Pendant sept ans, Manuela Frésil a filmé et enregistré des ouvriers dans des abattoirs industriels de l’ouest de la France. Elle a filmé les cadences hallucinantes de la découpe, l’univers dément de ces chairs animales tailladées, de ces tendons sectionnés, de ces viscères mises à nu. Bien loin d’un reportage filmé, d’un simple documentaire de dénonciation, Manuela Frésil a travaillé en orfèvre au sertissage de la parole et de l’image. Des comédiens invisibles lisent les paroles que les ouvriers ont prononcé lors des enregistrements sans que jamais ces textes se rapportent directement aux images montrées à l’écran. Peu importe que des cadences effroyables entraînent systématiquement ce que l’on épingle désormais du nom de « troubles musculo-squelettiques. » Peu importe que ces hommes et ces femmes emmènent avec eux, chez eux, l’abrutissement de la non vie. Peu importe que le monstre Usine broie leurs rêves et leurs désirs. Seul importe le profit du capital investi.
Au-delà de la description terrifiante d’un univers concentrationnaire où s’engloutit toute humanité, c’est, en creux, un appel à une autre vie que suscite la vision de ce chef d’œuvre bouleversant qu’est Entrée du personnel. Tout d’abord, on est frappé par la toute puissance du patronat dans ces usines, par l’absence de résistance de ces ouvriers. Puis, très rapidement, les questions se pressent en foule : faut-il vraiment massacrer autant d’animaux pour que vivent les hommes ? Et les découper ensuite comme autant de morceaux de sucre ? Et que reste-t-il de la vie des hommes et des femmes après vingt ans, trente ans passés dans ces abattoirs où ce ne sont pas seulement les animaux qu’on égorge ? Sommes-nous réel lement condamnés à de tel les existences ? D’autres façons de travailler, de se nourrir, de vivre seraient-elles envisageables ? Ce sont, par défaut, toutes les interrogations que ce film terrible et magnifique charrie avec lui.
Les syndiqués de la CNT Solidarité Ouvrière et d’autres organisations syndicales et révolutionnaires en discuteront en présence de la réalisatrice.
Samedi 5 avril 2014 à 14h, à la librairie l’Émancipation, 8 impasse Crozatier 75012 Paris.
Repris de La bataille socialiste