Prenons en otage le gouvernement

Dans le mouvement social actuel, les affrontements avec les forces de l’ordre n’ont pour l’heure pas encore dépassé les limites de la société du spectacle et du spectre de la liberté.

Nous vivons une époque à laquelle la dénomination de Trente Piteuses conviendrait tout particulièrement. Conscient.e.s que la démocratisation passée du système scolaire n’a finalement eu pour seul objectif que de répondre aux logiques de rentabilité du capital, il ne nous échappe pas que la sélection – à défaut de redoubler les inégalités scolaires pré-existantes – repose sur une logique tout à fait similaire, bien que menée en un sens différent.
L’élévation du niveau de qualification et du niveau de vie octroyée lors de la précédente phase du capitalisme n’a été que les prémices de notre dépossession présente et à venir, du fait de notre intégration dans la reproduction ainsi que la diffusion de ce système terroriste. Et pour cause, l’expansion inexorable du marché capitaliste se poursuit encore bel et bien, pour se tourner à présent vers les services publics et dans la foulée n’en faire qu’une bouchée, ce bien que leur privatisation ne suffise en rien à assouvir l’appétit vorace de nos tyrans.

Face à cela s’exprime la grogne dont l’écho résonne à travers tout le pays et par delà les frontières : les universités sont bloquées, un nombre impressionnant de secteurs sont en lutte (Carrefour, Air France, Cheminot.e.s, Hospitalier.e.s, Postier.e.s, Éboueur.se.s, Fonctionnaires, Avocat.e.s, Électricien.ne.s, etc.), les Zadistes résistent ; et les manifestations ainsi que les actions coup de poings s’enchaînent…
Notons que les quartiers populaires – DOM-TOM compris – éternels absents des mouvements sociaux ne dérogent pas à la règle et continuent de jouer en touche malgré eux puisque la « convergence des luttes » tant évoquée dans les discussions et les assemblées, jusque dans les médias, ne semble pas les concerner. Pourtant, il apparaît que ces personnes sont et ont toujours été les premières à faire les frais des mesures scélérates du gouvernement – comme l’illustre aussi le projet de loi asile et immigration – et paradoxalement celles ci sont continuellement mises à l’écart car non considérées comme partie prenante de la société. A cela il faut aujourd’hui remédier une bonne fois pour toute, s’agissant de la condition même d’une victoire potentielle du mouvement social, afin de faire cesser en son sein la reproduction de logiques capitalistes de domination racistes et impérialistes.

Et quand bien même il venait enfin à se réaliser ce qui est jusqu’alors apparu comme insurmontable – du moins pas pour l’État dont les techniques contre-insurrectionnelles, héritées de la Guerre d’Algérie, ont elles réussi le pari de la « convergence des luttes » en s’appliquant maintenant à l’ensemble des insurgé.e.s, des quartiers populaires au Black Bloc.
Tout porte à croire que la dynamique de changement présente sous nos yeux n’en est pas réellement une, au sens où la négativité a déserté le champ de la contestation. Pour l’essentiel la conscience du mouvement social est pleinement en phase avec la psyché de la société de consommation et ne vise pas radicalement le renoncement aux besoins marchandisés et imposés par celle ci. Plus encore la misère matérielle et psychique vécu quotidiennement n’a vraisemblablement pas atteint un stade suffisamment insupportable pour que la servitude volontaire communément partagée laisse place à une libération générale des pulsions de mort.

A cet effet, les affrontements de plus en plus récurrents avec les forces de l’ordre ont pris la forme d’une ritualisation et constituent donc un énième objet consommable auquel la satisfaction contenue dans la répression nous détourne de la condition initiale à notre victoire. Cette satisfaction se fait ainsi au détriment de l’exigence de se désidentifier du système capitaliste qui en nous substituant à nous-mêmes à rendu quasi impossible la confrontation face au capital non plus contre nous-mêmes mais avec nous-mêmes.
Dans cette épreuve, vraisemblablement nous devons prendre conscience que désormais il ne faut plus seulement nous satisfaire d’une mort institutionnelle. Il est impératif de mener enfin à son terme le renversement de l’ordre des choses tel qu’il a été institué : ne soyons plus les otages du capitalisme, les agent.e.s du capitalisme doivent devenir nos otages et ce par tous les moyens

« On croit mourir pour la Classe, on meurt pour les gens du Parti. On croit mourir pour la Patrie, on meurt pour les industriels. On croit mourir pour la Liberté des personnes, on meurt pour la liberté des dividendes. On croit mourir pour le Prolétariat, on meurt pour sa bureaucratie. On croit mourir sur l’ordre d’un État, on meurt pour l’argent qui le tient. On croit mourir pour une nation, on meurt pour les bandits qui la ballonnement. On croit – mais pourquoi croirait-on dans une ombre si épaisse ? Croire, mourir ?… quand il s’agit d’apprendre à vivre » [1].

Note

CRR

Notes

[1François Perroux, La Coexistence Pacifique, vol. III, p. 631.

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