Lycée Jean Jaurès : une opposition pacifique victime de brutalités policières

Concernant l’évacuation du lycée JEAN JAURÈS le mercredi 4 mai au matin : la dépêche AFP, que tous les journaux ont reprise depuis, stipule que nous étions masqués, cagoulés, et qu’il y a eu des jets de projectiles. C’est FAUX. Si ces choses se sont passées, c’est bien après la première charge sans sommation des CRS.

Concernant l’évacuation du lycée JEAN JAURÈS le mercredi 4 mai au matin : la dépêche AFP, que tous les journaux ont reprise depuis, stipule que nous étions masqués, cagoulés, et qu’il y a eu des jets de projectiles. C’est FAUX. Si ces choses se sont passées, c’est bien après la première charge sans sommation des CRS.

Voici mon témoignage : Ce matin, j’étais venue en paix, et j’ai été victime de brutalité policière.

Il y a quelques jours, j’avais laissé un numéro de téléphone à un comité de soutien aux migrants. Ce matin, le réveil a sonné à 5H30 pour me dire que la police arrivait pour déloger, évacuer, et déporter les personnes qui se sont réfugiées dans le grand lycée abandonné a côté de chez moi.
Les migrants nous avaient demandé, le cas échéant, de venir les soutenir, juste par notre présence, et ils l’ont répété de manière constante : SANS VIOLENCE.

A 5h45 donc, j’arrive devant le lycée, et je vois quelques centaines de personnes en mode chaîne humaine. Je suis vaguement inquiète, mais l’aspect de la foule me rassure immédiatement : beaucoup de femmes, de jeunes, de personnes âgées, l’ambiance est détendue.
Je m’installe donc dans la chaîne humaine et blague avec mes copains d’un jour sur les emplois du temps pourris de la vie d’activiste.

Les CRS arrivent, et ils sont plus nombreux que nous. Ils se mettent directement en ligne et là je crois que je commence à avoir vraiment peur. Ils font peur. Ils se rapprochent et la foule commence à scander « solidarité avec les réfugiés » et « nous sommes tous des enfants d’immigrés ».

Soudainement, je comprends plus rien à ce qu’il se passe : zéro sommation, les CRS nous écrasent contre le mur. C’est horrible. Je suis tellement serrée entre les boucliers et les manifestants, que j’en ai le souffle coupé. L’étau se resserre, je n’ai aucune sortie possible, je m’apprête à sentir mes côtes craquer. Je ferme les yeux, et pour lutter contre l’angoisse, je me dis « respire, de toute façon tu ne peux rien faire, respire profondément, si ta côté se casse, elle se casse, ça sera douloureux mais tu ne mourras pas ». J’inspire donc profondément, et c’est ce moment qu’un CRS choisit pour me vider une bombe de gel lacrymo sur la figure. En réalité, je ne m’en souviens pas. On me l’a raconté. Tout ce dont je me souviens, c’est l’impression soudaine que l’on est en train de me faire une anesthésie générale : je suis frigorifiée, j’ai une nausée instantanée, j’ai une fulgurante douleur au visage, et pire que tout... je suis totalement aveugle.
Au début, j’ai cru que je ne voyais plus rien parce que je m’évanouissais, puis j’ai réalisé que ce n’était pas ça, parce que j’avais trop mal.

Tout est flou dans ma mémoire. Je me rappelle m’être mise à supplier « s’il vous plait, s’il vous plait, je n’en peux plus, laissez moi sortir » et avoir cherché à sortir de la foule. Des policiers m’ont rejeté dans la foule et m’ont re-gazée.
J’ai continué à forcer ma sortie : à ce moment là, j’étais prête à me prendre tous les coups de matraque du monde, pour peu que je puisse respirer à nouveau. Je crois que des gens m’ont aidée à m’extirper, et c’est là que j’ai réalisé que le « nuage » de lacrymo n’en était pas un, et que je ne pouvais pas en sortir : le produit était littéralement collé à ma tête.

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ensuite : j’ai vomi plusieurs fois, je me suis plus ou moins évanouie sur le trottoir, j’étais aveugle. Une personne est venue me voir et m’a aspergé un spray sur les yeux, ça a brûlé très fort, j’ai cru que c’était un policier et j’ai crié « ça brûle, ça brûle, qu’est ce que c’est ? » , et une voix masculine m’a répondu « laisse reposer, et ça ira mieux ». Je ne sais toujours pas qui était cette personne qui m’a donné les premiers secours : je ne l’ai jamais vue. Merci à toi d’avoir été là.

Une jeune médecin bénévole m’a conseillé de rentrer chez moi et m’a donné la liste des soins. Premier conseil : ce sont des nouveaux types de gaz, et ils interagissent avec l’eau, donc il ne faut pas rincer tout de suite. D’abord savonner, puis rincer.
Effectivement, sous la douche, j’ai eu l’impression que l’eau était de l’acide, et j’avais beau rincer, ça ne partait pas. En sortant, j’ai mis de la crème, et ma peau a pelé comme après un coup de soleil.

Je suis traumatisée par ce qu’il m’est arrivé ce matin. Je n’ai pas facilement peur, mais là j’ai été terrorisée.
Ma première réaction après la panique en mode survie a été la culpabilité :

  • j’ai fait preuve d’une énorme naïveté : le soutien de solidarité ayant été défini comme pacifique a de nombreuses reprises, je ne m’attendais pas du tout à ce déferlement de violence. J’avais des lunettes de piscine dans la poche, et une écharpe « au cas où » et je ne les avais pas mises « pour ne pas paraître menaçante ». Je me suis faite prendre comme une bleue.
  • en cassant la ligne, j’ai surement exposé mes copains
  • en dépit de toutes mes bonnes intentions, j’ai tenu à peu près 1minute 30 en situation de violence réelle avant de supplier la police de me laisser partir. Un constat d’impuissance dur à avaler.

Et en dépit de mon état physique, mon plus grand choc a clairement été psychologique : je n’ai jamais été particulièrement anti-flics, et je les ai toujours considérés avant tout comme des individus. Je ne porte pas ACAB sur mon t-shirt, et si j’ai souvent participé à des actions à la limite de la légalité, c’est TOUJOURS dans le but de créer des lois plus justes, et de manière pacifique. Et ce matin, je me suis fait défoncer la gueule. Les CRS en face de moi, ces individus, je ne les comprends pas. Comment peut-on se lever le matin, tabasser et gazer des nenettes de 50 kilos pour pouvoir ensuite déloger, mettre à la rue, et déporter des gens qui n’ont plus rien… et puis se regarder dans un miroir ? Comment peut-on être humain lorsqu’on traite des gens comme des cafards ?

Depuis, j’ai essayé de me calmer et rien à faire : je suis en choc. J’ai froid, je claque des dents, impossible de fermer l’œil, je me mets à pleurer par à coups, et quand je pleure j’ai les yeux et les joues qui brûlent.

Ayant du lâcher mes copains pour rentrer me soigner, je suis allée faire un tour sur les médias pour voir si les violences avaient continué. Tous les grands journaux ont repris l’unique déclaration d’un type de iTV selon laquelle « les CRS ont du faire face à quelques dizaines de manifestants, dont certains masqués et cagoulés ».
C’est TOTALEMENT FAUX.
Ça me dégoute. Des masques ? Vous voulez dire des lunettes de piscine, cette arme super dangereuse de dissimulation ? Cagoulés ? Y’avait PAS UN mec cagoulé. Quelques écharpes. Pas tout le monde a été aussi con que moi en venant les mains dans les poches et le sourire aux lèvres.
Qu’est ce qu’il faudrait pour que vous arrêtiez de faire passer les citoyens pour les origines des confrontations ? Qu’on vienne à poil ? Pour que vous puissiez nous gazer encore plus facilement ? Et même là, vous trouveriez encore le moyen de dire que y’en avait un ou deux d’agressifs dans le lot, pour justifier votre violence…

Mots-clefs : expulsions
Localisation : Paris 19e

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