Mai 2018 aura-t-il lieu ?

La rencontre entre le cortège de tête et la date symbolique des cinquante ans de Mai 68 fait déjà des étincelles : contribution à rallumer le pétard mouillé.

Le Monde diplomatique de ce mois de mars nous offre des précisions sur la « stratégie du choc » Néo-zélandaise que le gouvernement a choisi de reprendre à son compte pour faire passer en un temps record son package de mesures néolibérales. Mais déjà bien avant le mouvement contre la loi travail, cela n’a pas échappé à celles et ceux qui à maintes reprises se sont mobilisé·e·s face aux assauts répétés du capitalisme à notre encontre. D’autant plus que le déplorable monde du travail au cœur des revendications d’hier, succédé aujourd’hui par le miséreux « service public », n’ont jamais cessés d’être les institutions de notre malheur. Anciennement la notion échafaudée de « service public » n’a eu d’autres visées que l’instauration des prémices pour les privatisations présentes. En effet, les nationalisations passées de certains secteurs du « service public » révèlent dès lors la centralité du rôle latent de l’État dans la conquête du capital de toutes les sphères de nos vies.

Toutefois cela ne s’arrête pas là, car l’on sait désormais depuis de nombreuses années que cette conquête est aussi celle de nos esprits. L’épisode de Mai 68 est tout à fait significatif au regard de la récupération de la critique du système, pourtant augurée par certains penseurs de cette époque, à son propre profit. En ce sens, il n’est pas étonnant de retrouver les traits de la dite “modernité” parmi celles et ceux qui de nos jours tentent tant bien que mal de subvertir le narcissisme et l’individualisme dans la lutte collective. Là est toute la difficulté d’un cortège de tête n’arrivant toujours pas à extérioriser les affects et les représentations qui l’animent hors du microcosme d’où il puise la quasi totalité de ses membres. Face à cela le monde syndical n’est pas en reste comme l’a souligné F. Lordon [1], dont la clarté du propos suffit pour ne pas que nous ayons à revenir dessus.

La première manifestation inaugurant la venue tant attendue du Printemps nous a confirmé sans grand étonnement le matraquage persistant de l’édifice médiatique et la ténacité des discours de divisions véhiculés dans « l’opinion publique ». De plus nous avons aussi pu constater la volonté de poursuivre les changements de stratégies dans les dispositifs des forces de l’ordre en faveur d’une pacification des manifestations, tel que cela a été préconisé par les suppôts membres du programme de recherche ANR VIORAMIL (Violences et Radicalités Militantes) [2].

Alors même que ce nouveau mouvement social débute, il apparaît nécessaire de prendre les devants pour ne pas retomber dans les mêmes schémas qui ont précédés, dans l’ensemble synonymes d’échecs mais pas pour autant d’apories. De fait même si cela semble être acquis, sauf bien souvent dans les faits, il est possible pour le cortège de tête de trouver un moyen afin de s’arroger les faveurs du reste des manifestant·e·s en vue de contrer le joug de la figure stigmatisante des « casseurs ». A noter que cela est déjà plus ou moins réussi dans certaines villes comme par exemple à Rennes ou à Nantes (sauf erreur de notre part). Il serait donc impératif d’en faire de même partout ailleurs, et pourquoi pas en déjouant les représentations médiatiques pour les rendre inopérantes par le biais des apparences tel que cela a été brillamment initié par quelques un·e·s revêtant les couleurs de la SNCF dans le cortège de tête.

Cependant il ne faut pas s’y tromper, une fois en bonne posture (pour faire preuve d’optimisme) il est clair que les manifestations dans les formes que nous connaissons ne suffiront en rien à inquiéter un tant soit peu le gouvernement. Là est tout l’enjeu de cette énième bataille que nous avons à mener, dont la gravité de la situation appelle à une réponse d’une ampleur sans précédent, ce d’autant plus à l’heure où l’extrême droite passe aussi à l’attaque contre celles et ceux qui prennent part à cette dynamique de changements profonds. Les récentes agressions ainsi que les prochaines à venir, qu’elles soient des forces de l’ordre et/ou des milices d’extrême droite dont la frontière qui les sépare semble toujours plus poreuse, nécessitent effectivement de réaffirmer dés-à-présent l’autodéfense du mouvement. Plus encore, au delà d’un simple fétichisme du débordement, dorénavant il serait indispensable d’inscrire chaque action menée dans une perspective globale d’intensité sans faire l’erreur de circonscrire la virulence des événements au seul cortège de tête.

Il y a là une opportunité d’agir de telle sorte que la colère individuellement réprimée se meuve en une révolte commune à toutes les sphères de la société. Il est temps de montrer que nous n’avons rien à envier des événements de Mai 68, bien au contraire, puisque bon nombre de celles et ceux qui en ont été à l’origine craignent aujourd’hui la « résurgence » d’une révolte qui n’a jamais cessé d’exister.

Note

CRR

À lire également...