Pour être à 3000% honnête, avant d’y être je n’avais pas complètement compris, pourquoi non-mixte, pourquoi faire, était-ce bien nécessaire.
Ca a commencé en sortant du métro « Place des Fêtes ». Ce sentiment de bonheur, de jouissance, de puissance, de libération. Une joie totale qui nous a envahi et ne nous a plus quittées pendant des jours. Une horde de meufs, des milliers, que des meufs partout, toutes tellement belles. La musique, les rires, partout, les cris déjà, débordées de bonheur. Déjà on danse, on se perd et on se retrouve et on est débordées d’amour. La Fête.
Ensuite la manif a commencé. La Fête. Plus on avance plus on danse, plus on hurle, plus on boit. Anticapitalistes, antipatriarcat, antifascistes, on-se-lève-on-se-casse-on-gueule-on-vous-emmerde, on est mortes de rire, on partage tout, l’alcool et tout le reste aussi. On se connaît toutes par cœur, mêmes viols même merde, on se fait confiance, on peut faire éclater la rage et les rires, rien à craindre et surtout rien à foutre, on les emmerde.
La manif est un bulldozer, plus elle avance plus elle est forte. On hurle notre rage, on danse notre bonheur, on tague on colle on renverse et on avance, toujours plus. On frappe des poings sur des palissades jusqu’à en avoir mal, un boucan puissant jouissif incroyable. On se couvre l’une l’autre pour pisser, on se sourit et on se donne la main, « les hétéros ça n’existe pas », tu m’étonnes on comprend pourquoi.
Les flics sont là dès le départ, au fond on sait très bien comment ça finira, peu importe, dès le début on les insulte, flics violeurs assassins, risibles comme tous les autres, minables comme tous les autres, allez bien vous faire mettre.
Des petits mecs entendent le zbeul et veulent instinctivement se joindre à nous, puis se rendent compte que ça n’est pas pour eux : non, pas besoin de bites pour tout pulvériser. La Rage, Polanski, 49.3, et la Fête, la Joie, la confiance absolue. Plus on avance plus l’évidence s’impose : c’est la plus belle manif de notre vie. On pourrait marcher ensemble comme ça toute notre vie, plus besoin de rien d’autre.
A la fin ça y est. Gaz, nasse, charges. Matraques, interpellations.
Nous quatre sommes en marge donc nous sommes sauvées, vu que les flics sont au cœur. On se réfugie dans un commerce, on pleure on tousse on gueule, on hurle de rire on partage le cubi avec les copines, les commerçants ont hâte qu’on parte. Ca tombe bien, on se lève, on se casse, on gueule on vous emmerde.
Dehors c’est nassé. On gueule, on chante, on insulte, on provoque. Des copines interpellées passent devant nous, menottées et magnifiques. On chante, on gueule, on insulte : trop tard, on a gagné, on est ensemble, pour toujours. Plus tard la place est presque libérée, on danse autour d’un feu de poubelle, on chante la même phrase pour la quarante millième fois, mêmes joie, puissance et évidence à chaque fois.
Devant nos yeux, les dernières copines se font évacuer par les cheveux, traîner dans les escaliers, suspendre dans le vide. On hurle. Elles ont mal, on le voit, on a mal.
On les vengera, de toute façon la marche ne s’est jamais finie, elle est là, les voix résonnent encore, Amour, Fête et Rage, rien à craindre de personne.