Une répression et des intimidations en amont du rassemblement
Le comité Adama a une histoire particulière, largement liée à la répression. Non seulement Adama Traoré est mort étouffé par des gendarmes racistes une nuit de juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, mais, depuis des années, toute la famille Traoré subit la répression et des menaces. Des diffamations de la fachosphère d’abord, des intimidations des flics ensuite (d’ailleurs on serait tenté de penser que flics et fachosphère font partie du même problème).
Cette répression a mené à l’incarcération de plusieurs des frères d’Adama Traoré. Yacouba, condamné à 3 ans de prison consécutivement aux émeutes suite à la mort de son frère. Serene Traoré, condamné lui à 4 mois de prison pour outrage envers la maire de droite de Beaumont-sur-Oise. Enfin, Bagui est toujours en prison, accusé d’avoir voulu assassiner un gendarme. Le tout étant évidemment accompagné d’une campagne de presse ordurière visant à salir cette famille.
La répression, le comité Adama vit avec, et la famille aussi. Ce rassemblement n’a pas été en reste puisqu’il a été interdit au dernier moment, quelques heures avant afin d’éviter que les avocats puissent poser un recours. Interdiction immédiatement réfutée par le comité qui a eu le cran d’appeler au maintien de l’événement. Sans coup férir, les flics se sont pointés au domicile d’Assa Traoré dans le but visiblement de l’interpeller. Peine perdue, celle-ci n’était pas là.
C’est donc avec l’idée en tête que les flics voulaient nous réprimer qu’on s’est pointé·e·s à ce rendez-vous. Et à première vue, on avait raison. On a compté 66 camions de CRS (on ne compte pas les gardes mobiles qui étaient également présents du côté de Clichy), un canon à eau, deux équipes de voltigeurs (les fameux BRAV-M – Brigade de répression de l’action violente motorisée), des bétaillères (bus) pour embarquer masse de monde. Parce que du monde, il y en avait.
La foule
En allant à ce rassemblement, nous, militant·e·s, on pensait qu’on serait 2 000, 3 000 voire 5 000 en cas de succès. Jamais nous n’aurions imaginé la foule qui s’est déversée porte de Clichy. Ça arrivait de tous les coins. Une foule super dense sur le trop petit parvis du sinistre building qui fait office de tribunal. Des milliers et milliers de gens très serré·e·s et masqué·e·s.
La composition c’était surtout des jeunes, voire des très jeunes. Beaucoup de lycéen·ne·s. Une bonne majorité de la manifestation était composée de personnes noires, touchées tant par le sort d’Adama que par les émeutes qui secouent l’État le plus puissant de la planète à l’heure où nous parlons.
Les références à Georges Floyd (le lien est facile à faire, Georges Floyd est mort d’un « plaquage ventral » de la même manière que Adama Traoré, Lamine Dieng, Hakim Ajimi ou encore Ali Ziri. Ces techniques policières qui tuent, mais qui restent enseignées dans les écoles de police) et aux États-Unis étaient explicites sur toutes les pancartes. Pancartes qui étaient très variées. Si certaines étaient douteuses (« décolonisons la police » mdr) d’autres étaient vraiment belles. Big up à ceux ou celles qui on sorti le « que font les bons flics quand les mauvais nous tuent ? ». Les femmes étaient aussi très présentes. Mais surtout ce qui marquait, c’était la foule, un flot continu de gens qui se déversaient depuis l’avenue de Clichy et l’avenue Berthier (long des rails du tramway 3B). Magnifique et très fort moment.
Prises de paroles
Pendant un long moment, au moins jusqu’à 20h30, on est trop nombreux.ses sur place (le réseau téléphonique sera saturé une bonne partie de la soirée) pour pouvoir s’approcher de la tribune où se déroulent apparemment des prises de parole. Ce n’est pas gênant, car on est heureux·euses d’être là, en si grand nombre, débordant de tous les côtés, après un confinement éreintant et à l’orée d’une soirée qui s’annonce si belle.
Puis on aperçoit un petit cortège fendre la foule, qui remonte vers le boulevard Berthier depuis le tribunal. Au centre de ce cortège, Assa Traoré, tandis que tout le monde autour la suit. Elle montera sur l’abribus de la porte de Clichy puis fera un discours devant une foule compacte. Au-dessus d’elle, on voit de temps à autre des policiers se pointer aux fenêtres, ils essuieront des « tout le monde déteste la police » et des huées copieuses. La foule scande de nombreux slogans, et très souvent des « justice ! » et « justice pour Adama » résonnent.
Lallement lâche ses chiens de garde
Puis vers 21h10, ce qui devait arriver arriva. Lallement a lâché ses chiens de garde. Les CRS placés non loin de là, entre le parc des Batignolles et le théâtre des ateliers Berthier commencent à gazer la foule.
De nombreuses personnes escaladent des barrières pour passer dans le parc des Batignolles, tandis que, parmi les personnes qui sont restées sur le boulevard des Maréchaux, c’est la débandade : les personnes pour qui c’était la première manif (elles devaient être nombreuses vu l’âge moyen des personnes présentes) courent à tout rompre, créant une petite panique.
On voit là toute la finesse de la pref’ quand il s’agit de disperser et d’apaiser une foule. Cependant, au cours des gazages suivants, et malgré l’absence de matériel de protection (telles des lunettes de piscine – à prévoir pour les prochaines fois !). Certaines personnes, plus aguerries, tentent tant bien que mal d’indiquer à la foule de ne pas céder à la panique à chaque jet de grenade lacrymo. L’apprentissage est rapide, car au bout d’un certain temps, l’on se rend compte que les mouvements de foule deviennent moins importants.
Vu le monde sur place, différents groupes se forment : certains se retrouvent sur le périph’ du côté de la porte de Clichy ; d’autres remontent l’avenue de Clichy ; d’autres s’en vont calmement par le boulevard Berthier à l’est, créant un flot de centaines de personnes qui marchent en cortège silencieux ; d’autres s’en vont par la rue de la Jonquière, et forment un cortège plus dynamique qui se transformera en manif sauvage jusqu’à la porte de la Chapelle ; enfin plusieurs milliers de personnes restent sur place encore.
Divers points de vue
On décide d’abord de partir vers l’est, où beaucoup de monde sort du dispositif policier. On aperçoit au loin, en regardant vers le croisement avenue de Clichy/boulevard Berthier, ce qui s’apparente à des feux de poubelle, et les jets réguliers de grenades lacrymo, qui tombent en pluie. Derrière le soleil couchant se reflète sur les vitres d’un building donnent une teinte rougeoyante qui se mêle aux feux de poubelles. Les gens sur le boulevard des Maréchaux discutent, regardent, scandent des slogans. D’autres prennent des photos entre potes, certaines sont marrantes. Bref, l’ambiance est loin d’être morose.
Certain·e·s d’entre nous préfèrent rester au niveau du périphérique. Sous le pont, plusieurs barricades brûlent. La fumée est noire et épaisse. En conséquence, plusieurs centaines de personnes investissent les voies du périphérique sur lesquelles quelques (timides) barricades sont montées. Les nombreux klaxons donnent une ambiance survoltée renforcée par la présence d’un manifestant monté, à l’occasion, sur le toit d’un poids lourd !
Après quelques minutes de liesse générale, des escarmouches avec les forces de l’ordre ont lieu sous le pont périphérique. Elles sont assez intenses, et le gaz lacrymogène vient noyer toute sortie possible, sauf à être incommodé. Après quelques timides charges, une partie des manifestant·e·s parvient à s’extirper de l’entrée du périph’ pour rejoindre le gros du rassemblement au croisement avenue de Clichy/boulevard Berthier (au niveau des rails du tramway). Une autre partie s’engouffre dans la ville de Clichy-la-Garenne et part saluer comme il se doit les locaux du commissariat municipal.
On décide pour notre part de se rapprocher à nouveau du croisement avenue de Clichy/boulevard Berthier. Au moment de revenir vers les lignes de flics, on voit le canon à eau des CRS derrière leurs camionnettes, et on se demande bien quel était le projet avec ce canon à eau, qui se retrouve Gros-Jean comme devant, inutilisable. Enfin, on ne se plaint pas. En traversant les lignes de flics, on se retrouve dans une foule de personnes qui tapent en rythme sur une de leurs camionnettes, et on scande avec elleux « justice, justice ! » ainsi que « assassins, assassins ! ». On continue de s’approcher, d’autant qu’un gros panache de fumée noire nous intrigue au début de l’avenue de Clichy : c’est un feu de vélos et de trottinettes électriques en libre-service, qui trouvent enfin là une utilisation saine, et c’est assez impressionnant à voir. Peu de temps après, on entend une détonation, et des lacrymos qui retombent, les flics se rapprochent. Rebelote, on s’éloigne vers l’est.
Les slogans « justice pour Adama » continuent, il est 22h et les flics ont décidé de noyer massivement le croisement de gaz pour faire partir les gens. Cela se fera en plusieurs salves, et pendant l’une d’elles on part par la rue de la Jonquière. On revient vers l’avenue de Clichy par des petites rues, où se trouve encore du monde et où tombent des lacrymos de manière régulière aussi. L’ambiance ici est similaire aux autres endroits, des bris de verre parsèment nettement plus le sol qu’ailleurs, et on voit en prime des feux d’artifice tirés vers la petite ceinture. En passant par la rue Cardinet, un groupe d’une cinquantaine de personnes avec une enceinte chante en cœur Fuck le 17, ce qui résume bien la teneur de la soirée.
Des participants au rassemblement