Publié sur AbaslesCRA
Quand est-ce que tu es arrivée en CRA ? Comment ça s’est passé à ton arrivée ?
« Je suis une sortante de prison, donc dès que je suis sortie de prison les gendarmes m’attendaient directement, ils m’ont dit que je partais direct en rétention. Donc à mon arrivée ça a été un peu compliqué parce que je pensais être libérée et ça pas été le cas, retrouver les enfants et les gens que j’aime. Et malheureusement je me suis retrouvée en rétention donc ça été très compliqué de m’adapter. Et de toute façon on ne peut pas s’adapter ici. C’est impossible.
Ici c’est de la torture morale de malade. A tout moment il peut y avoir des laisser passer, à tout moment tu peux être expulsé·e, à tout moment ils peuvent venir péter notre porte. Y’a pas d’heure, que ce soit 2 heures, 7 heures du matin… On est tout le temps stressé·es, on est tout le temps sur le qui vive, on est tout le temps en mode “ça y est aujourd’hui c’est bon y’a le laisser-passer aujourd’hui on part, aujourd’hui on va plus voir notre famille, aujourd’hui ça y est on voit plus nos enfants”. C’est de la torture. »
Quand tu dis ils vont péter une porte ça veut dire quoi ?
« Ca veut dire ils viennent, ils te soulèvent, ils ouvrent la porte direct le matin, comme ils ont fait pour F. [une copine retenue qui a été expulsée de force début Novembre]. Ils sont venus à 8h car son vol était à 11h, et ils ont dit “vous partez maintenant, préparez vos affaires” Et ça a été très compliqué. Nous on est là mais franchement, on vit plus, le temps s’est mis en pause, et ça c’est très dur. C’est un endroit où tu peux rien faire, pas d’activités, rien du tout. On reste que dans les chambres à longueur de journées. Ou bien si on a des affinités avec certaines retenues, qui savent parler français, car c’est pas donné à tout le monde ici. Donc on essaient de faire passer le temps comme on peut ; on discute, on est sur nos téléphones.. C’est long. »
C’est très différent de la prison non ? Car en prison tu peux avoir des activités, un travail ?
« Alors ici je suis vraiment en prison. C’est pire que la prison. Pour moi c’est ici la prison. »
Avec les femmes retenues avec toi vous arrivez à créer de la solidarité ?
« Comme je dis quand on a quelques affinités avec certaines, on reste ensemble, on fait tout ensemble, on se bat ensemble, on essaye de faire respecter nos droits surtout. On est plus fortes ensemble que seules, comme on dit “l’union fait la force !”. »
Quand tu dis que vous vous battez, vous faites quoi par exemple ?
« Bah déjà on s’est battues par rapport à la fouille. On a qu’une heure le matin et une heure l’apres-midi. Tout en sachant que c’est pour toute la zone femme. Donc c’est toujours compliqué. Au début, il y a avait pas grand monde qui aimait bien se préparer, se maquiller, se parfumer, tout ça. Nous on est des personnes qui aiment se préparer, se sentir bien. C’est la moindre des choses. Donc moi et ma petite équipe on a décidé d’aller faire un peu de forcing, de se maquiller, et petit à petit de se parfumer. Et puis maintenant on a même réussi à se faire des brushings avec le fer et tout ça. »
Ca veut dire qu’au début, quand vous êtes arrivées, on vous empêchait de de faire ça quoi ? C’était pas possible ?
« C’était très complqiué. Ils avaient tellement pas l’habitude que ça les stresssait ; c’était “oui vraiment 5 mn” ou “non il y a d’autres personnes, y’a pas le temps” mais non en fait ; y’a personne et vous respectez mes droits car j’en ai besoin. Je suis une femme comme vous et j’ai besoin de me sentir aussi bien. C’est pas parce que je suis en rétention que je dois me laisser aller ou que je dois rester toute pale. Mais je vous avoue que ça a été quand même compliqué. On a du faire les petites guerrières. Une fois ils nous ont dit “nan si c’est pour le maquillage et tout, on a pas le temps” et moi je leur ai dit “bah nan moi j’ai une heure. Et là y’a personne donc vous respectez mes droits. J’ai une heure de fouille le matin, une heure l’aprem. Et je me maquille”. Et après je me suis maquillée. Après, a force de le faire, c’est devenu une habitude, dès qu’ils nous voyaient “pour vous maquiller ?” “oui”. Et après ils l’ont pris à la rigolade. Après pour les prochaines, les retenues qui viennent après nous là bah elles c’est déjà une facilité car maintenant elles viennent, elles se préparent. Tandis que nous c’était pas possible donc on fait le plus gros. »
Avant vous, personne ne le faisait ? C’était pas interdit, mais ça se faisait pas ?
« Personne ne le demandait car ils s’imaginaient pas que il va y avoir des femmes qui voudront se préparer, se maquiller, se parfumer. Ils avaient jamais vu ça en rétention donc c’est du inédit en fait. »
Vous avez un peu modifié les règles à l’intérieur du CRA quoi, en faisant ça ?
« Voilà. Y’a beaucoup de choses qui ont changé depuis. »
T’as motivé les autres retenues avec toi pour faire changer des trucs dans les CRA ? Y’a d’autres trucs que vous avez fait ?
« Bah oui parce que les filles elles parlent plus, elles vont souvent voir la Cimade, elles font l’article 24 (article du règlement en CRA, qui concerne les droits des retenu·es) quand y’a un soucis par rapport au kit (d’hygiene), quand y’a un manque d’effectif, donc ça a motivé les autres, à faire valoir leur droits. Ils ont des droits et ils doivent faire respecter leurs droits. Aujourd’hui ça me fait plaisir car je suis plus toute seule. »
Avant l’article 24 il était jamais appliqué, la cimade ils sont surpris là, les policiers ils s’en fichaient non ?
« La cimade, ils voyaient que l’article 24 c’était pas efficace, et maintenant ça l’est beaucoup plus. Ils voient bien le changement, et que ça bouge. Quand y’a des problèmes, ici y’a des punaises, et ça bouge plus qu’avant. Et même, c’est plus les mêmes retenues qu’avant. Avant c’était des personnes qui avaient jamais trop vécu en France, ça faisait que quelques mois. Tandis que la, c’est retenues qui on vécu en france, qui sont limite françaises, c’est juste des papiers qu’elles ont pas. Et y’a une majorité qui sont sortantes de prison. C’est comme si la rétention c’était une prison, comme si c’était devenu une infraction. C’est plus les mêmes personnes, c’est plus les mêmes mentalités, c’est plus des jeunes d’ici qu’ils ramènent. Et ces jeunes là ils connaissent leurs droits, ils se laissent pas faire. »
Quand tu parles pas français tu te laisse plus facilement faire ?
« Exactement. Ils [les flics] font moins attention à ces gens là quand ils parlent pas français, quand ils savent pas leur droits. Et puis ils se cassent pas la tête à faire les choses. Par contre contrairement à nous, comme ils savent que nous on connait nos droits, ça avance, ça bouge mieux. »
Comment vous avez réussi à obtenir des policiers de pouvoir garder la nourriture après les visites ? Parce que jusqu’à y’a pas longtemps, quand on venait avec de la nourriture en visite au CRA 2, les personnes retenues avaient pas le droit de garder la nourriture qu’on leur donnait après dans leur cellules.
« On a tout simplement dit que c’était pas possible, qu’on avait trop faim, et qu’il fallait absolument qu’on puisse au moins faire rentrer des gâteaux parce que y’a des personnes malades ici, qui sont en manque de fer, vitamines, de tout, donc c’est pas possible il faut qu’on mange, y’a des personnes qui ont perdu du poids, c’est incroyable ! Donc on a fait l’article 24, on a tapé dessus, on a pas lâché, et ils ont fini par accepter. On gueulait tout le temps pour qu’on se fasse bien entendre. Ça arrivait jusqu’au gradé, donc après ils ont fait remonté, donc pour finir ça s’est un peu assoupli donc ils compris qu’il fallait bien qu’on mange. Ça, c’était du luxe les gâteaux. C’est triste à dire, mais pour nous c’est du luxe d’avoir des petits gâteaux. Des croissants, des petits pains, c’est un luxe. On a besoin de manger. On a juste le matin à manger à 7 heures, ensuite midi 30, puis 18h30. Donc après si on a rien entre deux, et si les gens ici ils ont pas d’argent, pas de famille ils mangent pas. Donc nous si on peut partager les gâteaux avec eux ça nous fait plaisir. »
Comment ils se comportent les policiers avec toi ?
« Ben la majorité c’est sans commentaire. Après c’est plus compliqué avec les femmes. Elles parlent mal, elles sont hautaines, prétendent être supérieures à nous, qu’on est de la merde, elle se moquent de nous dès qu’elles nous voient prêtes. C’est nouveau pour elle, dès qu’elles nous voient prêtes bah comme c’est nouveau pour elles, ça laisse des commentaires, ça rigole sur nous avec les collègues et nous on y fait pas attention. »
Ça se passe comment en ce moment, y’a du monde ?
« Oui on est 22 femmes, de toutes sortes de nationalités. Ils remplissent beaucoup, et ils expulsent. Puis ils re-remplissent, et expulsion.
Les personnes essaient de résister ?
« Oui elles essaient sauf qu’elles n’ont aucune chance. Y’a des escortes là bas et ils sont là pour ça, pour prendre les personnes de force et les mettre de force dans l’avion. Et c’est impossible parce qu’après ils utilisent la force. Ils te ligotent, on dirait même pas des êtres humaines. On dirait même plus qu’on est en France. C’est fou ce qui se passe, c’est dégradant. C’est malheureux comment ça devient la France. Moi je connaissais pas les CRA avant. C’est fou que ça existe ça en France. Dans certains pays, on peut imaginer, mais pas en France. »
Ouais c’est ça le pays des droits de l’homme…
« On parle de quels droits, de se voir ligoté·e·s, attaché·e·s de force et expulsé·e·s ? On parle de quels droits ? C’est très dur d’assister à tout ça parce qu’on se dit à chaque moment c’est nous les prochaines. C’est horrible. C’est de la torture. Je le souhaite à personne ce qu’on vit nous ici. »
Ouais c’est clair. On t’envoie plein de force en tout cas, et on espère que vous allez rien lacher avec les autres retenues !
« Toujours ! C’est nous les totally spies !! »
Pour en savoir plus, écoutez ou réécoutez l’émission du vendredi 21 Novembre de l’Envolée, où plusieurs femmes retenue au CRA du Mesnil Amelot expliquent les solidarités collectives qu’elles ont mise en place.
Dans l’émission du vendredi 11 Novembre, elles vont plus loin en parlant particulièrement de ce que la taule et le CRA font au lien mère-enfants, où elles crient leur rage d’être séparées et la crainte d’être éloignées de manière plus radicale.
Force à elles, à bas les CRA !!