Quelques réflexions sur le documentaire de David Dufresne « Un pays qui se tient sage » dans lequel le réalisateur a voulu tabler sur une réalisation très minimaliste en offrant une succession d’images brutes de violences policières (essentiellement lors du mouvement des Gilets Jaunes) entrecoupées d’entretiens et interviews en réaction à ces images.
Si l’on devait faire la critique principale du documentaire c’est de toute évidence son manque d’ambition politique.
En effet, le film ne semble pas avoir comme horizon le dépassement de l’existence de l’institution policière. Ici, nul propos sur un monde sans police. Non, il s’agit de rester cantonné à la question unique de la gestion policière du maintien de l’ordre dans son cadre « républicain ». Alors qu’un mouvement de révoltes d’une grande ampleur contre le racisme et les violences policières a tenu en haleine les États-Unis et le monde entier en juin 2020, ce mouvement, sans le surestimer, a fini par naturellement interroger l’existence de la Police dans la société américaine (https://defundthepolice.org/). Constatons que malgré ce contexte, le film de Dufresne n’évoque pas cet objectif. Cette frilosité s’explique peut-être par le souci de ne pas comparer naïvement les États-Unis et la France. Certes, mais nous regrettons que le film ne fasse même pas l’écho de cette idée portée de plus en plus à une large échelle.
Si ce premier constat est amer, il nous faut, pour le comprendre, se pencher sur le choix des participants à ce film.
Force est de constater que la répartition de la parole des intervenants est mal équilibrée. Si l’on peut regretter (une énième fois) une faible parole donnée aux femmes, à quelques exceptions près, le déséquilibre entre des « experts » majoritairement universitaires et celles et ceux qui ont vécu (dans leur chair) les violences policières est lui aussi assez important. À vrai dire, ne faisons pas le faux procès de ces « experts » qui faisaient peut-être partie de la foule des manifestations de Gilets Jaunes, mais leur posture de détachement face aux actions policières est pour le moins déconcertante. La parole universitaire doit-elle être forcément celle de la froide mise à distance ?
En effet, l’impression qui prédomine c’est une série d’entretiens dans un jargon intellectuel-isant, parfois pompeux, suivis d’images violentes auxquelles seuls les amoureux de la Police peuvent rester insensibles. Le décalage entre les images chocs (avec l’émotion qu’elles suscitent) et les discours analytiques qui suivent n’en facilite pas l’intelligibilité. Tout au long du documentaire, les régulières digressions sur les lectures philosophiques des uns et des autres apportent un détachement qui met presque mal à l’aise.
En fait, quel est le public visé par ce documentaire ? Qui cherche-t-il à convaincre ?
Évidemment, le film ne peut se résumer uniquement à une succession de démonstrations sociologiques, (historiques) et philosophiques de la police républicaine en France. Parmi les quelques interventions pertinentes, notons celles qui interrogent la fonction même du rôle de l’État ou les quelques échanges entre les deux « camps » (pro-Police vs anti-violences-policières). Cette fracture est enfin concrétisée à l’écran et démontre toute l’inanité d’une prise de position légitimant les actions des forces de l’ordre. Les trop rares interventions des victimes des violences policières apportaient enfin également une touche plus humaine et moins détachée sur le sujet mais contrastent avec le caractère purement analytique de nombre de ces « experts ».
Le spectateur, une fois sorti de la salle de cinéma, peut regretter que certains points restent occultés.
Il ne pourra pas finalement mettre de noms sur ces armes qui mutilent, ni de noms sur les différentes forces de Police qui répriment en France. Quid de l’existence de collectifs qui militent depuis tant d’années sur ces questions-là ? (Desarmons-les le Collectif 8 Juillet ou bien encore le Collectif 5 novembre...). Quid également de l’existence de collectifs des victimes des violences policières (famille d’Adama Traoré, l’Assemblée des blessés...). Tout juste sait-il, qu’en plus des victimes de la police, quelques intellectuels sont contre la brutalité de cette dernière. Les mauvaises langues diront qu’il ne s’agit tout simplement que de la version vidéo d’une tribune contre les violences policières publiée dans Libération (peut-être que cela convraincra Darmanin d’œuvrer pour une réforme humaniste du maintien de l’ordre...).
Pour autant, ce film, probablement fait dans l’urgence de la situation a le mérite d’exister car dans cette période, il peut être un outil de dénonciation de l’action policière.
Bien que visible sans être accessible à tout le monde, ce film encourage, pour une fois, la confrontation d’opinions et la compilation des différentes vidéos de violences policières. Même si ce film fait l’impasse sur certains points évoqués précédemment, il est à voir car il (re)met en exergue l’action répressive de l’État ces dernières années et peut être une éventuelle porte d’entrée vers la réflexion plus large d’un monde sans Police.
J-P F. et V. B.