Meurtres et mensonges d’État : la police française a tué au moins 12 personnes durant le confinement

Durant ces 2 mois de confinement, si un certain nombre de violences policières ont pu être dénoncées grâce aux images et aux révoltes dans les quartiers populaires et mises en lumière dans les médias, les morts liées aux interventions de la police sont restées dans l’angle mort. Malgré un article publié le 20 avril sur cette situation, largement relayé et suivi de tribune, aucun média national n’a titré sur ces morts. À la fin de ce confinement, ce sont 12 personnes qui sont mortes à cause de la police. À ce rythme, personne ne peut continuer à parler de bavures isolées. Il s’agit de meurtres systémiques validés par l’État français. Le site Rebellyon.info a publié un recensement de ces violences commises par la police pendant le confinement.

Article intégralement repris de Rebellyon.info, site d’info antiautoritaire lyonnais membre comme Paris-luttes.info du Réseau Mutu.

Le macabre bilan

  • 5 personnes mortes dans un commissariat
  • 3 personnes mortes suite à des tirs à balles réelles
  • 2 personnes mortes suite à une poursuite routière
  • 2 personnes mortes en sautant dans le vide

Liste des morts et contre-analyse de leurs traitements par la presse

  • Le 4 avril à Toulouse :
    Jimmy Boyer, 47 ans, est tué par balle dans le quartier Soupetard de Toulouse. La police aurait été appelée pour un différend conjugal. Un premier équipage est arrivé sur place suite à l’appel et aurait enjoint l’homme à quitter le lieu. L’homme, apparemment alcoolisé, aurait fait durer en rassemblant ses affaires. Un deuxième équipage a ensuite été appelé. Les policiers affirment que l’homme se serait précipité sur l’un d’eux avec un couteau, et que ce dernier aurait riposté en lui tirant dessus, le blessant mortellement à l’abdomen. La police parle de légitime défense. Sa femme, elle, affirme que ce n’est pas le policier incriminé qui a tiré, mais un autre, et que le couteau ne se trouvait pas dans les mains de son mari, mais sur la table. Le procureur de la République a répondu que les flics étaient formels et que la femme se trompait et vu l’angle n’avait pas pu voir directement la scène, l’enquête est close pour lui. Pour la femme de Jimmy, ce meurtre ne sera jamais clos [1].
  • Le 8 avril à Béziers :
    Mohammed Gabsi, 33 ans, est mort au commissariat de Béziers vers 23h30 le mercredi 8 avril, après son interpellation par la police municipale pour « non-respect du couvre-feu ». Ce n’est pas une des armes à feu dont est équipée la police municipale de Béziers qui l’a tué, mais sans doute une « technique d’immobilisation ». Au moins l’un des agents s’est assis sur l’homme allongé à plat ventre et menotté dans la voiture. La presse insiste dès le lendemain sur le caractère instable de l’homme, qui serait un SDF… Bien qu’elle semble difficilement prouvable faute de témoin, la vérité semble simple : les flics l’ont tué par étouffement en s’asseyant sur lui. [2]
  • Le 10 avril à Cambrai :
    Les flics veulent arrêter deux hommes qui, pris de panique – car dehors sans autorisation de sortie – prennent la fuite. Les flics les prennent en chasse, puis en pleine ligne droite la voiture part en tonneau au milieu de la route… pas de caméra, pas de témoin, on ne saura sans doute jamais ce qu’il s’est passé. Pourtant faire un tonneau au milieu d’une ligne droite sans aucun obstacle ne semble que peut probable. [3]
  • Le 10 avril à Angoulême :
    Même scénario : Boris, 28 ans, est intercepté par les flics, sûrement lui aussi sans autorisation de sortie. Il prend la fuite et, pris de panique, stoppe sa voiture au milieu d’un pont et saute dans l’eau. Il n’en ressortira pas vivant. On ne saura là encore sûrement jamais ce qu’il s’est passé, faute de témoin. Entre se soumettre à un contrôle censé être « routinier » et sauter d’un pont, certains font donc le choix de sauter… Ce constat en dit long sur l’état de confiance de la population envers la police [4].
  • Le 10 avril à Sorgues :
    Un homme de 49 ans est arrêté pour une rixe avec son colocataire au cours d’une soirée alcoolisée. Légèrement blessés, les deux hommes sont d’abord transportés à l’hôpital puis emmenés à la brigade de gendarmerie de Sorgues pour y être entendus. Ils auraient ensuite été placés en cellule de dégrisement avec une audition prévue le lendemain. Pendant la nuit, à deux et cinq heures du matin, les deux hommes auraient réagi au passage des gendarmes lorsque ceux-ci ont effectué leur ronde. Les gendarmes affirment qu’ils auraient trouvé l’homme décédé dans sa cellule vers 9 heures, au moment de venir le chercher pour procéder à son audition. La police affirme aussi qu’il serait mort de cause « naturelle », sans aucun témoin pour confirmer ou infirmer cette version [5].
  • Le 15 avril à Rouen :
    Un homme, âgé de 60 ans, est décédé en garde à vue dans la nuit du mardi au mercredi 15 avril, au commissariat de police de Rouen. Le sexagénaire avait été placé en garde à vue la veille en fin de journée, pour une conduite sous l’emprise de l’alcool. Vers 5h, alors qu’il était extrait de sa cellule pour être entendu, il fait un « malaise ». Malgré les tentatives de réanimation, il décède. Selon la police, les causes de sa mort ne sont pas encore connues. Comme bien souvent, avec des policiers comme seuls témoins, il sera bien difficile d’imputer une quelconque responsabilité à ses geôliers ou aux conditions de détention. [6]
  • Le 15 avril à la Courneuve (93) :
    Un jeune de 25 ans est aperçu par des flics à cheval dans le parc de La Courneuve (qui est fermé pour cause de confinement). Ils s’approchent de lui et, selon eux, le voient tenir un couteau. Le jeune aurait alors attaqué un des chevaux, suite à quoi les flics auraient pris la fuite avant de prévenir leurs potes à vélo, qui l’encerclent un peu plus loin. Selon eux, l’individu se serait jeté sur eux et les flics n’auraient eu d’autres choix que de lui tirer 5 balles, dont 3 en pleine tête… Comme d’habitude avec les flics, on ne comprend pas comment 3 personnes entraînées et armées avec des lacrymos et taser en viennent à tuer quelqu’un de plusieurs balles… Bien sûr, les journaux ont titré sur le fait que le jeune était afghan, tout en précisant à la marge que sa situation était parfaitement en règle. Certains retiendront que les flics ont fait leur boulot… Nous retiendrons que les flics ont encore tué quelqu’un de 5 balles parfaitement ajustées, non pour désarmer, mais pour tuer. [7]
  • Le 28 avril à Clermont-Ferrand :
    Après avoir tenté d’esquiver un contrôle de police, un adolescent de 14 ans au volant de la voiture d’une amie aurait perdu le contrôle du véhicule en raison d’un dos-d’âne et se serait encastré dans une devanture de magasin et serait mort sur le coup. Le passager, âgé de 17 ans, a été légèrement blessé. Mais la police est-elle entrée sur le parking ? Surveillait-elle les jeunes depuis longtemps ? A-t-elle mis son gyrophare ? Selon le proc’ les flics se sont rendu compte dès le départ qu’il s’agissait d’ados au volant. Dans ce cas, le fait d’engager une poursuite était-il vraiment approprié ? Les conducteurs de la voiture étaient-ils en état d’ébriété ? Pourquoi ont-ils tourné en pleine ligne droite ? Le proc dit que le conducteur aurait paniqué. Mais qu’est-ce qui l’a fait paniquer à cet endroit précis plutôt que 100m avant ? Des questions, il y en a en réalité beaucoup, et il ne fait nul doute que, comme d’habitude, la famille n’aura jamais toutes les réponses. [8]
  • Le 29 avril à Albi :
    Le 28 avril, vers 18h30, un quadragénaire est arrêté par les flics alors qu’il serait complètement ivre. Les flics le conduisent aux urgences où un certificat de non-admission est délivré. Au lieu de le ramener chez lui ou dans un foyer hébergement, les agents le balancent alors en cellule de dégrisement. Dans la nuit, il aurait été découvert « inconscient » dans sa cellule de dégrisement à l’occasion d’une ronde et n’a pas pu être réanimé par les secours. Le proc du Tarn a indiqué quelques heures plus tard dans un communiqué qu’une enquête a été ouverte visant à la « recherche des causes de la mort », et que les images de vidéosurveillance de la cellule ont été placées sous scellés et qu’une autopsie a été diligentée. Nulle mention par contre de potentielles caméras dans le bureau des policiers pour vérifier s’ils regardaient les caméras ou s’ils étaient en train de regarder une vidéo de chat sur Instagram pendant ce temps-là. Et si les caméras montrent quelque chose, nul doute que comme d’habitude, elles seront en panne… [9]
  • Le 1er mai à Saint-Denis :
    Romain B., 30 ans, a été interpellé en état d’ivresse dans la rue. Il a été conduit dans la foulée au commissariat et admis en cellule de dégrisement, son état ne permettant pas un placement en garde à vue. Ne se sentant pas bien, il aurait été consulté par un médecin, qui aurait délivré à 18h55 un certificat de non-admission. Il serait finalement mort dans la nuit vers 1h30. Les premiers actes de l’enquête sont confiés aux mêmes policiers du commissariat de Saint-Denis où la victime est morte. La famille n’a été informée que 48h après sa mort. Les informations transmises ont déjà changé 2 fois depuis le début. Dans quelles circonstances s’est passée l’interpellation de Romain ? Peut-on attester qu’elle s’est déroulée sans altercation ou sans violences de la part des policiers ? Y a-t-il des témoins ? Romain a-t-il été réellement transporté à l’hôpital dans un premier temps ? Le cas échéant, pour quelle raison ? Romain a-t-il été réellement placé en garde à vue (ou en dégrisement) ? Le cas échéant, pour quel motif, le « tapage » étant un délit contraventionnel ne justifiant pas un placement en GAV ? Romain est-il mort en cellule sans que personne ne s’en aperçoive ? Le cas échéant, peut-on établir s’il a tenté d’appeler à l’aide alors qu’il se sentait mal en cellule ? Où était la police à 1h30 ? Toutes ces questions restent pour l’instant sans réponse. [10]
  • Le 7 mai à Grenoble :
    Les policiers de la brigade spécialisée de terrain (BST) interviennent en tout début d’après-midi, au 54 avenue de Constantine à Grenoble à la demande du bailleur social qui gère cet immeuble, pour vérifier qu’un des logements était illégalement occupé. Les deux occupants flippent et tentent de s’échapper en descendant sur le balcon d’en dessous. L’un d’eux chute du treizième étage et meurt sur le coup. Pour rappel, la trêve hivernale qui interdit toutes les expulsions locatives a été prolongée deux fois depuis le début du confinement et court désormais jusqu’au mois de juillet. Le bailleur aurait dû simplement envoyer un huissier de justice pour constater l’occupation puis demander par voie de justice une expulsion locative à la fin de la trêve hivernale. Oui, mais voilà : pourquoi payer un huissier de justice quand on peut envoyer des cow-boys gratuitement. Comment s’est déroulée exactement cette intervention ? Nous ne le saurons jamais, par contre le casier judiciaire de la victime fuitait dans la presse avant même toute autopsie. Une seule chose est sûre, sans intervention des flics, personne n’aurait sauté par la fenêtre. [11]
  • Le 10 mai vers Bordeaux :
    Au nord de Bordeaux, dans le petit village de Saint-Christoly-Médoc vers 6h30 un homme de 53 ans, alcoolisé, serait allé sans motif apparent agresser et blesser avec un couteau un voisin. À l’arrivée des gendarmes, l’homme armé d’un fusil a tiré à plusieurs reprises en direction des militaires, blessant « très légèrement » l’un d’entre eux, a-t-on précisé de source proche de l’enquête. Les flics ont riposté et se sont mis à l’abri, avant que le forcené ne se retranche dans sa maison. Le GIGN est appelé. Vers 14 h 15, alors que l’homme apparaissait à sa fenêtre et s’apprêtait à tirer une nouvelle fois, avec un fusil à lunette, un gendarme du GIGN a procédé à un « tir de neutralisation ». L’homme n’a pas pu être ranimé malgré les efforts des secours, et est décédé sur place. Deux enquêtes ont été ouvertes, a indiqué le parquet : l’une pour violence avec arme [sur le voisin] et tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique, et l’autre sur l’intervention du GIGN, confiée au Bureau des enquêtes judiciaires de la gendarmerie. Oui, mais voilà, les journaux parlent de « sources concordantes » sauf que les seuls présents étaient bien les gendarmes et le GIGN. Sachant que ce sont les gendarmes qui vont enquêter sur le GIGN on se demande bien où est la neutralité dans l’enquête. Surtout, se pose cette éternelle question avec concernant la police française : comment l’une des polices les mieux formées du monde, avec des tireurs d’élite appuyés par des forces de gendarmerie ayant bouclé tout un village pendant 6h, n’arrive pas à arrêter sans tuer un quinquagénaire alcoolique retranché avec un fusil de chasse ? Pourquoi ne pas attendre qu’il n’ait plus de munitions ? Pourquoi ne pas balancer de tas de lacrymo dans la maison ? Pourquoi faut-il toujours que la police tue ? [12]

La question de la preuve

Les 12 affaires évoquées ci-dessus ont un plusieurs points communs : pas de preuve, pas de témoins, pas d’enquête journalistique.

Globalement, c’est le cas dans la majorité des affaires de morts liées à la police. Les flics enquêtent sur eux-mêmes avec des preuves qu’ils apportent eux-mêmes et la presse recrache les communiqués de la préfecture ou du procureur comme s’ils étaient irréfutables. Pas même d’enquête de voisinage bidon dans la presse locale en mode « oui c’était un voisin sympathique on ne pensait pas que ça arriverait ». Non juste du copier-coller indécent.

Si les familles de victimes ne se mobilisent pas, l’affaire s’arrête là. Si elles se mobilisent, on cherche par tous les moyens à ressortir en toute illégalité des affaires sur la victime qui devient forcément « délinquant·e », donc coupable.

Et même quand, dans de rares cas, des témoins sont présent·e·s, iels ne sont pas écouté·e·s. Quand des experts internationaux sont diligentés par les familles [13]et publient des rapports incontestables montrant que les experts de la police se sont trompés, les juges refusent de lire les dossiers.

La preuve quand elle n’est pas apportée par la police elle-même n’a aucune valeur. Dans ce cas, comment prouver que la police cache ses meurtres ? Pourquoi les enquêtes et les procès durent-ils toujours 10 ans si les flics sont si innocents ?

Des exactions en Algérie française à aujourd’hui en passant par le massacre du 17 octobre 1961 à Paris, les violences et meurtres policiers n’ont pas changé. Les violences et meurtres policiers n’ont rien d’accidentel, il n’existe pas de bavure. Il s’agit d’un fonctionnement normal et rationnel produit et régulé par l’État.

Notes

[1Source : La Depeche

[2Source : Desarmons-les et France bleue

[3Source : La Voix Du Nord

[4Source : Charente libre

[5Source : France bleue

[7Source Le Parisien

[8Source La Montagne et Rebellyon

[9Source France bleue et 20 minutes

[11Source Le Dauphiné et Cric.info

[13comme dans l’affaire Wissam El Yamni par exemple, lire ici

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