Pourquoi Macron a-t-il dissout l’assemblée ?

L’histoire des années 1930 nous a appris qu’il arrive des moments où la bourgeoisie offre le pouvoir aux fascistes. Nous y sommes.

Hier soir, dans les quartiers généraux de partis, lors de l’annonce de dissolution par Macron, un seul courant politique sautait de joie : l’extrême droite. Dans les locaux du RN, les gens hurlaient de bonheur, faisaient la fête : ils se voyaient déjà au pouvoir. Chez les macronistes, tout le monde était K.O. Ils savent qu’ils ont perdu. La plupart des députés Renaissance ne seront pas réélus. Le macronisme est massivement détesté, n’a aucun réservoir de voix, aucun allié.

Macron a choisi son jour : il organise des élections en urgence au moment précis où l’extrême droite réalise le plus gros score de son histoire. Le jour où la gauche est plus divisée que jamais. Le jour où son camp est quasiment déjà éteint. Bref : il a attendu que toutes les conditions soient réunies pour que le RN soit dans la meilleure situation. Macron suicide son propre parti au profit du Rassemblement National Ce qui a lieu, c’est un coup d’État en faveur de l’extrême droite.

Les éditorialistes font mine de ne pas comprendre. Ils se demandent s’il s’agit d’une « stratégie » pour rejouer le « barrage républicain ». Sauf que plus personne n’y croit. D’autres disent qu’une dissolution n’avait pas lieu d’être dans ce contexte et cherchent des raisons. Jean-Michel Apathie estime qu’il s’agit d’un « coup de chaud sans réfléchir ». Ils tentent de trouver une explication rationnelle. Elle est pourtant très simple : le manager psychopathe qui règne sur la France veut donner les clefs de Matignon à la famille Le Pen. Et cela pour trois raisons.

Une cohabitation pour « user » le RN

En réalité, cela fait deux ans que Macron fait le malin, en faisant « fuiter » dans la presse qu’il pourrait dissoudre l’Assemblée Nationale en cas de crise. Il se prend pour Machiavel : les médias avaient déjà expliqué qu’une « cohabitation » avec Marine Le Pen ou un de ses proches comme Premier Ministre en cours de mandat pourrait « l’user » politiquement, et montrer son incompétence. Le camp Macron pourrait ainsi aborder les élections présidentielles de 2027 en ayant « affaibli » symboliquement l’extrême droite.

Ici, Macron s’inspirerait de Chirac, qui avait du nommer le socialiste Jospin comme Premier Ministre. Un gouvernement « de gauche » avec un président de droite, qui avait déçu la population, qui avait ensuite boycotté le vote PS en 2002.

C’est une stratégie à la fois stupide et dangereuse. D’abord, 3 ans c’est long. Nous sommes plus près du début du mandat, commencé en 2022, que de la fin. Cela voudrait dire que l’extrême droite a 3 ans pour mettre en œuvre son plan de bataille, verrouiller la situation, et nous faire cracher du sang. Ensuite, tout le monde devrait savoir qu’une fois qu’elle a les commandes, l’extrême droite ne les rend pas. Enfin, il est très difficile de faire pire que les 7 années de macronisme. En réalité, une « cohabitation » avec l’extrême droite revient à leur donner le pouvoir tout de suite, pour qu’elle le consolide en 2027.

Anéantir la gauche

En décembre dernier le magazine L’Obs révélait une sondage projettant une Assemblée Nationale en cas d’élections législatives anticipées. Le RN obtiendrait entre 243 et 305 députés, et donc une majorité. Les macronistes s’effondreraient. Et surtout, la gauche, même rassemblée, disparaîtrait quasiment.

En réalité, l’un des objectifs principaux de cette dissolution, en plus de donner le pouvoir à l’extrême droite, est de liquider la gauche, et en particulier la France Insoumise, seule vraie force d’opposition. La FI est diffamée et salie quotidiennement depuis des mois, les médias ont répandu les pires horreurs sur le mouvement de Mélenchon. Les Insoumis ne peuvent plus prononcer un mot sans subir une nouvelle campagne violente. Il est quasiment impossible de ne pas être influencé par un tel bourrage de crane. Les médias ont imposé dans l’imaginaire collectif que Le Pen serait plus rassurante que les Insoumis.

En imposant des élections dans seulement 3 semaines, sans campagne, Macron rend quasiment impossible une nouvelle union de la gauche. Et si l’union se fait, elle sera beaucoup plus favorable au PS et défavorable à la FI. Si elle ne se fait pas, et que les partis partent séparés, la FI risque de quasiment disparaître du Parlement et de la scène politique. C’est ce dont rêve la bourgeoisie pour liquider définitivement toute opposition un peu sérieuse.

Il va sans dire qu’avec un gouvernement RN, sans doute allié à Zemmour, cette liquidation sera aussi physique pour tous les mouvements sociaux, les luttes de rues, les associations et autres contre-pouvoirs. Comme ces dernières années, mais en pire.

Gouverner avec l’extrême droite

Nous le disons et le répétons depuis 2017, Macron est sincèrement imprégné des idées d’extrême droite, et le fait régulièrement savoir. Il a réhabilité Pétain, nommé un Ministre de l’Intérieur issu de l’Action Française, fait voter plusieurs lois contre l’immigration, multiplié les mesures islamophobes, et beaucoup d’autres pour restreindre les libertés. Il a témoigné son soutien à Zemmour et donné une interview exclusive à Valeurs Actuelles, il a attaqué la liberté de la presse comme jamais, écrasé les mouvement sociaux de façon sanguinaire. Il a parlé de « nation organique » – un concept fasciste – et en juin 2022 : le groupe LREM au Parlement élisait deux vice-présidents RN. La présidente Macroniste de l’Assemblée déclarait que « Sébastien Chenu [RN] n’est pas un bon, mais un très bon vice-président ». Il a envoyé l’antiterroriste contre la jeunesse des banlieues et les militants écologistes, ou encore interdit toutes les manifestations pour la Palestine.

Macron a, méthodiquement, mené une politique d’extrême droite de plus en plus prononcée, et tout fait pour liquider tout progrès social et toute possibilité de contester. Livrer le pays au RN ne serait, finalement, que la suite logique du processus engagé depuis plusieurs années.

Lui permettre un troisième mandat

Dernière hypothèse, tortueuse mais plausible : permettre à Macron un troisième mandat. Dans la 5e République, un président ne peut exercer que deux mandats consécutifs. Et on le sait, les proches de Macron l’ont largement exprimé dans plusieurs médias ces derniers mois, Macron aimerait pouvoir se présenter pour une troisième fois en 2027.

Ainsi, il pourrait être tenté de créer une situation de chaos propice à un régime autoritaire. Avec l’extrême droite au gouvernement, Macron peut tout à fait démissionner avant 2027, prétextant la gravité de la situation et l’instabilité du pouvoir, et laisser un président par intérim finir le mandat. En cas de démission du président élu, c’est le président du Sénat qui prend le relais, le temps de trouver une solution. Ainsi, après avoir interrompu son mandat, Macron pourrait se représenter en 2027 : il ne s’agirait pas de mandats consécutifs, puisqu’il y aurait une démission entre-temps.

Dans tous les cas, quelles que soient les sombres stratégies du pouvoir, Macron et son camp, la bourgeoisie, auront été de formidables accélérateurs de la fascisation en France, et amènent délibérément le pays vers la guerre et le désespoir.

Jordan Bardella à la tribune, l’adversaire que Macron s’est choisi à travers la dissolution de l’Assemblée.

Publié sur Contre-attaque

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