Article originellement publié sur Dialectik Football.
« Le Red Star c’est uniquement à Bauer, c’est le gardien de notre histoire, il est gravé dans nos cœurs », ce chant entonné par le kop, résume tout. Le stade Bauer est plus qu’un stade. C’est devenu un lieu historique. Son nom déjà. Officiellement stade de Paris, tout le monde l’appelle « Bauer », comme la rue qui y mène. Un hommage au Dr Bauer, résistant fusillé par les nazis au Mont-Valérien le 23 mai 1942, tout comme Rino Della Negra, joueur du Red Star et membre du groupe Manouchian, le sera un peu plus tard. Situé en pleine ville, près des puces de Saint-Ouen, le stade municipal construit en 1909 fait partie du patrimoine de cette commune de l’ex « Banlieue rouge ». Il a très peu bougé depuis sa dernière vraie rénovation remontant à 1974. Mais sa vétusté n’est pas seulement le fait du temps qui passe, elle résulte aussi d’une volonté politique de laisser le stade se détériorer. L’extension de la gentrification de l’Est parisien à la proche banlieue a mis le stade, ces dernières années, au cœur d’enjeux politiques et immobiliers, où le prix du mettre carré joue un rôle important. On revient sur ces vingt années de va-et-vient, de poker menteur et petit jeu avec les nerfs des supporters.
1997 : « Candidat naturel » pour résider au Stade de France
Dès 1997, le club s’était porté candidat et était fortement pressenti pour devenir le club résident du Stade de France, fraîchement construit. Le président Jean-Claude Bras fonce à la tête la première dans cette candidature. Basile Boli est même annoncé comme futur manager général du club. Mais le Red Star voit finalement son dossier retoqué par la DNCG en 1998, jugeant qu’il n’apportait pas les garanties financières nécessaires. Dans cette optique d’évoluer au Stade de France, tout projet de rénovation du stade Bauer avait été abandonné. Au vu de la vétusté de l’enceinte audonienne, la Ligue nationale (ancêtre de la LFP) contraint alors le Red Star à s’exiler. Du 8 mai 1998 au 12 octobre 2002, les verts et blancs évoluent au stade Marville de La Courneuve. Pendant cette parenthèse, Bauer dépérit. La toiture est même sérieusement impactée par la tempête de 1999. Le stade semble alors condamné. D’autant que, sur le plan sportif et financier, le club est en crise. Relégué en national à l’issue de la saison 98/99, il enchaîne les relégations, sportives et administratives, et passe de la D2 à la DH (6e niveau) en cinq ans. Si la présidence chaotique de Bras a largement de quoi être pointée du doigt, on notera que cette descente aux enfers correspond à la période d’exil loin de Bauer. Ce n’est qu’en 2002, quand la mairie de Saint-Ouen finit par débloquer des fonds pour remettre la toiture en état, que le club retrouve son stade. Mais c’est un Red Star en loques. Il est mis en liquidation judiciaire en novembre 2002.
2006 : Le projet des Docks
Après cet épisode douloureux, l’heure est à la reconstruction du club. Tant que le Red Star évolue dans les divisions amateurs, la nécessité d’un stade neuf, répondant aux normes exigeantes du football professionnel, ne se fait pas pressante. Mais en 2006, alors que le club a entamé sa remontée et évolue en CFA (4e division), apparaît le projet d’un stade flambant neuf dans le cadre du plan d’aménagement de la friche industrielle des Docks de Saint-Ouen. Projet soutenu par la maire de gauche Jacqueline Rouillon. Patrice Haddad, nommé président du club en 2008, va aussi s’avérer être un ardent défenseur du déménagement aux Docks, qu’on annonce alors pour 2020. À cette époque, on parle d’un stade de 20 000 places, mais aussi d’un projet ultra coûteux (environ 200 millions d’euros). Haddad et la direction du club, dans une stratégie de communication mal rodée, présentent ce projet comme une fatalité et imputent en grande partie à la mairie la responsabilité d’un départ de Bauer. Le Collectif Red Star Bauer, catégoriquement opposé à ce déménagement aux Docks, n’est pas dupe du double discours de la direction. Haddad est, selon le collectif, « déterminé à quitter Bauer mais incapable de l’assumer pleinement devant les supporters ». C’est finalement le changement d’équipe municipale en 2014, avec l’élection du maire de droite William Delannoy, qui va enterrer ce projet. Mais la pérennité de Bauer n’est pas garantie pour autant, car la mairie aimerait bien réaliser une opération immobilière sur le site du stade, situé dans un quartier qui suscite des convoitises.
2015 : Des tergiversations et toujours pas de rénovation
Malgré des promesses et des déclarations contradictoires, il devient de plus en plus clair que Delannoy ne souhaite pas non plus financer la rénovation de Bauer. Il renvoie la balle dans le camp de Haddad. Alors qu’en 2015, le retour du Red Star en Ligue 2 se profile, la mairie de Saint-Ouen commande une étude à un cabinet de consulting sur la faisabilité des travaux de rénovation. La mise aux normes du stade est indispensable pour y évoluer en Ligue 2. Mais c’est un sujet épineux sur lequel s’écharpent la mairie et la direction du club. Suite à l’étude, une piste de rénovation évaluée à 5 millions d’euros est avancée, mais sa réalisation ne serait pas effective avant 2017. De plus, le club et la mairie sont incapables de se mette d’accord sur la répartition des frais. Ces tergiversations mènent le Red Star à une impasse. Sans stade homologué, le club est une première fois contraint de migrer au stade Pierre-Brisson de Beauvais, à environ 80 km de Saint-Ouen.
Le Collectif Red Star Bauer n’abandonne pas son combat pour la rénovation du stade. Pris en tenaille entre le club et la municipalité, il lance la campagne de financement participatif « 1 000 supporters pour Bauer ! » Le but : lever des fonds pour contribuer aux frais de rénovation, mais surtout alerter sur la situation bloquée. Dans ce panier de crabes, le collectif est le seul acteur sincèrement attaché à Bauer et à son histoire. Il n’a cessé de plancher sur un contre-projet de réhabilitation conservant l’aspect historique de Bauer et du quartier. En vain. Une histoire qu’Haddad est prêt à liquider depuis le début de sa présidence, enfermé dans sa stratégie de développement économique et son objectif de voir le club en Ligue 1 en 2024.
2018 : La destruction/reconstruction, quel compromis ?
Après une saison 2016/17 dans le très huppé 16e arrondissement de Paris, au stade Jean-Bouin, ponctué par une descente en national, toujours pas de rénovation en vue. En l’état, Bauer est homologué pour le troisième niveau jusqu’en 2021. Le retour à Bauer est une vraie bouffée d’air. Le club finit même champion de national 2017/18. Mais la direction multiplie les choix douteux éloignant le Red Star de son identité populaire, avec notamment la nomination du macronien Grégoire Potton comme directeur général. Concernant Bauer, alors que le club va remonter en Ligue 2, aucune mise aux normes – notamment l’installation d’un système de vidéosurveillance – n’est prévue. En solution de repli, la direction espère pouvoir jouer au stade Yves-du-Manoir à Colombes. Mais, pour une histoire de 220 lux manquants, il ne remplit pas les normes d’éclairage exigées par la LFP. Quelques semaines avant la reprise du championnat, le couperet tombe : retour à Beauvais pour la saison 2018/19. C’est un immense sentiment de gâchis pour les supporters. En coulisse à la même période, le stade Bauer est retenu parmi les sites de l’appel à projets d’aménagement et d’urbanisme « Inventons la Métropole du Grand Paris ». Haddad se réjouit et y voit « une avancée concrète ». Il est vrai que pour la première fois depuis vingt ans, la sauce à laquelle va être mangé le stade Bauer se précise.
Si les projets des promoteurs « finalistes », en termes d’architecture et de montage financier, sont confidentiels jusqu’au choix du jury, leurs grandes lignes sont connues. Dans tous les cas, Bauer sera détruit et non rénové. La conservation de l’emplacement de Bauer semble être un compromis aux yeux de supporters qui ne voulaient pas y voir pousser des appartements de standing. Mais la privatisation annoncée signifie que ce nouveau stade devra être rentable, avec les risques de « disneylandisation » que cela implique. Sachant que le Red Star, pour l’instant cantonné à un simple statut de locataire, n’a pas son mot à dire. Les trois projets incluent d’ailleurs une surface – entre 20 000 et 35 000 m² – dédiée à l’ouverture de commerces, selon StreetPress. L’identité populaire du club risque d’en prendre un coup.
Le Collectif Red Star Bauer en est conscient. Il a déjà publiquement fait part de ses « exigences » concernant la future enceinte. S’il a déclaré ne pas souhaiter « s’opposer par principe à une opération de destruction/reconstruction du Stade Bauer », au vu des coups tordus répétés dans l’histoire du stade et de l’appétit des promoteurs, il pourrait bien être amené à réviser sa position.