À propos de la suite de la fin du monde.

Compte rendu subjectif de la « Dernière occupation avant la fin du monde » qui s’est déroulée le samedi 5 octobre à 10h, pendant 18h d’affilée. Appel à poursuivre les initiatives de convergence des luttes pour le mois d’octobre.

Dans ce compte-rendu, XR désigne abusivement, aussi bien l’organisation Extinction-Rebellion, qu’une militante ou un militant se réclamant de ce collectif. Tous les liens Twitter inclus contiennent des photos et vidéos retraçant les moments marquants de la journée.

Introduction : joindre le lieu

On arrive, comme une trentaine d’autres, entre 8h30 et 9h00, devant l’un des points de pré-rendez-vous qu’on nous a donné la veille au soir. Il y en a plusieurs comme ça dans Paris. Trois XR nous accueillent et nous font éteindre nos téléphones. Bon réflexe. Quelques petits détails sur le déroulement de l’action sont rapidement rappelés, déjà reçus par mailing list ou évoqués aux différents debriefs de la semaine. On se répartit en trois sous-groupes qui prennent des itinéraires différents pour joindre le lieu d’occupation. On se doute qu’on va dans un centre commercial, on sait bien ce que ça peut vouloir dire dans la tête d’un XR « un lieu symbole de ce système économique », pas exactement les potos marxistes obsédés de plateformes logistiques et de porte-conteneurs ! De toutes les façons, on n’aime pas non plus la société de consommation, le productivisme et les centres commerciaux, donc ça nous va très bien. On pense un moment à celui sous la tour Montparnasse qu’on aperçoit au loin. Mais rapidement, notre référent XR nous dirige vers les Gobelins et on comprend vite que l’Hippopotamus d’Italie 2 vendra moins de viande saignante et le Nature et Découverte, moins de tapis de pilate, que les autres week-ends. Arrivés sur place, tous les petits groupes attendent le moment propice pour passer à l’action. Alors que les vigiles débordés aux portes d’entrée principales finissent par laisser passer le flux sans résistance, d’autres nous ouvrent la porte est, avenue d’Italie, on forme alors des chaines humaines pour amener du matériel qui attend pas loin. La partie nord d’Italie 2 est à nous pendant que la galerie marchande partie sud reste en fonctionnement. L’occupation commence, il est 10h.

Bloquer la consommation ou occuper un lieu de vie autogéré ?

L’expression « maison du peuple » ces derniers temps faisait plus référence aux lieux de vie de nos camarades de l’Ouest : Nantes, Saint-Nazaire. En vérité, XR a trouvé qu’il était trop compliqué de faire venir du matériel de cuisine : couteaux, assiettes, réchaud à gaz sont « trop dangereux », « trop lourds ». Ce sont donc surtout des banderoles, des palettes, des échelles, des chaines, bref du matériel de blocage et de communication (il y avait par exemple des cordistes façon Greenpeace) qui a été amené. Si des pissotières sont rapidement installées, le matériel en présence confirme nos doutes, il s’agit d’une opération de blocage et de communication et pas de l’occupation d’un lieu de vie autogéré. C’est plus ambitieux qu’un pont, moins ambitieux qu’une maison du peuple, mais c’est déjà pas mal. Par contre, on sait qu’avec les actions prévues pour le mois d’octobre et en particulier l’occupation d’un lieu ouvert le lundi 7 octobre, celle d’Italie 2 n’a pas vocation à durer.

Contenus de l’occupation et forces en présence

  • banderoles géantes « La nature n’est pas à vendre », « Écologie sociale et populaire », « Détruisons les palais du pouvoir, construisons les maisons du peuple »
  • autres banderoles « Vive la commune », « On est pas là pour enfiler des perles », « Écologie radicale, mort au capital », « On ne négocie pas avec les pyromanes », « Pollue, consomme et ferme ta gueule », « Brulons le capitalisme, pas le pétrole », « Queer VNR Révolutionnaires », « Rouen pas de vérité, pas de paix », « Quand l’espoir meurt, l’action commence », « Ensemble détruisons ce qui nous détruit »
  • collages « Solidarité avec Exarcheia », « Métro Boulot Black Bloc »
  • infokiosque prix libre
  • table avec un peu de bouffe mise en commun, ravitaillée dans la journée
  • des assemblées générales toutes les 2 ou 3 heures
  • mur des idées
  • ateliers divers en petits groupes
  • zone de repos
  • atelier chorales permanent : le classique giletjauné « On est là », le fédérateur « Ha-A ! Anti ! Anticapitaliste ! », le classique XR « Et 1 ! Et 2 ! Et 3 degrés, c’est un crime contre l’humanité »… et un particulièrement adressé aux consommateur·rice·s de la partie sud, restée ouverte, « Travaille ! Consomme ! Et ferme ta gueule ! »

Au pic de la journée, la mobilisation atteint entre 500 et 1 000 personnes. On est heureux d’avoir croisé les revenants des manifs Gilets jaunes et Europacity. On a vu aussi plein de camarades venus sur Paris pour l’occasion : Nantes, Rouen, ZAD NDDL, Bure, le Havre. Ça fait vraiment plaisir. Dans les interventions un peu exceptionnelles, on pourra noter :

  • le Comité Adama qui poursuit son soutien infaillible aux Gilets jaunes et pousse, de plus en plus, pour la convergence avec les luttes environnementales dans une perspective internationaliste anticoloniale.
  • intervention d’une militante et d’un militant de Hong-kong sur la répression policière

Tags et respectabilité dans les médias

La stratégie non violente et le lien avec les médias ont été, comme prévu, un des gros sujets des AG de la journée. Un tag qui évoque les Gilets jaunes blessés est photographié par certains, applaudi par d’autres, pendant qu’un XR se rend à la zone calme du sous-sol pour appeler ses amis à la rescousse : « Vite ! Il y a des dégradations qui sont commises en haut ! » Au fur et à mesure de la journée, alors que certains piteux bisounours imposent leur nullité politique et justifient bien maladroitement leurs positions :

toutes les vitrines vont finir par être recouvertes : « Autonomie italienne 2 », « Gilets jaunes, 2 000 blessés, les écolos sont les prochain·e·s », « L’avenir est anticapitaliste », « Même Harry Potter est violent », « Même les bébés phoques niquent la Bac ». Énormément de tags anticonsommation écrits parfois par des XR eux-mêmes qui ont visiblement moins peur de BFM que certains de leurs compagnons « antidégradations ». Et puis aussi quelques tags beaucoup plus trash, clairement destinés à faire faire une crise cardiaque aux XR : « couteau en céramique », « RIP Michael Harpon » relatifs aux assassinats à la préfecture de police — un flic illuminé qui décide de buter à coups de couteau d’autres flics sous le coup de son délire religieux -, bof, pas fan du tout de cet humour noir.

Caméras de surveillance, photos et vidéos

Certaines caméras ont été recouvertes de plastiques et de stickers quasiment dès l’arrivée. Un des moments drôles de la journée aura été le recouvrement d’autres caméras difficilement accessibles avec de la peinture. Succès incontestable sous un tonnerre d’applaudissements et des barres de rire.

Notons que la première AG avait accepté de se faire photographier et filmer après un vote polémique. La deuxième AG est heureusement revenue sur sa décision balayant l’argument crétin Figaro-compatible : « on assume donc on reste visage découvert et on filme tout » qui nie totalement la réalité de la surveillance par les polices politiques et le niveau de répression record atteint en 2019 dans les différents mouvements de contestation. C’est aussi un des nombreux cas où le dogmatisme non violent, au contour mal défini, met potentiellement en danger plein de militant·e·s. Dans le domaine de l’argumentaire de la mauvaise foi, on a aussi entendu « les dégradations donnent plus de travail aux femmes de ménage », autre commentaire classique Figaro-compatible, tenu aussi par quelques rageux des réseaux sociaux, jaloux de ne pas être là et qui, n’en doutons pas, ont appelé à un soutien des femmes grévistes de l’Ibis Batignoles lundi 7 octobre à 12h. Disons-le franchement, c’est aussi débile que de dire qu’on donne trop de boulot aux pompiers en mettant en feu une barricade et c’est un argument souvent tenu par des personnes qui n’ont jamais manifesté le moindre intérêt pour le problème de la sous-traitance ou le moindre soutien aux femmes de ménage qui luttent.

Gilets jaunes et Peacekeepers : l’éviction d’un journaliste indépendant d’extrême droite

Un ancien candidat Front national à des élections cantonales, Jimmy Léopold, reconverti dans le journalisme confusionniste indépendant, a pointé son nez. Il est rapidement identifié par des groupes de Gilets jaunes qui ont pour habitude de le dégager des manifs (comme à la Contrescarpe il n’y a pas si longtemps). Il arrive cependant à arracher une interview de Jérôme Rodrigues (qui explique régulièrement qu’il accepte de discuter « avec tout le monde ») alors que le bruit commence à courir qu’un indésirable s’est infiltré. Parce qu’une exfiltration manu militari créerait une confusion généralisée, on va voir des orgas d’XR, on leur montre le curriculum vitae du journaliste et on leur propose : « Soit vous vous en occupez, soit on s’en occupe ». Un mec d’XR va alors voir son groupe de « chasubles orange » et s’écrit : « allez, debout les Peacekeepers ! un mec d’extrême droite à sortir ! » La petite merde est raccompagnée à la sortie dans le calme via une technique non-violente pour le moins étrange : virer quelqu’un en s’excusant de le faire. Cela ne marchera que partiellement, car le journaliste reviendra plus tard pour se refaire dégager à peine plus promptement. Mais bon, l’intention est presque là.

Flics désorganisés. Négociation au sommet ?

Les flics ont fait un peu n’importe quoi tout au long de la journée. Ils étaient vraiment mauvais et ont tout foiré du début à la fin. On ne va pas s’en plaindre. Un des fonctionnements assez mal compris et mal accepté de cette occupation était le fait d’utiliser la porte est pour rentrer avenue d’Italie et la porte ouest avenue Bobillot pour sortir, par salve. À la fermeture de la partie non occupée d’Italie2, vers 20h, les gendarmes à l’extérieur ont bloqué les deux accès. Simultanément, d’autres flics à l’intérieur se préparaient à intervenir. Ça a alors commencé à s’exciter légèrement dehors dans une confusion totale. Les flics faisaient des nasses sans réussir à les rendre efficientes. La brigade d’intervention a pathétiquement failli à sa mission et une autre tentative d’intervention a échoué. On peut témoigner qu’à ce moment précis, il y avait et du XR et du GJ, et des autonomes pour empêcher l’intrusion. (Même si d’autres XR étaient en panique et criaient « Non-Violent ! » pétrifiés par la peur.) Ça aura été le moment glorieux de convergence de la journée. Notons que cette scène a été filmée sous tous les angles par tous les journalistes présents.

Après leur défaite, les flics à l’intérieur et à l’extérieur sont partis, tout d’un coup, sous les sifflets. Négociation entre Hidalgo et Lallement ? Entre XR et Lallement ? En tous les cas, une décision a été prise au sommet d’abandonner tout harcèlement policier. La brigade d’intervention, avec meuleuse et bélier, est même repartie gratifiée de quelques projectiles devant le parvis. Le pouvoir n’a pas tenté une expulsion ultraviolente comme il en a déjà mené. Aurait-il peur de ternir une image à l’internationale déjà moribonde pour le début de la campagne XR d’octobre ? La mairie de Paris souhaitait-elle son badge écolo-friendly pour la Nuit blanche ?

https://twitter.com/MTGphotographe/status/1180565677498875907

Fin de soirée

Après minuit, l’AG a décidé la poursuite du mouvement d’occupation à une large majorité, mais avec toujours ce paradoxe que sans moyens matériels assurant un confort minimum, peu allaient concrètement rester la nuit entière. Les XR avaient une peur bleue du côté un peu trash que prennent les soirées avec la fatigue des uns, la désinhibition alcoolique des autres. (L’alcool était initialement « interdit », règle qui n’a évidemment pas été respectée.) Tout le monde est parti progressivement après quelques heures de fête : un peu de rap, un peu de DJ Fez, un peu de repos. Une ultime AG a voté la fin à 4h. Tenir les lieux était de toute façon devenu impossible et le matériel a été abandonné. Il est clair que XR n’a jamais prévu de prolonger cette occupation.

https://twitter.com/T_Bouhafs/status/1180627092368744449

Conclusion

Les moyens de la lutte, les liens avec les médias mainstream, le confusionnisme et l’instrumentalisation du concept de « non-violence » restent les sujets chauds autour du mouvement XR. On en a vu écrire des tags bien inspirés sur les vitres des magasins, participer courageusement au blocage contre les forces de l’ordre. On en a vu d’autres effacer des tags et étaler sans honte leurs niaiseries, leur inculture politique et historique devant les caméras. Les lignes de fracture ne sont pas nécessairement là où l’on pense les trouver.

Des réactions contrastées semblent émerger de toute part. Beaucoup n’ont pas compris la communication d’XR qui a fait passer une opération de communication pour une réelle occupation. C’était pourtant prévisible à la lecture de ce qu’ils et elles prévoyaient pour le lendemain et la semaine à venir. Si l’on s’en tient à l’idée que cette action était fondamentalement un blocage anti-consumérisme, c’est un succès, certes limité.

Le contenu politique vient plus de la rencontre inédite du cortège de tête avec le cortège qui le suivait, parfois de loin, le 21 septembre. On continuera de suivre XR, de débattre et de s’engueuler avec elles et eux.

À l’heure de la rédaction de ce compte-rendu (lundi 7 octobre 15h), XR démarre une occupation de la place du Châtelet.

impatient-rebellion@protonmail.com