Comme beaucoup d’autres, j’étais dans la rue ce 12 mai 2016. Comme beaucoup d’autres, je n’étais pas là que contre la loi travail. Comme tant d’autres j’ai mangé ma part de lacrymo, et avancé malgré tout. Comme j’espère une majorité, je trouve positive la relative bonne entente entre manifestant-e-s de différents types.
Et pourtant. Pourtant je suis… syndicaliste. Pire, je participe régulièrement au service d’ordre (SO) du cortège de mon syndicat. Disons les choses clairement, j’étais membre du SO de Solidaires à cette manif comme à d’autres. Et le moins que je puisse dire de ma position, c’est qu’il y a un certain décalage entre ce que j’ai pu voir hier, et ce qui a circulé récemment sur le Ouèb à propos des SO.
Commençons par le début, l’autocritique est de mise quand on a un mandat. Le SO de Solidaires a : poussé des manifestant-e-s, qui sûrement n’ont parfois pas compris pourquoi ; eu des postures un peu « gros bras » ; invectivé (marginalement) des camarades simplement parce qu’ils étaient cagoulés et mettaient un peu trop de temps à nous laisser passer. Ces critiques sont justes, et l’on peut par conséquent comprendre les quelques insultes que nous essuyons régulièrement. Après tout c’est de bonne guerre, et tant qu’on en reste là, ça ne nuit pas à notre capacité d’agir ensemble.
Ce qui nuit à cette capacité en revanche, c’est quand on trouve malin de croire sur parole la préfecture de police (depuis quand les flics sont une source fiable ???)… Il aura suffi en effet d’un communiqué policier mentionnant « une liaison étroite entre les forces de l’ordre et le service d’ordre des organisateurs » pour que tout le monde s’enflamme. « SO, collabo », « flics, SO, même combat », j’en passe et des meilleures, ça n’a pas manqué d’imagination pour dénoncer la trahison syndicale. À croire que certain-e-s n’attendaient que ça.
Bien sûr, il y en a qui ont vu la manœuvre. Ainsi par exemple, le site Lundi matin accompagnait sa publication du communiqué des condés de la phrase « la préfecture cherche l’embrouille ». Car c’est bien ce qui s’est passé : le seul et unique objectif de ce communiqué était d’attiser la bonne vieille division entre « syndicalistes raisonnables » et « dangereux casseurs ». Et trop de camarades sont tombés dans le panneau. Partant de là, la tension est montée d’un cran à l’encontre des SO de tous types, Solidaires compris, et nous avons eu droit à notre lot de menaces et autres insultes. Quant au fait que Solidaires a tenu lors de cette réunion une position tout à fait correcte à mon sens (à savoir notamment refuser catégoriquement que notre cortège soit encadré de flics sur les côtés, et rendre clair que nous n’allions pas être des facilitateurs d’interpellation), manifestement tout le monde s’en fout.
Maintenant tout ça, c’est du blabla d’avant-manif sur internet, c’est cool quand on s’ennuie, on peut écrire des textes et se révolter sur les rézosocios, mais ça change pas la face du monde. Alors qu’est-ce qui s’est passé dans la rue ? C’est là qu’il y a un énorme décalage, entre ce que j’ai vu et ce que j’ai lu. Parce qu’à part les petits coups de pression liés au communiqué de provocation de la préf, c’était plutôt bien là où j’étais. Le SO de Solidaires a joué essentiellement un rôle dans cette manifestation, et cela a commencé lors des premières joyeusetés devant le Foncia. À ce moment là, l’Unef est devant nous et stoppe son camion, ce qui participe à la création d’un dangereux trou devant. Bien sûr les flics n’ont qu’une envie : combler ce trou avec une jolie ligne de CRS. Le SO de Solidaires prend alors l’initiative de passer devant l’Unef pour combler le trou. L’occasion d’un joli moment où tout le monde semble se satisfaire de ce petit succès : non, les flics ne rejoueront pas le coup du 1er mai en coupant le cortège.
C’est aussi à ce moment que notre action a pu être le plus mal comprise. Car pour avancer, il a fallu pousser un peu. Certain-e-s n’ont pas apprécié sans doute, mais à force de crier « sur les côtés ou avancez », tout le monde semble avoir fini par se dire que ce n’était en effet pas idiot comme tactique que d’avoir une tête de manif (oublions le carré de tête, complètement déconnecté du reste à ce moment) déterminée à avancer, qu’elle soit composé du SO de Solidaires, d’autres manifestant-e-s, ou des deux. Bref, au final, hormis quelques frictions, tout s’est plutôt bien passé, celles et ceux qui voulaient manifester sans trop de risques ont pu le faire, et celles et ceux qui avaient des velléités plus offensives n’ont pas été gênés par notre action. À la limite, les plus à plaindre sont sans doute les manifestant-e-s du cortège Unef, un peu bousculé-e-s quand il s’est agi de les doubler. À l’inverse même, la possibilité à été donnée à des médics de traverser nos lignes pour évacuer des blessé-e-s entre St-François Xavier et place Vauban. Comme quoi quand on discute, on peut faire avancer les choses.
Quand on ressort de la manif, globalement on est plutôt satisfait donc. Personnellement (ce texte n’engage que moi bien sûr), je le suis beaucoup moins quand je vois ce qui ressort sur le net. De multiples textes fustigent l’attitude du SO de tête. En soi, je n’ai rien à y redire, c’est même bien je trouve que les SO soient remis en question (nous compris). Au-delà de la remise en question, les témoignages que j’ai lu appellent en effet une condamnation de ce qui semble avoir été un matraquage aveugle par le SO de tête (soit dit en passant, jeter des pierres sur le carré de tête au risque de blesser gravement des syndicalistes n’était peut-être pas la meilleure chose à faire non plus. Le SO de la CGT n’a pas l’équipement de la BAC, et n’était pas casqué pour ce que j’ai pu en voir. Mais assez parlé d’affrontements auxquels je n’ai pas assisté en direct). Sauf que la manière dont les choses sont présentées pousse à mettre tout le monde dans le même sac. Rien n’est dit sur l’action des autres SO, qui semblent ne pas avoir existé. Ni sur les cortèges syndicaux en général, qui ont eu leur importance eux aussi dans cette manif. Non, on préfère se focaliser uniquement sur les 30 paires de couilles qui ont fait n’imp en tête. Un peu comme quand des syndicalistes se focalisent sur les trois cagoulé-e-s qui ont saccagé un Kebab ou une épicerie dans leur élan, sans voir qu’ils sont loin de représenter l’ensemble des personnes masquées. Même logique de merde.
Or le problème, c’est que tout cela a des conséquences dans la rue. Jusque là, ça se passait plutôt bien. Il y avait parfois de la tension, et même quelques coups, mais on arrivait à rester ensemble. Dans les affrontements avec la police, on voyait des drapeaux syndicaux. Sous les cagoules on trouvait des syndicalistes. Les cortèges syndicaux avaient un rôle dans l’évacuation des blessé-e-s parfois. Bref, on était ensemble, on savait pourquoi, et ça ça fait quand même bien flipper la bourgeoisie, preuve en est l’action des flics depuis plusieurs mois. Et la prolifération de textes qui condamnent les un-e-s ou les autres sans nuance risque de faire capoter tout ça. Je ne dis pas qu’il faut au nom de l’unité mettre de côté tous les désaccords, simplement qu’il faut travailler sur ces désaccords de manière nuancée, si l’on veut que ça tienne. C’est ce à quoi veut participer ce texte. Nous devons discuter, nous parler, et pas sur la base des informations données par la police, si nous voulons garder notre efficacité commune.
Le problème, c’est qu’à sortir des textes juste pour taper sur le voisin, on se retrouve, comme je l’ai vu ce jeudi, avec des camions CGT qui se prennent des projectiles sans savoir pourquoi. Outre le fait que le risque de renverser tout le mojito est réel, je ne vois pas comment ça peut nous aider. Plutôt que de se focaliser sur notre véritable adversaire, on préfère se taper dessus entre nous ? Si on part là-dedans on est foutu. Alors ce serait bien que tout le monde respire un grand coup (attendez quand même la dispersion des gaz), et apprenne la mesure. Tous les SO ne font pas la même chose, et il serait bon, quand on fait des textes qui concluent que SO = flics de réfléchir. À Solidaires, nous avons toujours été clairs sur nos objectifs : protéger notre cortège, faire avancer la manifestation. Ces objectifs ne sont pas incompatibles avec ceux d’autres groupes, et nous n’entravons pas leur action. Parce qu’on est pas des flics justement. En revanche ce n’est pas compatible avec se prendre des attaques (qui fort heureusement restent plutôt des attaques en ligne pour l’instant) parce que d’autres ont fait de la merde.
Donc : on continue à s’embrouiller sur le net, ou on prend acte du fait que dans la rue ça se passe plutôt bien et que ce serait pas mal que ça continue ?
Un membre du SO de Solidaires à la manif du 12 mai