A Bilal, mon pote de garde à vue

Socio-apartheid oblige, nos destins ne devaient pas se croiser. Ségrégation raciale oblige, nos destins n’ont fait que se croiser.

Vendredi soir, sous-sol du commissariat central de Toulouse. Trente heures que je croupis dans une boîte vide.

Une voix vient rompre le silence pesant des minutes qui s’écoulent. Je colle mon visage à la vitre. Mes lunettes m’ont été confisquées, mais je crois bien que la silhouette enfermée en face de moi essaye de m’interpeller. Dans nos cages de plexiglas, on ne s’entend pas parler ; on hurle en gesticulant.

La silhouette veut savoir l’heure. Je fais un rapide calcul. La dernière fois qu’un flic me l’a donnée, il était 20h05. J’ai l’impression que c’était il y a quatre heures. Je divise par deux, disons qu’il est 22h. Il me montre ses deux portions de bouffe de la journée auxquelles il n’a pas touchées. Ramadan oblige, il attend la nuit pour rompre le jeûne.

POURQUOI T’ES LA ?, il me demande.
MANIFESTATION.
LOI TRAVAIL ?
OUI !

Il lève le poing en signe de soutien. Putain ce que ça fait du bien de parler. L’isolement de la garde à vue est une petite torture. Je hurle de toutes mes forces : « CA FAIT DU BIEN DE PARLER », avec tout le ridicule que cela comporte. Il est d’accord. Je lui montre mes deux portions journalières que moi non plus j’ai pas touchées.

RAMADAN ?
NON.

Je mets deux doigts au fond de la gorge et je me penche en avant. Cette nuit, à la place de dormir, j’ai gerbé. Plus question de toucher à leur merde. Il acquiesce.

ET TOI POURQUOI T’ES LA ?

Sa réponse est incompréhensible mais j’insiste pas. Au fond, je connais déjà la réponse : pour rien, comme tout l’monde.

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Mots-clefs : prison

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