Un constat s’impose. En France, le regain d’offensivité contre la mise au pas néolibérale de nos vies n’a pas commencé avec l’élection de Macron. Elle relève plutôt d’une séquence que l’on peut faire remonter au mouvement du beau printemps 2016. Qui n’est pas nostalgique du foisonnement des formes et des forces qui ont su rebattre les cartes de la lutte au printemps dernier ? Qui ne s’est pas senti galvanisé lorsque le cortège de tête faisait reculer la Police ou en allant prendre l’apéro chez cette ordure de Valls ? Qui n’a pas été ému par les possibilités qu’offraient Nuit Debout et les AG de la Bourse du travail ?
Tout semble encore réuni pour que notre offensive continue et pourtant un sentiment étrange nous affecte depuis la rentrée : la mayonnaise ne prend pas. Il est encore temps d’y rémédier avant qu’elle ne tourne au vinaigre. Voici notre analyse balbutiante de la situation et des nouvelles stratégies qu’elle impose. L’arrivée de Macron au pouvoir se dessine en tant que force de normalisation de l’offensive néolibérale : d’une part, la Loi travail XXL veut produire l’entreprise comme nouveau centre du monde, en parallèle de quoi, la mise en place d’un État d’urgence permanent viendra sous peu ériger la Police comme sa nouvelle bordure protectrice. En miroir de la normalisation macronienne, il semblerait que notre contre-offensive soit elle même en cours de normalisation. Certes, le maintien de l’ordre fait de plus en plus ses preuves, mais il faut avouer que nous perdons de notre force d’irruption. Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un retour à des manifestations où rien ne se passe plus, où nous nous sentons chaque jour un peu plus faibles, désagrégés et où nous n’arrivons pas à renouer avec les bons gestes. On ne lutte pas contre l’imposition d’un nouvel ordre par la nostalgie d’un ancien.
L’État d’urgence dans le droit commun, c’est quasi fait ; les ordonnances sont là, ou presque. Encore une fois, ils sont en passe de gagner et on serait fou de se leurrer sur ce point, à moins d’un mouvement improbable qui exploserait sans qu’on le voit venir. Devant cette situation, nous proposons de rebondir au lieu d’insister. Il est temps de s’organiser pour imposer notre propre temporalité dans l’époque. Cela doit nécessairement passer par des nouvelles formes d’irruption où les complicités futures sont à même de se nouer. Il ne s’agit pas de déserter les manifestations qui sont toujours un lieu de rencontres et de frictions intéressant mais plutôt de ne pas s’en contenter et de se retrouver ailleurs, de rebondir de nous-mêmes afin de n’être plus dépendants d’un calendrier qui n’est pas le nôtre.
C’est pour mettre en oeuvre ce sursaut et réfléchir ensemble que nous appelons à une occupation après la manifestation du 10 octobre prochain. Il nous paraît nécessaire de ne plus se séparer et de se préparer comme il se doit aux journées du 11 et 12 octobre prochains. C’est que nous les percevons comme deux faces d’une même pièce : la mémoire du printemps 2016 et son dépassement à venir. D’un côté, le 11 octobre, les délibérés du scandale judiciaire de l’affaire de la voiture brûlée le 18 mai 2016 seront rendus. Avec ce procès, l’État tente de tuer une deuxième fois le mouvement, la justice venant achever le travail des flics pour que personne ne se relève indemne du combat. De l’autre côté, le 12 octobre a été lancé un appel à perturber par tous les moyens possibles un congrès de DRH au Pré Catelan, au beau milieu du Bois de Boulogne. L’invitée d’honneur de l’événement n’est autre que Muriel Pénicaud, ministre du travail, présentée par les organisateurs comme « la DRH de l’entreprise France ». Surtout, l’appel en question propose également de faire du 12 de chaque mois une date que le mouvement pourrait se réapproprier pour frapper à chaque fois sur une cible de notre choix. Cette proposition a le mérite de définir un calendrier nouveau qui laisse plus de place à notre imagination et nous permettra peut-être de déployer des alliances inattendues.
Devant la stagnation du mouvement à Paris, nous pensons qu’une occupation conséquente est nécessaire. Tenir un lieu - avec toutes les composantes actives du mouvement - nous permettrait de réfléchir tout en s’organisant pour le 11 et le 12. Une occupation ne tient pas seulement comme moyen de perturbation ou de blocage. Elle est un préalable dejà là, un moyen autant qu’une fin, pour s’organiser et tendre ensemble vers des situations que l’on espère inédites. Occuper c’est se tenir en bloc en vue d’une contamination : aller occuper ailleurs, bloquer ailleurs et reprendre, qui sait, l’offensive contre la métropole. Faisons de ces trois jours un point de bascule, un point d’inflexion pour ne pas sombrer dans le macronisme par la défaite.
Appel collectif de plusieurs groupes et individus participant au mouvement contre les ordonnances