Ces 150 jours ont été cruels et difficiles, ils n’ont rien apporté à Israël et ne lui apporteront rien, ni à court ni à long terme. Au contraire, le Hamas en est sorti renforcé. Des milliers de ses combattants ont été tués, mais il est devenu un héros dans le monde arabe. Pourtant, la plupart des Israéliens veulent au moins 150 jours de plus de la même situation ; il n’y a eu aucune opposition publique à la guerre, même après cinq mois de mort et de destruction à une échelle sans précédent, après qu’Israël est devenu un paria, haï dans le monde entier, meurtri et économiquement sinistré.
Il n’y a pas un seul domaine dans lequel le pays se porte mieux après ces derniers sombres mois – les plus sombres de son histoire. Israël est aujourd’hui beaucoup moins en sécurité qu’il ne l’était avant la guerre. Il fait face au risque d’une escalade régionale, à des sanctions mondiales et à la perte du soutien des États-Unis. Il est également beaucoup moins démocratique – les dommages causés par la guerre aux institutions démocratiques israéliennes sont encore plus importants que ceux causés par le coup d’État judiciaire – et les dommages qui s’accumulent demeureront après le retrait de Gaza des Forces de défense israéliennes.
Quant à son statut au plan international, Israël n’a jamais été un tel paria ; même nos liens quasiment garantis avec les États-Unis se sont détériorés à un point que nous n’avions jamais rencontré auparavant. Un constat : le bilan quotidien des soldats tombés au combat ; le fait que la plupart des otages n’ont pas encore été libérés, que des dizaines de milliers d’Israéliens ont été déplacés à l’intérieur du pays ; la moitié du pays est une zone dangereuse. La Cisjordanie menace d’exploser, et rien ne peut cacher la haine sans rivage que nous avons réussi à semer à Gaza, en Cisjordanie et dans le monde arabe.
Et aucune amélioration ne se profile à l’horizon tant qu’Israël refusera obstinément toute proposition de changement fondamental. Les Israéliens veulent toujours plus de la même chose, comme un joueur qui a perdu tout son argent mais qui reste convaincu qu’un pari de plus lui permettra de gagner le jackpot.
Avec 100 morts palestiniens par jour, les Israéliens semblent convaincus que 30 000 morts supplémentaires feront de Gaza un paradis, ou du moins un endroit sûr. Il est difficile de se remémorer un tel aveuglement, même en Israël. Il est également difficile de se souvenir d’un tel état de stupidité morale. Les laisser affamés et sans eau, les laisser suffoquer, les laisser mourir – même la gauche et les médias israéliens ont adopté ce mode de pensée. Emmenés les yeux fermés, personne ne s’arrête pour demander où l’on va. L’essentiel est de poursuivre la guerre parce que le Hamas veut qu’elle s’arrête et que nous sommes là pour lui montrer de quoi il en retourne.
Nous avons le devoir de dresser un bilan – « Qu’est-ce qu’Israël a retiré de la guerre » – et de nous interroger ensuite courageusement : fallait-il entrer en guerre ? Laissons de côté les slogans (justifiés) sur le fait qu’aucun pays n’aurait toléré une attaque aussi cruelle contre son peuple, sur le droit d’un pays à se protéger et sur ce que les gens auraient voulu qu’Israël accomplisse. Après 150 jours au cours desquels il n’y a rien à inscrire dans la colonne bénéfices de ce bilan, si ce n’est des coûts élevés, nous pouvons commencer à douter de sa sagesse du strict point de vue d’Israël.
Nous n’avons encore rien dit du prix exorbitant, bouleversant pour Gaza et ses habitants qui, dans les ténèbres de la guerre, subissent plus de violences que jamais.
La plupart des Israéliens – ceux pour qui le sort des Palestiniens n’a que peu d’intérêt et ceux qui s’en réjouissent même, et ils sont nombreux dans ce cas – doivent s’interroger : hormis la satisfaction que procure la destruction de Gaza, qu’avons-nous obtenu d’autre de cette guerre ? Regardez les résultats. Les choses ne feront qu’empirer. Est-ce vraiment ce que vous voulez ?
Gideon Levy