Se divertir contre - Scandales de l’industrie et pollutions (II)

En ces temps de pandémie, on est sommé·e·s de se divertir pour passer le temps (et faire passer la pilule), et les listes des choses que l’on devrait faire sont innombrables. Mais quitte à être confiné·e·s autant que ce soit dans l’idée d’en savoir plus sur les réalités de ce monde, sur ce qu’il produit réellement, que l’on tente de nous cacher dans un premier temps, puis qui se noie dans la masse du divertissement produit. Et si l’on faisait des listes qui permettent de nous « divertir contre » ? Deuxième partie de l’épisode I des scandales de l’industrie et de ses pollutions.

Se divertir contre - Episode I : Les scandales de l’industrie et de ses pollutions (II) [1]

La suite du premier article [2] dans la même idée. Faire une liste de films accessibles pour se divertir contre les scandales de la société industrielle et aller à l’encontre du pur et addictif divertissement [3] et peut-être donner des éléments d’histoire et de réflexions sur les liens possibles entre les épidémies qu’on croit surgir de nulle part, et nos liens à un environnement naturel qu’on ne comprend plus à force de le dominer, de le transformer, de le détruire [4].

Pour regarder ces films gratuitement, il y a plusieurs possibilités (mais protégez-vous avec un VPN si possible, gratuit avec Riseup ou Calyx)

  1. Streaming : https://hdss.to/ ; https://wvw.papystreaming.is ;
  2. Torrent : https://www2.yggtorrent.me ; https://www.rutracker.org ; https://cpasbien.tf/ ; https://www.limetorrents.info
  3. Stremio : interface très efficace et accessible. Il suffit de la télécharger et d’y ajouter, dans les options, les add-ons “Juan carlos 2”, “pirate bay addon”, “pop corn time” et “Rar”.

Bhopal : A prayer for rain (2014)

En 1984, à Bhopal, en Inde, Dilip arrive à se faire engager comme main d’œuvre dans l’usine de pesticide de la multinationale nord-américaine Union Carbide. Plus grande entreprise de la région, celle-ci fait son possible pour changer la loi locale à son avantage, et ne pas respecter les normes de sécurité dans son usine pour limiter les coûts et satisfaire les actionnaires. En décembre de la même année, alors que Dilip fête le mariage de sa fille dans le bidonville où ils habitent, aux abords de l’usine, une série d’erreurs engendre une réaction en chaîne ingérable libérant un nuage hautement toxique qui, plus lourd que l’air, se répand silencieusement dans les bidonvilles des alentours. Ravi Kumar, réalisateur indien, nous fait le récit d’un des plus graves accidents industriels de l’histoire. Un devoir de mémoire pour un crime impuni faisant toujours des victimes. L’entreprise n’a jamais été condamnée et le site de l’usine n’a jamais été dépollué.

Révélations/The Insider (2000)

Lowell Bergman (Al Pacino) est journaliste d’investigation pour la très réputée émission nord-américaine « 60 minutes ». Un jour il reçoit un colis anonyme d’un employé de Philipp Morris où il trouve des documents internes et confidentiels reconnaissant les dangers pour la santé et l’addiction à la nicotine qu’implique la consommation de tabac. Il prend contact avec Jeffrey Wigand (Russell Crowe), scientifique fraîchement viré de la 3e plus grosse industrie du tabac, pour en savoir plus, et se retrouve avec un témoin clé face aux mensonges des lobbys. Un film qui retrace la véritable histoire de Jeffrey Wigand, lanceur d’alerte ayant participé à rendre public le scandale sanitaire et industriel du tabac. On y aperçoit l’impunité et le pouvoir immense de ces multinationales qui disposent d’un budget illimité et qui usent de tous les moyens de pression pour défendre leurs intérêts tout en détruisant toute personne qui s’y opposerait. Un thriller politique qui pose aussi la fondamentale question du rôle des médias face aux intérêts économiques et financiers de leur Direction.

Le mystère de Silkwood (1984)

Karen Silkwood (Meryl Streep) est employée dans une usine de traitement nucléaire dans les années 1970 en Oklahoma (USA). Suite à plusieurs épisodes de fuites radioactives, elle commence à se poser des questions sur la réelle dangerosité de son activité alors que les services de santé de la société Kerr-McGee annoncent que tout est sous les seuils tolérables. Elle-même victime d’une contamination, elle s’engage dans le syndicat de l’entreprise pour tenter de dénoncer leurs conditions de travail et les malversations internes. Un film basé sur une histoire vraie, celle d’une chimiste qui part en lutte face aux mensonges, aux abus de pouvoir et manipulations d’autorités – lobbys du nucléaire, États et sciences asservies - qui n’ont aucun scrupule à sacrifier leurs employé·e·s pour leurs profits.

The Constant Gardener (2005)

Dans une région reculée du nord du Kenya, Tessa Quayle (Rachel Weisz), une militante altermondialiste, est retrouvée sauvagement assassinée. Le médecin kenyan qui l’accompagnait est porté disparu, et tout porte à croire qu’il s’agit d’un crime passionnel. Mais en tentant de comprendre ce qu’il s’est réellement passé, son mari, diplomate britannique en poste à Nairobi, va découvrir que Tessa enquêtait sur les tests illégaux que les industries pharmaceutiques faisaient sur les populations qu’elles prétendaient soigner. Mais les secrets industriels ne se laissent pas impunément découvrir et sa quête de sens va tout remettre en question. L’adaptation d’un roman de John Le Carré qui dénonce les pratiques de l’industrie pharmaceutique occidentale dans les pays d’Afrique noire, et qui se base sur le « scandale du Trovan », en 2000, par la multinationale Pfizer.

La cinquième saison (2015)

Un petit village belge des Ardennes se prépare à l’habituel rituel de fin de l’hiver et d’amorce du printemps, une cérémonie importante pour ce village, rural et agricole, qui vit au rythme des saisons. Mais au moment où l’hiver est symboliquement jugé, condamné, et doit disparaître dans les flammes d’un feu festif, celui-ci refuse de prendre. La communauté fait face à un évènement qu’elle ne peut pas comprendre. Dans les jours suivants, les habitant·e·s remarquent que les vaches ne donnent plus de lait, que les abeilles ne sont plus là, que les graines ne germent pas. Le printemps refuse de venir. À qui la faute ? Une ambiance visuelle et sonore des plus particulières qui pose l’oppressante question : et si la nature nous abandonnait, comment donnerait-on un sens à ce qu’il nous arrive ? Et comment trouverions-nous un coupable ?

La Supplication (2016)

Adapté du roman de Svetlana Alexievitch, La Supplication reprend et met en scène des récits de personnes ayant vécu de plus ou moins près la catastrophe de Tchernobyl. Qu’illes soient journalistes, veuves de militaires, ingénieur intègre, habitant·e·s de la ville de Pripiat, parents d’enfants post-Chernobyl, on assiste à une mise en images et en sons de témoignages de survivant·e·s, entouré·e·s de fantômes et luttant contre l’oubli, malgré tout. Les plans, tournés sur place 30 ans après, sont d’une beauté hypnotique : séquences lentes, voix mélancoliques. On peut se sentir parfois gêné·e par la poétisation d’une des pires catastrophes industrielles de l’histoire, mais l’approche anti-sensationnaliste de ce film détonne et crée un moment suspendu propice à la réflexion.

Princesse Mononoke (2001)

Au XVe siècle, les forêts japonaises sont détruites par les logiques d’expansion humaine et d’exploitation des ressources naturelles, nécessaires pour la guerre, en particulier les minerais de fer. La forêt se dépeuple progressivement, et la rancœur transforme un sanglier en démon sortant de la forêt pour attaquer aveuglément un village. En voulant le défendre, Ashitaka est touché au bras par le sanglier et subit une malédiction qui se répand dans son corps. Pour espérer survivre, il part en quête des esprits de la forêt, seuls à même de le soigner. Il croise la route de San, la princesse Mononoke, filles de louves, qui a pour cible le village des forges, principal acteur de la déforestation, responsable de la blessure par balle d’autres esprits de la forêt, et cible des groupes de samouraïs souhaitant s’emparer de leurs armes. Un autre chef d’œuvre de l’animation par Miyazaki, du Studio Ghibli, qui aborde, toujours de manière riche et complexe, les questions et dilemmes liés à l’exploitation de l’environnement, la corruption des valeurs et l’harmonie avec une nature dont on essaie de se détacher alors qu’on en est issu·e·s.

La Fille de Brest (2016)

En 2007, au CHU de Brest, Irène Frachon, pneumologue, est confrontée à des cas cliniques particuliers et problématiques, parfois mortels, ayant en commun la prise du même « médicament » coupe-faim. Ses soupçons sont suffisants pour qu’une petite équipe brestoise fasse des recherches sur le Médiator, un médicament des laboratoires Servier commercialisé depuis plus de 30 ans. Mais en tentant d’alerter le milieu médical et de la recherche, elle se retrouve face un monde bien peu préoccupé par la situation, et ne laissant pas impunies les attaques contre le discours dominant (pressions juridiques, suppressions de crédit, discrédits publics). Un scandale récent qui met en lumière le poids de l’argent dans les milieux de la recherche médicale, et des industries pharmaceutiques, et leurs lobbyistes aux casquettes multiples, qui pèsent lourdement sur les commissions d’experts et les décisions prises. Mais un combat où des personnes courageuses (médecins, étudiante, éditeur, journaliste, avocat) prennent le risque d’aller à contre-courant pour tenter d’alerter la population sur des scandales sanitaires.

Black November (2012)

Un film qui commence sur le sol états-unien, avec une prise d’otage très hollywoodienne. Un groupe de Nigériens armés exigent qu’un des otages, directeur de Western Oil, principale multinationale du pétrole au Niger, fasse pression sur le gouvernement nigérien pour qu’Ebiere, militante pacifiste, soit libérée, alors que l’on est quelques heures avant sa condamnation à mort. Sous ses airs de blockbuster, il s’agit en fait du deuxième film de Jeta Amata, réalisateur nigérian, sur l’histoire du Delta du Niger et la malédiction des matières premières. Une entrée en matière qui sert de prétexte pour raconter la vie d’Ebiere, femme nigérienne revenant au pays après ses études et prenant part aux luttes populaires contre la misère. Une porte d’entrée pour parler d’une situation catastrophique, faite d’exploitation et de pollutions par les multinationales du pétrole (en particulier Shell, Chevron et ENI), de corruption généralisée et de répression d’un État militarisé, de guerre civile, et de désastre humain et environnemental (terres souillées, eau polluée, agricultures et pêches impossibles). Le tout avec le soutien ou le silence complice des États occidentaux…

Au nom de la terre (2019)

Dans la campagne française, Pierre, à 25 ans, reprend l’exploitation agricole à son père et se lance dans l’aventure avec Claire, sa femme. Mais les temps ont changé et plus les années passent, entre les prêts à rembourser, les contraintes à la « modernisation » et les projets « clés en mains » pour diversifier sa production, plus le paysan se fait entrepreneur endetté. Pierre tente comme il peut de compenser par d’autant plus de travail et d’efforts, mais que faire fasse aux échéances, aux normes et aux banques ? Une saga familiale inspirée de la vie du réalisateur, un drame quotidien parmi tant d’autres, une immersion dans un monde agricole qui, déjà bien loin d’un idéal paysan, voit ses aspirations et ses espoirs se briser sur une implacable fuite en avant vers un modèle agro-industriel mortifère que défendent l’État et les entreprises.

Rubrique « Ça s’est passé demain »

Soleil vert (1974)

Un film d’anticipation dystopique qui nous embarque en 2022. Les ressources naturelles sont épuisées, l’environnement est dévasté et la canicule est permanente. L’État et sa police veillent au maintien du pouvoir, à un contrôle social constant et à la répression de la population dissidente. Entre misère et euthanasie volontaire, la source alimentaire principale de la population s’appelle Soleil vert, sans que personne n’en connaisse l’origine ni sa composition. Thorn, détective incarné par Charlton Heston, enquête sur la mort d’un riche privilégie proche de la caste des dirigeants, et se retrouve à questionner ce que le Pouvoir cherche à cacher. Une critique marquante de l’industrialisation du monde et de la destruction de l’environnement adaptée du roman d’anticipation du même nom. Et un des premiers films états-uniens mettant en scène les conséquences sociales et environnementales des logiques industrielles.

Wonderful Days (2003)

En 2142, la terre a été dévastée par des catastrophes et conflits d’origine humaine, rendant la planète quasi inhabitable. Ecoban, cité bourgeoise et fermée, doit sa seule source d’énergie à sa capacité d’engendrer toujours plus de pollutions. En manque de débouchés, le pouvoir en place cherche à détruire les dernières zones encore épargnées, dont Marr, une cité bidonville surpeuplée et construite sur des ruines polluées. Une lutte des classes va s’affirmer et s’incarner dans les personnages de Shua, exilé d’Ecoban vivant à Marr et rêvant de revoir le ciel bleu, et Jay, membre des forces de l’ordre, qui verra ses certitudes s’écrouler lors de sa rencontre avec Shua. Un magnifique film d’animation, servi par une musique envoûtante, qui nous parle de luttes des classes, d’environnement et de rêves pour plus de justice sociale et environnementale.

Rubrique « À voir prochainement »

Minamata (202X)

Photographe de guerre, Eugen Smith (Johnny Depp) part à Minamata, au Japon, dans les années 1970, pour enquêter sur ce qui a pris le nom de « maladie de Minamata ». Il fait rapidement face à des autorités locales (officielles et officieuses) qui tentent d’étouffer l’histoire de cette « maladie » : à cette époque, cela fait plus de 40 ans que l’entreprise de chimie Chisso déverse des métaux lourds, et plus particulièrement du mercure, dans l’environnement d’une région particulièrement orientée vers la pêche. Des gens meurent, des chats se jettent des falaises, des médecins dénoncent les scandales, des luttes syndicales se mettent en place, mais rien n’est fait pour stopper les déversements illégaux. Au contraire, et Eugen va vite s’en rendre compte, tout est fait pour étouffer l’affaire. Un film sur une catastrophe majeure de l’histoire des pollutions industrielles, et une des plus « durables » dans son impact humain et environnemental : on parle de 400 tonnes de mercure déversées entre 1932 et 1966.

Note

Image en couverture : photo de la Mer d’Aral (Kazakhstan et Ouzbékistan), résultat d’un détournement de ses affluents par l’URSS en vue de la production intensive de coton. Elle a perdu 70% de sa surface, 90% de son volume, est devenue salée, et a vu en conséquence la plupart de sa faune et de sa flore disparaître.

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