Deux pages d’une froideur terrible, pour conclure sept années de combat. Et enterrer un nouveau scandale policier et judiciaire. Mercredi 15 mai, la Cour de cassation a rendu son arrêt dans l’affaire Luis Bico, tué par la police près de Montargis en août 2017. Comme elle le fait habituellement, quand aucun doute juridique n’est possible, la plus haute juridiction s’est bornée à une phrase type, sans aucune argumentation : « la Cour de cassation constate qu’il n’existe, en l’espèce, aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ».
Un « circulez, y’a rien à voir », en langage judiciaire. Or, cette décision est hautement décisive. Elle valide, de la façon la plus officielle qui soit, le permis de tuer instauré par la loi de 2017 dans l’article L435-1 du Code de sécurité intérieure. Son promoteur, le socialiste Bernard Cazeneuve, s’en défend à qui veut l’entendre : « C’est un texte qui dit : “Vous ne pouvez tirer que lorsque vous êtes en situation de légitime défense” ». Et pourtant, c’est tout autre chose qui est désormais gravé dans le marbre de l’ordre juridique. Car dans l’affaire Luis Bico, la cour d’appel avait à la fois estimé que les conditions de la légitime défense classique ne s’appliquaient pas, mais que le nouvel article, si. La Cour de cassation valide ce raisonnement. L’article L.435-1 est donc bien un cadre plus large que la simple légitime défense.
Pas de danger immédiat
Et même beaucoup plus large. Dans l’affaire Bico, la cour d’appel d’Orléans avait relevé que Luis Bico ne menaçait personne au moment où il avait été tué. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y avait pas légitime défense. D’après la cour d’appel, Luis Bico était simplement « susceptible d’attenter à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui », s’il parvenait à s’échapper. Un danger très hypothétique donc.
En revanche, le policier qui a tiré sur Luis Bico, lui, l’a fait en visant pour tuer. Il a en outre tiré alors que des passants se trouvaient juste derrière, en plein dans sa ligne de mire, comme le montrent les images exclusives publiées par Flagrant déni en avril. « Ils visaient en haut, analyse Casimiros Bico, le frère de Luis, et d’ailleurs il y a une femme qui a entendu siffler une balle. Il y a 18 tirs, mais ils n’ont retrouvé que 9 impacts sur la voiture de Luis ». Dans cette affaire, pour un danger hypothétique, la police a tué une personne, et mis en danger beaucoup d’autres. C’est ce que la Cour de cassation estime légal, sur la base de l’article L.435-1.
Dossier inaccessible à la famille
Cette décision est la conclusion d’un long combat, celui de la famille, face au mur aveugle de la justice. « On ne connaissait rien à la justice, donc on a fait confiance aux spécialistes, se souvient Christèle, la belle-sœur de Luis, très amère. On posait des questions, l’avocate nous disait “Ne vous inquiétez pas, c’est juridique”. Il ne fallait pas parler aux journalistes, pour ne pas énerver les juges, ni aux associations. On nous a complètement enfermés, et finalement, voilà le résultat ! ».