De nouveaux rassemblements et « marches des libertés » se sont déroulés samedi 28 novembre un peu partout contre la proposition de loi « sécurité globale » (adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 24 novembre), notamment à Paris, Lyon, Bordeaux, Lille, Reims, Rouen, Toulouse, Brest, Caen, Rennes, Limoges, Périgueux, Strasbourg. Soit entre 130 000 et 500 000 manifestants en tout selon le bord des petits comptables de masse. Dans la capitale, la manifestation de dizaines de milliers de pesonnes, initialement interdite au prétexte du covid puis autorisée sur le parcours convenu des défilés de gôche entre les places de la République et de Bastille, était à l’initiative du collectif « Stop loi sécurité globale », composé de syndicats de journalistes, d’ONG droitsdelhommistes et autres crapules politiciennes. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu, au grand dam des organisateurs.
Parmi les paradoxes qu’on a pu remarquer à Paname, ce sont d’un côté des organisateurs journaflics qui défendaient leur droit de filmer respectueusement la poulaille en action –mais aussi en même temps et dans un même mouvement de capter les révolté.e.s qui s’en prennent à elle ou réagencent l’architecture urbaine, avant de livrer aux tribunaux ces mêmes vidéos qui aident à les condamner–… et d’un autre côté ce kiosque à journaux flambé place de la Bastille. Certains avaient manifestement identifié que la fameuse liberté des encartés de la presse n’est depuis longtemps rien d’autre que celle de relayer la propagande du pouvoir et de diffamer ceux qui s’en prennent à lui.
En matière d’images, un autre moment n’aura échappé à personne, lié d’une manière ou d’autre à la fausse question de la symétrie des moyens employés, bien résumé par les slogans citoyennistes de type « Police floutée, justice aveugle »,
« Baissez vos armes on baissera nos caméras » ou encore illustré par ces milliers de manifestants brandissant en l’air la lumière de leurs téléphones portables, tout en criant Liberté, Liberté à l’appel du camion-sono. Une vidéo bien entendu relayée avec gourmandise sur les réseaux sociaux par ceux qui se sont fait une spécialité de la défense d’une police bio, comme le journaflic et membre de la coordination organisatrice David Dufresne (en tant que représentant de la Société des réalisateurs de films, SRF), d’ailleurs récent coauteur d’un ouvrage sur le sujet en collaboration avec Julien Coupat et Antonin Bernanos (Police, ed. La Fabrique, 2020). Il faut dire que l’éditeur qui les avait réuni pour l’occasion n’est rien moins qu’Eric Hazan, un vieux promoteur du fameux « La police avec nous ! », certainement ravi de la présence de flics défilant trankillous avec les autres manifestants, sous le drapeau de la CGT Police.
Pour en revenir aux téléphones portables, il fallait vraiment se pincer pour y croire ce samedi 28 novembre place de la Bastille, sans vomir devant cette masse d’appareils d’aliénation et de surveillance tendus tous ensemble à bout de bras pour les ériger en symbole d’une Liberté majuscule à défendre, comme dans n’importe quel concert contemporain ou contestation transformée en spectacle. Au temps des fameux briquets allumés au-dessus des têtes, leur double-emploi pouvait au moins servir à autre chose qu’à filmer, mais passons.
Face à cette affligeante mise en scène démocrate par les tenants d’une autorité alternative, d’autres pratiques minoritaires ont heureusement éclaté lors de cette manifestation, comme l’incendie de caméras de vidéosurveillance urbaines, proposant un possible chemin asymétrique, qui ne serait pas de reproduire et décupler la vile pratique policière ou citoyenne de filmer l’adversaire, mais de mettre fin pour de bon à ces gestes délatoires contre quiconque, au profit d’un agir sans médiation contre tout ce qui nous opprime.
Comme l’affirmait d’ailleurs déjà sur le fond un petit texte dialogué paru il y a quelques années à propos de tout capteur d’illégalismes, « la preuve par l’image est mensongère, non qu’elle dise le faux mais parce qu’elle affirme être le vrai. Prétendre n’être que spectateur, neutre, exempt des rapports de force en cours, est une illusion, c’est déjà une prise de partie, même indirecte. À ce titre, aucun preneur d’image ne peut être considéré comme extérieur à l’action, il en fait partie, mais du mauvais côté, celui qui fige ce qui est mouvant, virtualise ce qui est vivant, spectacularise ce qui est rage et passion, et en fin de compte participe à la neutralisation du potentiel subversif de tout acte d’attaque. » Sans compter que face à la répression, « En filmant, plutôt que de tenter, par l’action, d’empêcher que ces violences policières soient commises, non seulement on les laisse faire au nom d’un hypothétique futur procès, mais on réprime surtout celles et ceux qui pourraient vouloir agir directement contre ces exactions policières afin de leur renvoyer un peu de la monnaie de leur pièce. Qui voudrait se débattre en donnant des coups lors de son interpellation si des photographes ou vidéastes le filment ? Qui voudrait aller chercher un copain dans les mains des keufs en étant photographié-e sous tous les angles ? Si quelques un-es, jouant de la justice contre la police, arrivent à se faire innocenter, on sait tou-tes que la plupart seront condamné-es. C’est une illusion de penser qu’une simple vidéo peut changer le rapport de force structurellement défavorable constitué par un des appareils du pouvoir, l’institution judiciaire. »
Plus globalement, sur un thème aussi banal que celui des « violences policières » qui permet d’occulter qu’un des problèmes est la police tout court, soit l’organisation institutionnelle de gardiens de la paix sociale pour défendre et préserver les intérêts de la domination en prétendant de fait au monopole de la violence légitime, certain.e.s ont tout de même illustré une petite partie des intérêts que la flicaille défend jour après jour : de cette Mercedes de bourges livrée aux flammes sur le parcours, à la façade de la Banque de France copieusement incendiée, et jusqu’à ces autres agences bancaires (dont une BNP saccagée après ouverture forcée de son rideau de fer), d’assurance ou vitrines de commerces (comme Bärenstark, concessionnaire de motos BMW) défoncées.
A plusieurs reprises, du matériel de chantier détourné de sa fonction gentrificatrice (boulevard Beaumarchais ou dans celui autour de la colonne de Juillet) a également pu servir de bouclier, de barricades et de projectiles, avec au final un bilan de la préfecture donnant 46 arrestations, dont 29 gardes à vue (26 majeurs et 3 mineurs), mais aussi 98 blessés parmi les policiers et les gendarmes.
Enfin, il va de soi que les braves organisateurs parisiens de la coordination StopLoiSécuritéGlobale à l’initiative de ce défilé a fait son sale travail –à l’unisson avec le ministère de l’Intérieur– en dénonçant « fermement » les « quelques dégradations et violences », notamment celles « contre des policiers sur la place de la Bastille » qui ont évidemment eu lieu « après » [sic] la fin de la manifestation, en précisant dans son communiqué : « Nous ne pouvons accepter qu’une poignée de personnes impose par la force leur stratégie de contestation à des centaines de milliers d’autres manifestants pacifiques »*. En même temps, quand on revendique une justice juste, une police policée et un État sans « dérive autoritaire », il ne faut pas trop en demander non plus à ces larbins d’un ordre meilleur.