Dans cette expo, il est « question de désordres sociaux, d’agitations politiques, d’insoumissions, d’insurrections, de révoltes, de révolutions, de vacarmes, d’émeutes, de bouleversements en tous genres. » Rien que ça !
Le « commissaire d’exposition » Georges Didi-Huberman, philosophe et historien de l’art, n’est pas vraiment connu pour sa carrière d’agitateur. Et pour cause, ça fait bien longtemps qu’il est au chaud dans le monde de l’art et de l’élite culturelle. Il est donc bien à sa place aussi au Jeu de Paume. Mais qu’est-ce qu’il lui prend d’y parler d’émeutes et de révolutions ? Qu’est-ce qu’il a à voir avec tout ça ?
Dans La société du spectacle, Guy Debord écrivait que « le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». En gros, le problème, c’est pas tant les images elles-mêmes (la production culturelle, de la télé jusqu’à la pub en passant par le ciné et tout le reste) que le monde qui les produit, et avec quels objectifs.
Georges Didi-Huberman, pour son expo, se justifie : « les images sont des actes et non pas seulement des objets décoratifs ou des fantasmes » [1].
En l’occurrence, ces images, ces « actes », agencés dans un musée du coeur bourgeois de la capitale, loin de constituer des « soulèvements », nous rappellent la faculté de récupération du système capitaliste moderne (le « spectaculaire diffus », comme l’appelait Debord). On a affaire ici a quelque chose qui ressemble bien plus à un enterrement de poussées subversives diverses [2] qu’à une incitation à la révolte et à l’insoumission.
Et les essais d’auteur-e-s (re)connu-e-s, cautions vaguement rebelles [3] qui remplissent le catalogue de l’exposition, n’y changeront rien.
Accessoirement, la portée subversive des rappels de moments insurrectionnels à travers l’histoire est neutralisée par un élément inattendu : la présence à leurs côtés d’oeuvres d’artistes contemporains qui sont pour la plupart des représentants apolitiques bien intégrés au monde de l’art et à tout ce qu’il draine d’opportunisme, de grenouillage, de rhétorique et de postures prétentieuses [4].
L’approximation politique de l’exposition est cependant révélée dès le départ par l’image de couverture du catalogue : alors que pratiquement toutes les images « politiques » présentées font partie du spectre « de gauche », la photo de couverture est prise du côté réactionnaire puisqu’on y voit des émeutiers unionistes, favorables à la présence du pouvoir britannique en Irlande du Nord... Bonjour la confusion des genres, mais il faut croire que ce qui a compté avant tout, c’est le swag des lanceurs de pierres plus que leurs objectifs politiques. C’est d’ailleurs confirmé explicitement par Georges Didi-Huberman dans une interview à RFI : « ils sont d’une beauté extraordinaire ». Ha bah dans ce cas...
Au final, les photos et documents de soulèvements révolutionnaires ne servent que d’alibis à une exposition sensationnaliste vide de sens, ou pire, dont l’objectif est l’assimilation des aspérités rebelles : dans un monde où la domination étatique et capitaliste est permanente, que signifie l’exposition d’« images révolutionnaires » au sein d’une institution bourgeoise, si ce n’est une tentative supplémentaire de détourner/ridiculiser ceux et celles qui ne veulent pas s’adapter à un monde qui ne leur correspond pas ? Cette exposition, « c’est une façon de recouvrir toute chose d’un vernis et on oublie ce qui est en dessous » [5].
Souley, Ève & Maha