Pourquoi je n’userai pas du terme « réfugié »

Il faut vraiment qu’on arrête de se faire embobiner par ceux qui usent d’une terminologie à des fins politiques [1] : on a entendu plusieurs politiciens (de droite principalement) réaffirmer le terme « réfugié » en lieu et place de celui de « migrant », qui lui était préféré par ceux et celles qui luttent contre les politiques migratoires ces dernières années.

Pourquoi je continuerai de parler de migrant-es et non de réfugié-es ? Parce que les politiques d’immigration successives se sont systématiquement servies du droit d’asile comme discriminant entre le bon et le mauvais migrant, celui qui aurait des raisons légitimes d’émigrer et celui qui serait le clandestin qu’on ne peut pas accueillir (« avec toute la misère du monde ... »). Que ce soient les quotas, les critères très politiques, contextuels [2] ou subjectifs d’attribution du droit d’asile, les discriminations opérées aux guichets de préfecture, ce droit d’asile est loin de l’idéal censément garanti par la convention de Genève en cas de « crainte de persécution du fait de sa race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou opinions politiques ». Dans bien des cas, les violences subies en cours de migration, quelles que soient les raisons identifiées de départ [3], justifieraient à elles seules qu’on accueille décemment les personnes au lieu d’y additionner l’humiliation et les mauvais traitements afférents à la détention en Centre de Rétention Administrative, aux arrestations musclées et aux expulsions forcées.

A mon sens, une personne n’est de toutes façons réfugiée nulle part, tant qu’elle n’a pas un papier qui l’atteste légalement et de façon durable : elle reste « en migration », en danger de se faire malmener par la police (comme on peut le voir sur trop de vidéos ces derniers jours, et pas seulement en Hongrie). « Réfugiée » signifierait que la personne a trouvé un refuge, un « lieu où on se met à sécurité, à l’abri d’un danger, d’une menace ». Or la crainte de l’arrestation, la vie à la rue, dans des terrains vagues calaisiens ou même dans des foyers multiples, ne constitue pas une situation où un être humain, quel qu’il soit, se sentirait « en sécurité ». Il suffit de taper « camp de réfugiés » dans un moteur de recherche d’images pour se rendre compte à quel point la vision d’un refuge est usurpée et éloignée de la réalité qu’elle prétend décrire.
Tant qu’une personne n’est pas parvenue à un endroit où de son propre choix elle souhaite rester, elle restera une personne « en migration », entre le lieu où elle ne conçoit plus momentanément ou durablement de vivre (soit qu’elle n’y voie plus d’avenir pour elle, soit qu’elle y craigne pour sa vie ou celle de ses proches) et le lieu où elle réenvisage la possibilité de construire quelque chose.

Et quand bien même un-e migrant-e obtiendrait des papiers, un droit de séjour, elle ne sera réfugiée, à mon sens, qu’au moment où elle en aura le sentiment : il y a trop de pays qui considèrent que les accords de Genève se résument à un papier rose, bleu ou vert et où les « réfugiés » continuent à subir les discriminations racistes et de la population (qu’on attise souvent avec des discours xénophobes à des fins électorales) et/ou des autorités politiques, policières et judiciaires. On peut ainsi rester migrant dans son coeur et sa tête durant des années, parce que chaque jour n’est que l’attente de repartir en arrière ou vers un ailleurs où le mot « refuge » prendrait davantage de sens.

Les migrant-es sont les seul-es à pouvoir définir le moment où leur état cesse d’être celui de la migration pour devenir celui de réfugié-e, ou tout simplement d’habitant-e du lieu où il ou elle (re)construit sa vie. Parce qu’à compter de ce moment je ne l’appellerai pas non plus « réfugié-e » mais « voisin-e, ami-e, collègue ». Ma mère est allemande, mais personne ne la définit jamais par son origine, pourtant elle est migrante de première génération mais européenne, blanche. Elle est la voisine d’en face, pas l’allemande d’en face.

L’autre ne sera jamais réfugié-e que dans ma tête, jamais dans mes mots, parce que dans mon esprit je ne veux pas nier et oublier ce qui l’a amené-e à migrer, les peines et les souffrances terribles qu’il ou elle a subi avant d’être « voisin-e, ami-e, collègue » et qui feront partie de sa personne, de son histoire, pour le restant de sa vie.
C’est parce qu’on utilise à tout va le concept d’intégration, en pensant qu’il faut faire table rase du passé pour avoir une société homogène sous le sigle de l’identité nationale, qu’on s’étonne que la radicalité identitaire puisse surgir de l’intérieur. L’immigration fait partie de notre histoire, avant même que le premier humain ait quitté le continent africain pour parcourir le monde, chassé par la faim, la guerre ou poussé par la convoitise ou l’envie.
Chaque migrant-e qui devient voisin-e, ami-e ou collègue, additionne son histoire à la notre et devrait enrichir notre mémoire collective plutôt que de devoir s’intégrer dans notre amnésie collective. On ne dilue pas par l’oubli, ça ne fait que pousser vers le fond ce qui un jour ou l’autre éprouvera le besoin de remonter en surface et de réaffirmer l’identité qu’on lui a déniée.

Notes

[2selon l’actualité ou les affinités géopolitiques, on accordera plus ou moins l’asile à certaines populations qu’à d’autres, qui pourtant vivent des situations tout aussi dramatiques

[3on crée ainsi des catégories bureaucratiques de migrants climatiques, économiques, réfugiés de guerre, etc. qui opèrent un tri arbitraire entre les raisons légitimes ou non de migrer, indifféremment du ressenti de la personne qui avait suffisamment de raisons personnelles pour choisir de quitter famille, amis, pays.

Mots-clefs : migrants

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