Un dimanche avec « Bonjour vingt jours » aux audiences dites 35bis du TGI de Paris

Ce dimanche 20 mars, K, rencontré lors des campements de migrants et migrantes cet été était présenté devant la cour dite du 35bis au palais de justice de Paris. C’est-à-dire qu’un ou une juge dit de la liberté et de la détention (JLD) était chargé de décider si K pouvait être maintenu en rétention pour une période de 20 jours (renouvelable une fois, le maximum de la rétention étant de 45 jours) afin d’être expulsé, assigné à résidence en attendant d’être expulsé ou libéré pour vice de procédure.

Évidemment ce qu’il faut viser c’est la libération pour vice de procédure : non respect de l’obligation d’être assisté d’un ou une interprète, de bénéficier d’une visite médicale, non respect des délais de notification des droits ou du contenu des droits devant être notifiés (faire prévenir quelqu’un de proche par exemple), …
La mission des JLD c’est donc de vérifier si la procédure et donc les droits des personnes emprisonnées dans une de ces prisons spéciales pour étrangers et étrangères, est respectée.

La mission des avocats et avocates c’est de chercher un maximum de vices de procédures dans les dossiers, de les raccorder à des jurisprudences favorables et de les soulever devant le ou la juge, ce qui n’a pas été le cas lors des audiences auxquelles nous avons assisté. Parfois les avocats ne soulevaient rien, aucun vice de procédure alors qu’il est plutôt rare qu’il n’y en ait pas et que plus on trouve et soulève de vices de procédure, plus il y a de chances que le ou la juge se saisisse de l’un d’entre eux. Sachant que cela reste tout de même à son bon vouloir, à sa juste appréciation, ce qu’il faut traduire par son pouvoir souverain.

Aujourd’hui nous étions inhabituellement nombreux et nombreuses au 3e étage du palais de la cité. Si inhabituellement que la juge a demandé en aparté à sa greffière « C’est quoi tous ces gens ? D’habitude c’est la famille... ».
Si nous étions là pour K, nous l’étions aussi pour tous ceux et pour celles qui ont dû s’asseoir ce dimanche dans cette salle d’audience devant Mme la juge. Devant elle, juste un peu plus bas puisque les lieux sont disposés de telle façon que la justice domine...

Au centre de rétention, le surnom des JLD c’est « Bonjour 20 jours ». Aujourd’hui encore la juge méritait bien ce surnom. Sur les 15 ou 16 personnes que nous aurons vu passer, tout le monde en a pris pour 3 semaines.
La JLD ce dimanche était multi casquettes mais si il y en a bien une qu’elle n’a jamais endossé c’est celle de la liberté.
L’interprète a mis du temps à arriver ? « C’est pas de la faute de la police »
Monsieur ne comprend pas bien le français ? « Les services de police sont très habitués à ce genre de chose. Si il y avait eu la moindre difficulté ils auraient fait appel à un interprète »
Monsieur a besoin d’un suivi médical ? « Ce n’est pas un motif de maintien en France. »
Monsieur a un titre de séjour italien et préférerait être réacheminé en Italie « C’est pas ma compétence ça. Faut qu’il demande à qui ? »
Monsieur a donné le numéro de téléphone de son cousin aux policiers pendant la retenue pour les faire prévenir ? « C’est quoi le grief ? Qu’est-ce-que le cousin aurait pu faire ? »
Monsieur n’a pu exercer ses droits en garde à vue et le procès verbal n’est pas conforme à la réalité « Moi je n’étais pas là, les PV font foi »
Voici un petit florilège de réponses du tac au tac de la JLD aux quelques vices souvent trop mollement soulevés par les avocats et l’avocate de la défense.

Mme la JLD aujourd’hui se sentait plutôt l’âme du juge administratif, demandant sans cesse de façon intrusive aux personnes retenues depuis combien de temps elles vivaient là, si elles avaient de la famille, de quoi elles vivaient... alors que ces critères n’entrent absolument pas en ligne de compte pour ce qu’elle se doit d’examiner. Et surtout alors que la vie des gens, de ce à quoi elle les arrachait, de ce à quoi elle les contraignait, elle n’en avait rien à faire et ne pouvait rien changer à sa décision.
Parfois Mme la JLD était aussi inspectrice du travail s’indignant des conditions de travail des personnes travaillant au noir, voire syndicaliste s’indignant du manque de droits et de protection inhérent à leur statut de travailleurs non déclarés.

Elle était aussi représentante du ministère de l’intérieur ou de l’ofii [1], tançant les personnes qui étaient entrées irrégulièrement en France et leur conseillant de faire le nécessaire pour revenir avec un visa, s’indignant qu’en 4 ans de présence sur le territoire aucune demande de titre de séjour n’ait encore été faite (nonobstant le fait que le statut de plusieurs des personnes présentées les obligent à avoir 5 ans de présence pour espérer une régularisation...). Beaucoup de retenus ont eu droit à des sermons du type de celui adressé à un jeune turc : « Pourquoi n’essayez vous pas de régulariser votre situation ? Vous êtes à Paris en plus. Tout est à Paris c’est quand même facile »
Ou bien : « Vous avez déjà eu une condamnation, cela ne va pas vous aider à régulariser votre situation ».
De toute façon, il s’agissait toujours de renverser la situation, de culpabiliser la personne à qui elle allait infliger une prolongation d’emprisonnement. Peut-être une sorte de mécanisme inconscient pour se dédouaner de tout sentiment de culpabilité nous dirait des psychologues.

Parfois Mme la juge se faisait spirituelle :
« Pas de bol ! » répond-elle à un monsieur expliquant qu’il a été arrêté le jour où il partait en Italie avec sa femme.
À un autre expliquant qu’il vit chez sa tante, et en référence à 2 autres personnes passées auparavant qui vivaient également chez leur tante : « Décidément y a beaucoup de tantes qui hébergent ! »
À un autre lui répondant qu’il a déjà été en rétention mais est sorti au bout de 5 jours : « Vous avez eu de la chance la première fois alors... »
Ou bien alors ne comprenant pas ce que lui explique quelqu’un : « C’est nébuleux ! »

Notre sinistre comique est également une personne polie. À chaque personne qu’elle renverra vers les geôles de Vincennes ou de Cité elle souhaitera « Bon courage ». Les avocats auront droit eux à de « Bon dimanche ».
Et puis bien sûr à chaque fois, Mme la juge explique qu’elle n’a pas le choix. Bah oui, elle n’a pas le choix car bon tout de même elle est tenue par la procédure, cette procédure dont elle s’écarte si souvent pour s’intéresser à des choses qui n’ont justement rien à voir avec elle.

Celles et ceux qui connaissent K, mené devant elle vers 15h, ont eu peine à le voir ainsi, visiblement très éprouvé par la rétention, la garde à vue au cours de laquelle les flics ont détruit ses puces téléphoniques et surtout l’ont malmené et blessé. Plus qu’éprouvé, K semblait malade.
Mais de cela il ne savait être question devant Mme la juge. Des 2 ou 3 vices de procédure soulevés par l’avocat d’office (principalement sur les heures d’interpellation et placement en garde à vue) aucun n’a été retenu car bien sûr « je n’étais pas là pendant la garde-à-vue ». Le fait que K soit suivi par une association dont la présidente était à l’audience et qu’il soit hébergé chez une personne présente n’ont pas non plus permis une assignation à résidence car il n’y a pas eu de passeport à présenter.

En tant que citoyenne soucieuse du fonctionnement démocratique de son pays et de l’État de droit même sous l’état d’urgence, Mme la juge conseillera tout de même à K de porter plainte si il a subi des violences au commissariat. « Et oui, je sais vous allez me dire, c’est pas facile, mais oui il peut porter plainte ».

Par contre elle refusera de se porter garante de l’enregistrement de sa demande d’asile, lui disant qu’il peut la faire au centre de rétention et alors même qu’il n’y est pas et qu’il lui reste moins de 2 heures pour pouvoir le faire (on a 5 jours après l’arrivée en rétention pour faire sa demande et c’est d’heure à heure, plus précisément de minute à minute). Bah ouais, faut pas trop en demander quand même ! Et si on refuse de donner un stylo à K pour qu’il puisse écrire lui même sa demande, et bien ce n’est visiblement pas son problème non plus.

Bref, ce n’est qu’un bref aperçu de ces quelques heures passées avec l’une des « Bonjour 20 jours ».
D’autres me compléteront peut-être.

Aujourd’hui mardi, dans la matinée, K passe devant la cour d’appel du JLD.

Il aura une avocate compétente pour cela même si malheureusement devant la cour d’appel aucun autre vice de procédure que ceux soulevés devant le JLD ne peut théoriquement être retenu par le juge (d’où l’importance d’avoir un-e bon-ne avocat-e au 1er passage).
En tout cas, de nombreuses personnes iront le soutenir, lui et les autres.

Notes

[1office français de l’immigration et de l’intégration

Mots-clefs : justice | migrants
Localisation : Paris

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