Un virus révélateur de la crise du capitalisme

Tandis que le monde doit faire face à la pandémie de Covid-19 et que nous devons appliquer certaines mesures sanitaires strictes comme le confinement, nous continuerons à prôner la solidarité de classe avec les travailleuses et les travailleurs, avec les personnes les plus vulnérables et à exercer notre esprit critique. D’ailleurs, ce n’est certainement pas ce gouvernement ou les forces de police qui exerçaient hier encore leur violence contre nous, qui nous dicteront ce que nous devons faire.

Contrairement à ce que nous prescrivent les gouvernants, il n’est pas déraisonnable de critiquer radicalement les circonstances qui nous ont conduits à ce désastre et d’en chercher les véritables causes. De même, qu’il n’est pas non plus insensé de dénoncer avec colère la manière dont sont traité·e·s tous les travailleurs et toutes les travailleuses réquisitionné·e·s, les migrant·e·s dans les camps de réfugiés, les détenu·e·s dans les prisons de la honte et toutes les personnes fragiles et vulnérables laissées à l’abandon. Enfin, il est important de protester également contre la manière dont nous sommes traité·e·s par l’État, qui nous considère comme de vulgaires pestiféré·e·s contagieux·euses sommé·e·s de subir des lois d’exception.

Les gouvernants nous ont pourtant bien matraqués, à grand renfort de déclarations cathodiques, que la profonde crise sanitaire, économique et sociale qui se forme à l’horizon est l’unique résultat de l’épidémie de Covid-19. Selon eux, ce sont également les comportements irresponsables des personnes qui continuent à sortir malgré les ordres de confinement, qui font courir le plus grand risque au reste de la population. Et pourtant ce sont ces mêmes dirigeants qui ont maintenu les élections municipales, enjoignant tout le monde à aller voter en facilitant, de fait la propagation du virus.

Ainsi, cette manière de faire culpabiliser les gens doit leur permettre de prévenir toutes formes de critiques au nom de l’« union sacrée » autour des valeurs du capitalisme camouflée sous l’impératif sanitaire. L’objectif étant bien évidemment d’éviter que la colère ne monte dans la population contre ce système qui a conduit les gouvernants à préférer défendre les intérêts des financiers aux dépens de l’intérêt commun.

Si notre système sanitaire est défaillant, c’est parce que cela fait des décennies que le secteur hospitalier fait les frais d’une politique du chiffre et du profit au détriment de la santé des habitant·e·s. Il y a toujours plus d’argent pour les banques et de moins en moins de lits et de soignants pour les hôpitaux. Dénoncée depuis des années par les professionnel.les de la santé, la destruction du secteur hospitalier public pour des raisons de rentabilité a aujourd’hui des conséquences dramatiques pour toutes et tous.

Pourtant, même si nous luttions déjà contre la logique mortifère du capitalisme, Macron a réussi à construire son mouvement politique sur l’idée d’imposer en France le néolibéralisme dont la classe dirigeante rêvait depuis quatre décennies au moins. Pour cela, il s’est appuyé sur l’idée du déclin de la France qui rechignait jusque-là à s’adapter entièrement à l’ordre néolibéral. Selon lui, il ne pouvait y avoir d’adaptation graduelle du néolibéralisme face à l’hostilité des « privilégiés » qui sont fonctionnaires ou en CDI. En s’attaquant directement au service public, et donc en démantelant le service hospitalier, il ne fait qu’appliquer la doxa néolibérale résumée dans son livre programmatique Révolution.

En fait, le Covid-19 n’a fait que révéler les problèmes structurels de l’application de la pensée néolibérale à la France. D’ailleurs, le retard du gouvernement français à reconnaître l’existence de l’épidémie était précisément dû à la crainte que les performances économiques du pays ne se détériorent encore plus. Ils sont même allés jusqu’à encourager la présence au travail par des primes, au mépris des plus élémentaires règles sanitaires et de la santé des travailleuses et des travailleurs. Aussi, en décidant de manière irresponsable, d’imposer à une bonne part des salarié·e·s, le télétravail afin de maintenir l’activité économique, le gouvernement a préféré sacrifier nos vies privées et provoquer une surcharge mentale de travail, notamment en ignorant les inégalités de condition qui tiennent à la situation du foyer (espace, équipement, personnes à s’occuper), au niveau de revenu, mais aussi à la composition du foyer (familles monoparentales, présence et âge des enfants) ou au genre.

C’est pourquoi, bien qu’il soit une source de grande inquiétude sanitaire et sociale, le coronavirus est loin d’être la cause de la crise. Cet événement est plutôt un symptôme qui illustre les contradictions les plus profondes de l’accumulation du capital. Il est le déclencheur factuel, mais funeste qui fait exploser les processus de la crise déjà en gestation. Le coronavirus ne constitue donc la « cause » de la crise actuelle qu’au sens de l’étincelle qui provoque l’effondrement économique et social. Ce n’est qu’en décryptant de manière critique les structures du système capitaliste qui nous a irrémédiablement conduits à cette crise, que l’on pourra comprendre cet événement et, espérons-le, pouvoir en tirer des leçons pour un avenir meilleur.

Ce n’est pas la première fois que les véritables causes d’une crise sont détournées. Mais il aura donc fallu le coronavirus pour démontrer que les risques systémiques inhérents au capitalisme – et pas seulement le monde de la finance – sont les véritables causes de cette crise. Les pertes de l’économie financière sont toujours renflouées par de l’argent public financé par les contribuables qui en payent ensuite les pots cassés, car les états doivent rembourser cette dette en diminuant drastiquement le budget des services publics. En effet, lorsqu’une bulle financière explose, les gouvernements et les banques centrales viennent au secours des banques privées et des grandes entreprises. C’est pourquoi les états se sont endettés et que la crise frappe la société sous la forme d’une crise budgétaire qui justifie tous les « programmes d’austérité » qui affaiblissent notre système de santé, mais aussi nos systèmes sociaux, éducatifs ou de recherche. C’est de là, que provient « l’impératif de faire des économies » et « l’injonction à travailler plus pour sauver l’économie » pour une société régie par la production de richesses sous le capitalisme. Il existe donc bien une corrélation évidente entre le coronavirus et la crise du capitalisme mondial.

Pour le système capitaliste, la valeur d’une marchandise dépend de la quantité de travail humain direct et indirect nécessaire à sa fabrication. Or, dans le cadre de la guerre économique que se livrent les entreprises dans le monde pour faire plus de profits, leur stratégie consiste à augmenter la productivité dans l’appareil de production. Mais depuis les années 1970, les machines et les ordinateurs suppriment massivement le travail humain pour tenter d’augmenter au moins provisoirement les profits. En substituant le travail des humains par le travail des machines, le capitalisme scie la branche sur laquelle il est assis, car les marchandises produites incorporent de moins en moins de valeur, phénomène que les capitalistes doivent tenter de compenser en augmentant les volumes de marchandises produites, en nous faisant acheter le plus possible et en ouvrant de nouveaux marchés. Mais, en l’absence d’emploi, de plus en plus d’humains rejoignent le rang des chômeurs ou des précaires, ils sont ainsi « superflus » pour le capitalisme, dès lors qu’ils ne peuvent plus participer à la consommation. C’est alors que la demande s’effondre et c’est la course à l’endettement. Ce mécanisme contradictoire implacable du capitalisme n’est pas réformable, car c’est sa logique même. C’est d’ailleurs en suivant ce déclin de la rentabilité du secteur manufacturier, que le capitalisme s’est tourné vers le numérique en capitalisant sur la collecte de données sur nos activités, nos centres d’intérêt et nos relations.

C’est pour cela que le capitalisme s’est rabattu sur les marchés financiers, entraînant un gonflement du « capital fictif », car il trouve toujours plus difficilement moyen de s’investir dans « l’économie réelle ». Ce déplacement vers la spéculation financière ne représente rien d’autre qu’une forme de mise en sursis de la crise. Mais le prix à payer est une dépendance extrême envers les marchés financiers et donc un potentiel de destruction plus important. « L’accumulation » fictive de capital doit se poursuivre inlassablement pour maintenir ce système finalement mortifère. La société doit absolument se libérer de cette forme de production afin de ne pas être entraînée dans l’abîme avec elle.

Certains risquent de regretter le temps du capitalisme industriel, caractérisé par l’entreprise fordiste et par l’État providence keynésien. Ces nostalgiques ne voient pas que le capitalisme financier dans sa forme financière ultime était inscrit depuis le début, depuis la révolution industrielle comme le destin inéluctable et désormais sans retour possible du capitalisme. Si les formes anciennes du capitalisme masquaient plus ou moins ce trait, le capitalisme financier l’a révélé.

De plus, la montée de la consommation de masse depuis l’après-guerre a engendré de nouvelles normes culturelles. Le consumérisme a promu l’individualisme et l’expression de soi comme les seules valeurs attrayantes. Cette société nouvelle, urbaine, productiviste, marchande et consumériste fonctionne au « consentement » des subordonnés au capitalisme. Le divertissement industrialisé dépend directement du mode de production capitaliste, tant industriel qu’urbain, et les arts, la culture et les médias sont devenus les outils de la soumission au système. Désormais, la vie quotidienne dépossède les individus de leur dimension imaginative ou inventive puisqu’ils sont sous le joug de la consommation de divertissements industrialisés. C’est tout cela qui atomise le collectif et affaiblit l’entraide dont nous aurions tant besoin en ces temps de crise. D’ailleurs, le recours systématique aux technologies numériques pour remédier à tous les problèmes dus au confinement révèle l’ampleur de notre renoncement volontaire aux libertés publiques essentielles jusqu’à l’acceptation de toutes les directives sécuritaires : traking par smartphone, robot policier, surveillance par des caméras omniprésentes, injonction d’obéissance par drone, etc.

L’impératif du système capitaliste visant à une accumulation irrépressible des profits, tout en stimulant une croissance infinie qui se détache des besoins de l’humanité, ne peut pas prendre en compte les effets collatéraux sur la société et sur l’environnement. C’est pourquoi nous devons refuser la marchandisation du monde, sans limites actuellement, car il est évident que si nous ne changeons pas notre manière d’agir, les conséquences seront accablantes comme celle à laquelle nous assistons aujourd’hui avec la pandémie de Covid-19. Il est donc essentiel de rompre avec un système fondé sur une seule motivation : l’accumulation perpétuelle du capital. Si nous ne rompons pas avec la logique du capitalisme et que ne nous n’œuvrons pas pour bâtir une société plus juste et plus écologique, il n’y aura plus d’espoir pour la société.

Quant au vote, il est la légitimation des politiques les plus sournoises. Il est l’illusion de l’existence du choix. Voter c’est croire en la promesse toujours renouvelée d’améliorer le fonctionnement d’un système dont nous ne voulons plus. C’est par la recherche d’autres modes de décision, d’autres modes de vie collective, plus directes, que le capitalisme expirera.
Dans l’immédiat, seuls la solidarité et l’exercice de l’entraide nous libèreront de l’individualisme exacerbé prôné par ce système qui nous a entraînés dans cette situation de déshumanisation. Mais lorsque cette crise sera derrière nous, nous n’oublierons pas qui sont les responsables, ces valets arrogants de ce système nuisible. Il sera alors temps de faire chuter ce qu’il reste du capitalisme tout en travaillant collectivement à l’établissement d’une nouvelle société débarrassée du règne de la monnaie, de la marchandise, du travail au sens capitaliste du terme, et du capital.

C’est pourquoi nous refusons tout retour à la « normale », parce que c’est cette soi-disant normalité qui est la cause de cette crise !

Le groupe La Révolte de la Fédération anarchiste

Note

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