contre la chasse aux phoques, depuis une quarantaine d’années, a causé aux Inuits. En effet, l’ONG avait stigmatisé autant les actions des entreprises commerciales que la chasse de subsistance — aux déterminants rituels — des Inuits.

Toutefois, ce genre de repentir reste rare et il est indéniable que certains antispécistes sont réactionnaires et ne font que reproduire – a priori consciemment pour Paul Watson de Sea Sheperd – les rapports de domination nord-sud et les normes occidentales. De fait, ils hiérarchisent, empiètent sur d’autres luttes, ici les us et coutumes ancestraux des peuples autochtones, voire les bafouent.

Il faut alors prendre garde à ce que le choc culturel ressenti à la vue de pratiques carnistes de communautés natives ne dérape pas en nouvelle oppression contre ces mêmes communautés, qui en ont subi de nombreuses ces derniers siècles. La désorientation ressentie confrontée à un mode de vie contraire à ses idéaux doit amener à une empathie vis-à-vis de ces communautés, pas à la haine aveugle. Cette perpétuation de la domination colonialiste, que sont les propos de Paul Watson de Sea Sheperd ou les actions de Stéphane Lamart et DxE France, n’est donc pas de nature à renforcer la lutte antispéciste, au contraire elle la décrédibilise par ce genre d’excès.

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