Ce texte est une lettre envoyée par une personne de la mi-vingtaine à l’un de ses ami et camarade (de quelques années son aîné).
Elle s’inscrit dans le cadre d’un conflit autour d’une relation sexo-amoureuse intergénérationnelle impliquant son destinataire. Elle a été relue par l’entourage affectif et politique de son auteur•e, qui l’a invité à la partager plus largement.
L’objectif de cette démarche n’est absolument pas de call out le destinataire de cette lettre ou les personnes qui y sont évoquées, d’où le travail d’anonymisation. Ce texte est rendu public car ses mots pourraient trouver de l’écho chez d’autres, et que s’ils peuvent contribuer à nous faire avancer collectivement sur les enjeux de domination dans les relations alors autant s’en saisir.
Je t’écris suite à notre conversation téléphonique il y a presque un mois. Je veux répéter des choses que je t’ai déjà dites pour être certain•e qu’elles ne puissent pas être déformées ou travesties pour satisfaire une quelconque complaisance. J’encre ces pensées pour qu’elles n’existent pas que dans nos mémoires faillibles, pour te permettre d’y revenir et que tu ne puisses pas y échapper. Elles sont disparates parce que le temps que je passe à réfléchir et écrire tout ça m’est coûteux. Alors je n’y accorderai pas un grand travail de relecture. Je pense que tu as les clefs pour faire les liens non explicités et tirer des conclusions que je n’aurais pas mises en lumière.
Tu crées du danger en faisant vivre une relation pareille. Tu crées du travail politique à ton entourage là où nous sommes beaucoup à en être déjà submergé. Tu es tout sauf un allié actuellement. J’ai l’impression que les discussions mises en place avec tes ami•e•s sont utilisées à des fins de justification, d’excuses et de normalisation de la relation. D’autant que tu refuses de donner du crédit aux seules personnes qui ne vont pas dans le sens de la rendre acceptable. Quand tu ne peux plus manipuler les discussions pour qu’elles te confortent à continuer, tu te braques contre les gens. Tu t’es détourné du seul mec cis qui s’est opposé à toi, alors même qu’il faisait précisément son taf d’allié en nous déchargeant un peu de la charge pédagogique que cette situation exige de nous.
Et puis JPP du côté incel ouin-ouin je tombe si rarement amoureux c’est dur de trouver la bonne personne et quelqu’un qui veut s’engager dans une relation longue. C’est l’heure d’enterrer les rêves de princesses, nous on a buté le prince charmant depuis longtemps.
C’est significatif comme on est si peu ami•e•s entre ados et adultes, ou même juste entre gens de 10 ans d’écart. En fait il me semble que les liens intergénérationnels c’est pas évident à créer et maintenir, car déjà faut se rencontrer, et puis surtout selon notre âge et notre moment dans la vie on est pas traversé•e•s par le même genre de problématiques. Alors comme de par hasard les liens qui existent majoritairement hors cadre de travail sont d’ordre sexuels/romantiques, le plus souvent d’hommes adultes avec des femmes ados, bien pile à l’intersection de rapports de domination par le genre et l’âge. L’expérience, dans les milieux militants, dans le sexe, et globalement dans la vie, c’est un énorme facteur de pouvoir.
Peut être qu’on pourrait s’atteler à essayer d’être potes et/ou camarades de manière pas trop pourrie plutôt que se tester aux modes de relation probablement les plus à risques et à enjeux, nan ?
Près de 10 ans après je continue à découvrir certains impacts de mes débuts de relations et de sexualité bien souvent dans ce genre de cas de figure. L’une d’entre elles est d’avoir une rancœur vivace contre les ieuvs avec qui j’ai sexé à l’époque (y compris ceux qui ne m’ont pas agressé•e) et globalement contre les adultes qui en ont été les témoins passifs et silencieux•ses.
Je serai pas cet adulte c’est dead.
Quand j’avais 15 ans, j’ai saisi mon arrivée en ville comme un droit à devenir qui je voulais être. Sortir de la place de weirdo victimisé•e par les populaires du collège. J’avais une sensation de nouveau chapitre dans lequel je pourrais me tester à un début d’adultness. Je me suis rapidement fait deux bandes de copaines dans mon lycée : une dans ma promo et l’autre d’un an de plus dans celle de 1re. Le dégoût de l’école grandissant à la même vitesse que la rage politique, j’ai poussé la porte des réseaux militants locaux. Les milieux anar’ y étaient très majoritairement trentenaires à l’époque, entre punks, intellos et squatteurs•ses. J’y étais la seule personne mineure. Les plus jeunes gravitant autour du lieu d’organisation me dominaient d’une dizaine d’années et étaient essentiellement des hommes, étudiants ou fraîchement sortis de la fac. Hors des espaces organisationnels et activistes, c’est avec cette petite frange du milieu que j’ai commencé à zoner. On se retrouvait aux soirées, je traînais parfois dans leur coloc, j’y dormais occasionnellement, ils m’embarquaient en manif et en événements aux alentours.
J’étais ravi•e de pouvoir exister autrement que par ma jeunesse et par les cours censés rythmer et contraindre mon quotidien. Je me sentais pris•e au sérieux. Ces paramètres n’étaient évoqués que par la blague : pour me vanner de temps en temps sur la prétendue naïveté qu’ils impliquent, et que je me plaisais à démentir. À chaque provoc’ je sortais les crocs et les griffes. Maintenant je pense que ça les amusait au moins autant que ça les fascinait de me voir ne pas me laisser faire. C’est mignon les chatons fragiles qui se défendent et pensent prendre le pouvoir en jouant avec les tigres. Mon âge devenait aussi un sujet quand il était question de flatter ma déconstruction et ma maturité précoces, quitte à me valoriser par la comparaison avec leurs petites sœurs ou autres ados dans leur paysage, voire même avec mes ami•e•s du lycée qu’ils auraient déjà croisé•e•s et jugé•e•s puéril•e•s. Doucement s’installait une fétichisation étrange de mon adolescence militante. On partageait nos cuites et nos défonces sans aborder le fait qu’elles étaient pour moi des premières.
À cette époque j’entrais en rapport de séduction avec tout mec me le permettant ou presque. Je pensais qu’il n’y avait que comme ça qu’on s’intéresserait à moi. Et certains d’entre eux y ont plongé la tête la première. Je pense que certains voyaient clair dans ma quête de reconnaissance et de légitimité et comment en tirer profit, quand d’autres n’y voyaient R à part qu’ils pourraient tirer un coup.
S’est semée insidieusement dans mon cerveau et dans ma chair l’idée que ma valeur dans l’existence se jouerait en grande partie sur ma sexualisation. Ce que je ferais de mon cul définirait ma place en société. Et baignant plutôt côté progressiste que réac’, c’est vite venu s’incarner en une pression à vivre une sexualité partagée active. Il fallait faire du cul et aimer ça, baiser me rendrait plus viable dans les espaces. Si avoir des liens affectifs est ce qui donnait du sens à l’existence, en avoir des sexuels est ce qui lui donnait de la valeur. Entre prude et salope, les deux options gracieusement offertes aux jeunes meufs ou assimilé•e•s, j’ai vite décidé de rejoindre la team des salopes.
Le patriarcat a roulé sur mon adolescence, en prenant bien le temps de drifter sur chacun de mes recoins.
Les relations abusives ne se sont pas limitées au mecs plus vieux, elles se sont répandues dans chacune des mes sphères sociales. Ceci dit les relations de séduction et de sexualité avec les vieux kem ont eu ça de spécifiques que je ne me suis rendu•e compte que des années après de leur impact. Sur le moment, j’ai cru bien vivre la majorité de ces bouts de relations et plans d’un soir. À vu d’œil d’ado, j’y étais pleinement consentant•e.
C’est une fois sorti•e de cette période que j’ai vu les marques laissées dans mon cerveau et dans mon corps. Je pense que ces gars ont façonné certaines bases de mon imaginaire érotique, alors que ces fondations auraient dû être faites du tâtonnements de personnes qui découvrent ensemble. Ça avait ancré pernicieusement des fausses croyances en moi, comme qu’il faudrait se rendre désirable aux mecs plus vieux parce qu’ils seraient plus désirables que mes pairs. Je me sentais honoré•e d’être digne de leur attention. C’est quand même criant du rapport de domination qui se joue à ce moment là. Si c’est un honneur d’attirer ces regards la question de refuser du cul ne se pose pas. C’est la consécration, tu penses même pas à interroger tes envies et ton désir, tu prends la validation que ça représente de ton existence.
Cette partie de mon histoire a également impacté mon rapport aux drogues. Étant généralement alcoolisé•e et/ou sous prod’ quand j’avais ces relations, quand j’ai commencé à prendre l’ampleur des dégâts j’ai arrêté de faire de la sexualité sans être full sobre et j’ai arrêté de pécho en soirée.
Ma boussole interne sur des questions de consentement en a été profondément déréglée elle aussi. Quand j’ai compris les abus de pouvoir dont j’avais été victime, je me suis engouffré•e dans une spirale de doutes sur ma capacité de discernement de mes propres envies. Si pendant des années j’avais vécu ça en étant convaincu•e de mon consentement éclairé, est-ce que je ne passais pas à côté d’autres éléments dans ma vie actuelle ? J’ai perdu confiance en mon propre jugement, m’empêchant des relations par peur de me sur-traumatiser en couchant avec des gens dont j’aurais pu chercher la validation de dominant. Ça a pété des morceaux de ma confiance en moi, et ça a sévèrement entaché mon rapport au désir.
L’onde de choc post-traumatique m’a poussé•e à mettre en place des moyens d’autoprotection de ouf, même excessifs. Je commence tout juste à me sentir de baisser cette garde, me permettre de lâcher un peu du contrôle.
Je te lâcherais pas parce que je laisserai pas cette relation continuer. Et que je veux que tu comprennes et que tu assumes.
Y a vraiment besoin de te rappeler qu’un des symptômes du patriarcat c’est que les meufs obtiennent une reconnaissance sociale par leur sexualisation ? Y a vraiment besoin de te rappeler qu’un des symptômes de l’âgisme est que les enfants et les ados cherchent la validation de leurs aîné•e•s et des adultes ? Maintenant croise tout ça, fait les maths, et surtout n’observe pas le résultat sans rien en faire.