La Révolution russe – événement d’envergure planétaire dont on fête le centenaire cette année – ne se limite pas à un affrontement binaire entre tsaristes et bolcheviks.
Des forces politiques ont agi, à l’époque, pour proposer un autre modèle qu’une monarchie cruelle d’un côté, une dictature cynique de l’autre.
Le mouvement anarchiste s’est battu pour une démocratie fondée sur les soviets libres, et non inféodés au Parti communiste ; un socialisme fondé sur l’autogestion, et non sur l’étatisation totale de la vie économique.
En première ligne, mais minoritaires en 1917, les anarchistes et anarcho-syndicalistes s’efforcèrent de rattraper leur retard et de créer la surprise. Nous raconterons comment, en nous appuyant sur le dossier spécial 1917 du mensuel Alternative libertaire.
Ce sera :
- le vendredi 13 octobre à 18h30 au Musée de l’histoire vivante, 31, bd Théophile-Sueur, à Montreuil, avec Eric Aunoble, auteur de La Révolution russe, une histoire française (La Fabrique, 2016) et Guillaume Davranche, coordinateur du dossier spécial 1917 dans Alternative libertaire de juillet-août 2017.
- le vendredi 20 octobre à 20 heures à la Maison ouverte, 17, rue Hoche, à Montreuil, avec la participation amicale du collectif Les Enfants de la nasse.
L’ÉDITO DU DOSSIER
De la Révolution russe, les libertaires ne retiennent souvent que deux épisodes épiques et signifiants : la Makhnovchtchina, Cronstadt 1921. La séquence initiale de 1917-1918 est plus mal connue. C’est pourtant là que l’essentiel de la partie s’est joué pour le mouvement anarchiste.
Quelle était alors sa consistance, quel fut son rôle, quels choix opéra-t-il ?
En février 1917, après l’effondrement des institutions impériales, émergea une administration alternative – les soviets, les comités d’usines –, base d’un possible pouvoir populaire. Possible, mais pas assuré. Beaucoup dépendrait de l’orientation imprimée par les différents courants politiques à l’œuvre.
Or, en février 1917, l’anarchisme était la composante la plus minoritaire du socialisme russe.
Certes, la politisation fulgurante du prolétariat et des conscrits entraîna alors une croissance pléthorique des partis et des syndicats, jusque-là clandestins. Mais comment transformer ce flot de convertis volatils en une force collective, capable de peser sur le cours des événements ?
Toutes les organisations furent confrontées à cet enjeu, auquel le mouvement anarchiste ne put répondre. Par manque de moyens, assurément ; par manque de volonté aussi, du fait d’un reliquat de spontanéisme hérité de la période « terroriste » de 1905-1906.
Des années plus tard, bien des militants souligneront ces lacunes. Voline déplorera le manque de « cadres » pour répandre les idées anarchistes et « contrecarrer la puissante propagande et l’action bolchevistes » [1]. Makhno en voudra aux « anarchistes des villes » de n’avoir pas épaulé ceux des campagnes [2]. Anatole Gorélik jugera qu’« il y avait très peu de militants anarchistes de formation théorique suffisante » et évoquera son angoisse quand, dans le Donbass, il voyait « chaque semaine, des dizaines de représentants et délégués d’ouvriers » qui réclamaient « des orateurs et agitateurs, de la littérature politique, mais surtout une aide morale et théorique » sans que son groupe soit en mesure de répondre à la demande [3].
Le mouvement anarchiste n’ayant pu surmonter à temps son handicap initial, une large part de sa mouvance fut satellisée, puis aspirée par le Parti bolchevik, que sa supériorité numérique et organisationnelle faisait apparaître comme un outil plus efficace pour parer au plus pressé : vaincre la bourgeoisie et la contre-révolution.
Que faire pour échapper à cette fatalité, et créer la surprise ?
Ce dossier raconte comment le mouvement libertaire joua sa partition et tenta de rattraper son retard, avant d’être brutalement étranglé par le nouveau pouvoir.