Retour à vif sur l’occupation interrompue des Beaux-arts

L’occupation des Beaux-arts aurait pu être l’occasion de coordonner l’hétérogénéité du « cortège de tête ». Son interruption prématurée donne à réfléchir. Ce texte est une tentative de clarification, autant qu’un appel à renouveler l’expérience.

C’est que l’occupation des beaux-arts aurait pu bien tourner. Une petite poignée d’interventions en tout début d’Assemblée Générale, le 12 mai, avaient les bons mots, pour amorcer les bonnes choses. Elles disaient, que peut-être le « cortège de tête » avait trouvé un espace sur lequel s’adosser, et dans lequel discuter de ses stratégies de lutte. Elles disaient vouloir habiter les lieux, pour y préciser ces choses pratiques qu’il faut mettre en place, et qui clarifieraient ce que fait le cortège hétérogène qui s’agrège à l’avant, et qui a été l’objet de tensions ces dernières manifestations.

L’occupation des beaux-arts a tourné court. L’Assemblée générale a été un moment quelque peu insolite, où se sont retrouvé.e.s étudiant.e.s des beaux-arts-étudiant.e.s des facs mobilisé.e.s-« nuit-deboutistes » et membres de groupes autonomes. Leur langage est extrêmement différent. Il y a ceux et celles qui s’impatientent parce qu’il n’y a lieu à se réunir que pour s’organiser concrètement et ceux-celles qui se dispersent dans leurs interventions parce qu’il leur faut le temps de se réjouir.
Des choses ont crispé. On a insisté sur le fond d’oeuvres de l’école et la nécessité de sa sauvegarde. Puis il fallait tout de suite négocier la présence des médias. A ces deux préoccupations, on pourrait peut-être s’aventurer à répondre qu’on "s’en fout". Les œuvres auraient pu faire l’objet d’une discussion calme en dehors de l’AG pour les sécuriser. Quant aux médias, lorsque est prise au sérieux l’occupation d’un lieu, et ce qu’elle pourrait avoir d’inédit, il conviendrait de s’isoler un peu, d’attendre que quelque chose émerge avant de négocier sa mise en image. Tout le dédain que les lignes éditoriales des médias de grande audience ont exprimé à l’égard du mouvement et de ses foyers de puissance, nous font dire que, de toutes les façons ce n’est pas dans la joute des communications que nous gagnerons. Ils gagnent cette joute-ci parce qu’ils en ont la technologie. Mais nous, voulons-nous gagner à la fin ?

Quelque chose a manqué à cette occupation et c’était la patience. Aucun des groupes en présence n’en a réellement fait preuve. Il y avait parmi les accueillant.e.s la crainte –compréhensible- d’être débordé.e.s par la situation, que les lieux soient dégradés, qu’ils en soient dépossédé.e.s. A ceux/celles-ci, je dis d’abord, que leur démarche est à saluer. Il faudrait comprendre que le souci de maintenir ensemble leurs pratiques en atelier et une occupation ouverte à tout.e.s ceux/celles qui sont en mal d’un lieu où coordonner le mouvement et où se donner le moyen de l’insurrection « joyeuse et déterminée », tient au souci de durer. Qu’il tient aussi à la nécessité de joindre l’institution dans sa vocation et ses pratiques, au mouvement dans son ensemble. Ceci est à saluer. Seulement, on ne peut tout à la fois ouvrir son institution, et réclamer dès la première nuit que le groupe hétérogène qui y est rassemblé se régule dans l’immédiat. On ne peut tout à la fois diriger sa volonté vers quelque chose comme « Notre œuvre : la chute du gouvernement » et ne pas prendre sur soi que les locaux soient le lieu d’une agitation inédite et que partout dans un premier temps, on en retrouve les traces. Les possibles dégradations sont regrettables, elles sont à limiter, mais il aurait fallu en faire la relecture. C’est parce que quelque chose est sur le point de déborder, que les gens ne se rendent pas sur les lieux comme à une conférence. Cette peur du dérapage a été partagée par beaucoup, et elle est le symptôme de quelque chose qui résiste, et qui est que nul.lle n’est persuadé.e qu’il y a quelque chose de substantiel et de radical à gagner au sortir de ce mouvement. Alors on y protège ses arrières, on est réticent.e.s à ce qu’il peut arriver d’imprévisible, alors même que comme d’autres l’ont écrit avant moi, c’est en étant « insaisissables », qu’il y aurait quelque chose à mettre en déroute. Et qu’il y a des risques, des pertes à endosser.
Quelque chose de réjouissant aussi par exemple, a été la présence « des autonomes » en Assemblée Générale. Seulement, il aurait aussi fallu ne pas se braquer d’entrée de jeu parce que des interventions ont dénoté quelques méfiances à l’égard de leurs modes d’action, et comprendre le profil des personnes en présence, rendre stratégique la manière de s’y allier, le langage et le ton par lequel se coordonner avec eux.

Maintenant les beaux-arts ne sont pas une fin en soi. Il s’agissait de la possibilité d’avoir un lieu, des salles où possiblement se réunir entre différentes composantes du « cortège de tête » et de sa "zone tampon" (les étudiants de la coord d’ile de France), et de penser toutes les stratégies qui conviendraient à toutes les formes de lutte. J’aurais voulu y discuter de ces choses sur lesquelles j’hésite : comment dérouter les flics en manif, désobéir intelligemment aux règles de manifestation, savoir comment être solidaires avec efficacité avec ceux/celles qui vont directement affronter les flics, savoir comment faire circuler les mots d’ordre en manif sans imposer des mots d’ordre à des groupes avec lesquels on ne s’est jamais coordonné, savoir comment doser sa peur et se retirer des lieux quand il le faut… Sans pour autant postuler que cela aurait marché, on aurait gagné à s’y essayer.
Il y avait aussi cette chose qu’il était possible d’espérer : du choix groupé de s’organiser, de tenir un lieu, on espère voir naître un peu "d’inconscience", juste la dose nécessaire pour se défaire quelque peu du « bon sens », ou « sens des réalités ». Lorsque cette forme d’inconscience est un climat collectif, elle pourrait nous rendre à la fois persuadé.e.s qu’il y a quelque chose à gagner, et nous rendre plus combatifs/combatives.
Mais je ne sais pas, je ne suis pas sûre de ce que je dis. Il reste que malgré tout ce qu’avait le 49.3 de prévisible, tout comme le déploiement du dispositif policier autoritaire qui s’en est suivi, il est venu à point, il est l’affront frontal qu’il fallait, la décision abjecte en plus, qui met en jeu des choses presque charnelles, qui se rapportent à ce que les humiliations ont d’insupportable. De quoi donner l’impulsion qu’il faut.

Alors trouvons les lieux où s’organiser.

Que le « cortège de tête » trouve à se réunir pour réfléchir aux semaines qui viennent.

Des clarifications hésitantes, de la part d’une étudiante.

Mots-clefs : occupation
Localisation : Paris 7e

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