Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler de l’IGPN, l’Inspection générale de la police nationale, décriée de toutes parts pour son manque d’indépendance et ses enquêtes à trous ? Sa célébrité est sans doute justifiée. Mais elle cache, comme l’arbre la forêt, le travail de l’ombre effectué par les « cellules déontologie ». Comme n’a cessé de le rappeler et de le documenter Flagrant déni, l’IGPN ne traite, comme elle le rappelle elle-même, que 10 % des enquêtes judiciaires ouvertes sur des policiers.
Aucune statistique précise n’existe concernant l’activité de ces cellules, faute de communication officielle. Pire : les chiffres des « enquêtes confiées à l’IGPN » entretiennent des statistiques sous-dimensionnées, qui minorent l’étendue de la violence policière. Car la plupart des enquêtes sur des policiers, quand elles ne sont pas confiées à l’IGPN, sont transmises aux « cellules déontologie ». Ce sont des services qui, dans chaque département, sous la tutelle directe des directeurs départementaux de la police nationale, assurent – parmi d’autres missions, et avec des moyens dérisoires – la plupart des enquêtes judiciaires sur des policiers. Selon les départements, ils portent des noms différents, ce qui participe à les rendre complètement invisibles.
Selon les textes officiels, dont le cynisme n’est même pas dissimulé, l’IGPN ne doit être saisie que quand les faits sont soit complexes, soit amplement médiatisés. Autrement dit, certaines affaires, même graves, mais non médiatisées, finissent entre les mains des cellules de déontologie. Flagrant déni a par exemple analysé comment l’enquête d’une cellule de déontologie a pu enterrer l’affaire Mehdi, tué lors d’une poursuite de son scooter. Les affaires dont sont victimes les jeunes racisés, faute d’intéresser massivement le grand public, échouent souvent entre les mains de ces services – sorte de bœufs-carottes des banlieues.
Or la conséquence du non-recours à l’IGPN est terrible. Car les « cellules déontologie » sont des services d’enquête qui n’en font pas. L’analyse de Flagrant déni menée sur le travail de la cellule lyonnaise montre qu’elle procède en moyenne à 7 fois moins d’auditions que l’IGPN. Pire : elle n’auditionne presque jamais de policier ! Que dirait-on d’un service de stups qui n’interroge jamais de trafiquants ? En pratique, comme dans l’affaire de Mehdi, ou celle de Naïm,la « cellule déontologie » se contente souvent de sous-traiter l’enquête à des collègues des policiers incriminés. Pas étonnant dès lors que le taux de classement sans suite observé dans notre étude soit… de 100 %. Ces cellules, inefficaces en apparence, sont décidément bien pratiques pour cacher le problème sous le tapis.