Anarchisme - Petits chefs et Auto-critiques

Confession d’un ex-petit chef antiautoritaire, fatigué d´appercevoir son reflet chez les autres.

Il y a dans nos débats, entre deux ouvertures de canettes, ces longs soupirs exaspérés, marquant l´ennui ou le désaccord. Ces soupirs qui s´expriment, qui dialoguent, même sans articuler.

Il y a le calme focalisé sur le sens, de celles/ceux qui rationnent méthodiquement leurs paroles, à la limite du maladif, qui questionnent le poids des mots jusqu’à en prendre peur, qui soupèsent l´expression, contrôlent l´impulsivité lorsque s´exprime ce qui leur semble être une ânerie supplémentaire…

Il y a aussi tous celles/ceux qui écoutent, les invisibles qui n´osent pas, les pas charismatiques, les timides qui observent leurs godasses, esquivent les regards, prennent le murmure au vol, et s´accommodent le plus souvent d´un silence bien bavard - sans qu´aucun ne se soit risqué à épauler leur voix, même fluette et désemparée.

Et puis, il y a celles/ceux qui nous dégueulent des évidences à la tronche, virilisme à l’ancienne, qui se répètent pour convaincre, tactique discount… Oui, tous/toutes ceux/celles qui s’empressent d´interrompre, distribuant leurs limpides positionnements avec la radicalité froide d´un monologue qui se fout bien de l´influence, du pouvoir, et de la domination qu´il suppose.

Il y´a aussi, bien entendu, tous/toutes ceux/celles qui laissent faire…

L´autorité informelle se construit, n´est ce pas ? Elle suppose donc que quelques uns/unes la soutiennent, à quoi bon ?

J´étais de ceux là… de ces petits chefs, qui vous suggère l´ordre et la raison, qui cache dans une caresse la promesse d´une fidélité illusoire , qui domine sans jamais dominer, qui dirige avec le sourire… et je les voyais, tous ces antiautoritaires labellisés, suivre chacune de mes réflexions, jusqu’à répéter mes propres paroles, en public, là, au spectacle de l´activisme…

L´influence n´est jamais directe, elle se fait implicitement, elle se doit d´infiltrer la chair…

Les petits chefs savent bien se taire lors d´une AG, ils n´ont souvent plus le besoin d’exprimer leurs opinions à voix haute, tant ils/elles orientent à l´avance les subjectivités présentes.

J´ai eu la chance, de ne pas trop m´énamourer de cette étrange sensation, de cette stupéfiante emprise que j´exerçais sur les autres, la chance de pouvoir encore opérer un changement, de le vouloir, de m´y contraindre.

La chance d´adopter une radicalité pratique de ce que certains académiques nommerait « l´anarchisme dans tout son individualisme éculé », que sais je encore ?

La chance de cohabiter avec la domination, cet ennemi de tous temps, qui vous récite sa longue liste d´exigences, et finit par les graver sur les parois du crâne, chanceux de découvrir l´adversaire de l´intérieur, dans les entrailles, les idées, et finir par observer de mes yeux, comme dans les loges d´un marionnettiste, entre sadisme et compassion, les conséquences de ma maîtrise.

Chanceux, car conscient de ce que le pouvoir implique, de ce pourquoi notre combat restera toujours légitime.

Et puis… j´ai brisé, sous le fardeau des paradoxes, des contradictions, des faussetés coupables et des aigreurs auto-contemplatives… j´avais besoin de changer, au moins pour survivre, pour redécouvrir un sens à ces idées que j´avais fait mienne sans pratique aucune.

Aujourd´hui, il m´est donné d´observer les diverses pratiques du pouvoir dans ces territoires où quelques fidèles s´obstinent à penser qu´il « n´existe plus », pluralité phénoménale de formes ; du petit chef pleurnichard, à l´orgueilleux tendance autiste, au révolutionnaire hyperactif, du pro-féministe à grosse voix, en passant par le partisan à lunettes et son chapelet de citations, de dates et de références toutes théoriques…

Tous/toutes, experts. Tous/toutes, experts en influence.

Je pouvais aussi, comme eux/elles, divaguer sur tout un tas de sujets qui m´étaient parfaitement inconnus.

Je savais le faire, je savais le laisser penser, je savais broder, simuler, je saurais encore m´exalter dans l´argument bancal, et masquer mes doutes dans la violence du monologue...je l´ai fait, je le ferai sûrement encore...

Plus tristement…

Il m´était difficile de dire que je ne savais pas, il m´était impossible de le penser, c´est une honte de ne pas savoir dans ce monde où tout peut être su...et pourtant je ne savais rien, ou si peu, et pourtant je m´exhibais bien souvent comme une source de savoir sans borne, le savoir laisse les autres au mutisme et à l´idolâtrie, même un savoir contrefait. Le petit chef le sait bien, le doute, la remise en question, c´est chuter dans l´absence, la certitude n´est ici qu´une posture, l´outil de la conservation d´un pouvoir.

Aujourd´hui, que j´aime revenir parmi les vivants et contempler ma médiocrité....

Parce que cette envie de répondre de tout ; et cette imbécillité à penser pouvoir le faire...

Il est évident que la compétition joue le rôle admirable qui lui est dû, et qu´avec elle, comme les autres, je bâtissais sur l´ignorance pompeuse des discours bien vides...

Et je revois l´orgueil tisser des vérités, m´engloutir dans l´espace solitaire qu´était devenue ma suffisance... étais je en train de me persuader ? Pour l´illusion d´un triomphe ? Pour rester certain du sens de ma bêtise ? En somme, qu´elle soit réfléchie ?

Et puis, j´ouvre un livre et je comprends que d´autres comprennent plus, et je suis terrorisé, entre l´envie de me nourrir, et la peur de mourir dans l´idée d´un autre.

À manquer d´humilité, je glissais doucement vers l´aisance de la critique… cette foutue critique, condescendance omniprésente, sarcasme et cynisme ne produisant plus que de la frustration.

Cette critique, qui ne se pose toujours que sur les autres… qui jauge chaque acte avec purisme, juge ou moralise les infidèles. Cette critique distancée, épargnée de tout effort, qui invoque le châtiment par la plainte, la sanction sans miroir.

Amis petits chefs, l´anarchisme vous quémande…

L´auto-critique est des nôtres…

Sachons en profiter.

Mots-clefs : anarchisme

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