Zones d’éducation prioritaire ?
Ces zones créées en 1981 sur fond de réforme de l’éducation prioritaire dans les médias, étaient au départ des zones auxquelles il fallait donner des moyens, réduire le nombre d’élèves par classe, et rendre attractives ces zones pour des profs dans l’esprit de « l’Instit ». En 1998, les collèges du 93 obtiennent, après une très forte mobilisation de 3 mois de grève, le classement ZEP de nombreux établissements du département.
Depuis lors, des moyens sont supprimés petit à petit, à chaque rentrée, alors que les effectifs des établissements augmentent. Cela ne prend absolument pas en compte le fait que la population en âge d’être scolarisée du 93 augmente considérablement et vite. Sept nouveaux collèges ont été construits cette année, et il en faudrait encore plus.
À Saint-Denis, on parle d’une école en préfabriqué montée en deux mois d’été destinée à accueillir les enfants « surnuméraires » de la rentrée 2015-2016.
Cette année, la réforme proposée modifie la carte des bahuts REP (Réseau d’éducation prioritaire), leur alloue moins de moyens, tandis que les bahuts dits REP + conservent leurs moyens actuels. Ou comment donner moins en faisant croire qu’on donne plus, et surtout en ne prenant pas en compte le fait qu’il y aura de toutes façons plus d’élèves.
Plus généralement, dans le cas de cette année, ce sont les bahuts du 94 (ayant une image un peu moins mauvaise que le 93) à qui on va enlever des heures : il s’agit juste de déplacer géographiquement les moyens.
Ce n’est pas une grève pour les conditions de travail des profs mais contre les manques de moyens, qui vont encore faire empirer les conditions d’étude et de réussite des élèves du 93. Pour rappel, un élève de Seine-Saint-Denis coûte 30% moins cher qu’un élève parisien (étude de 2010) et les non remplacements font perdre aux élèves presque 2 ans au cours de leur scolarité.
L’écart s’est même agravé : un collège parisien possède désormais 45% de moyens en plus qu’un collège du 93.
La DHG, dotation horaire globale, a baissé dans de nombreux établissements. La DHG, ce sont des heures sups que détient chaque collège selon des dotations précises du ministère. Elles permettent de proposer des options : latin, musique, soutien scolaire, mais surtout, elles permettent aussi de dédoubler les classes. On apprend mieux à moins d’élèves par classe, et toutes les matières devraient pouvoir se faire en demi-groupes.
Ce qui diminue surtout, ce sont les heures devant élèves. Les heures attribuées par le chef d’établissement comme c’est déjà le cas aujourd’hui, donnant lieu à toutes sortes de favoritismes divers, seront converties en IMP (Indemnités pour missions particulières). En terme de charges, celles-ci ne sont pas considérées comme du salaire, et coutent donc beaucoup moins cher à l’employeur, l’État.
La lutte dans le 93 est intersyndicale. Mais on peut se poser la question de savoir si les centrales sont dépassées par la base. Il y a des actions communes parents-enseignants, notamment à l’encontre des représentants du ministère, à surveiller de près.
Chronologie partielle
Des journées de grève et d’action ont lieu de manière éparse dans différentes villes du 93 dans l’indifférence générale.
- Au mois de novembre et décembre, des nombreux bahuts avaient fait grève par rapport à la question du classement, notamment Courbet à Romainville ou Politzer à Montreuil. Ces grèves se caractérisent par un ancrage très local. Le classement n’est pas une étiquette, mais conditionne les possibilités ou non d’espérer faire un travail qui serait de toutes façons à repenser dans des conditions à peu près correctes.
- À Saint-Denis, les deux écoles hors REP de la ville ont pu, suite à une mobilisation éclair avec les parents, obtenir le précieux classement - ce qui en terme de moyens, ne changera de toutes façons que peu de choses. REP, c’est un peu plus de miettes pour gérer la pénurie et tenter de travailler un tant soit peu correctement avec des enfants dont les conditions de vie, déjà précaires, s’aggravent toujours plus à cause de la crise.
- Le 20 novembre a lieu une journée de grève interdegrés dans le 93, qui s’est traduite à Saint-Denis par une manifestation de ville et par un départ vers le ministère (rue de Grenelle, Paris VII) dans l’après-midi.
- Jeudi 29 janvier : collège Colonel Fabien, de Saint-Denis, en grève contre la DHG.
En février, il commence à se fédérer.
- Mardi 3 février : le collège Rosa Luxembourg (Aubervilliers) en grève.
- Mercredi 4 février : le lycée Le Corbusier (Aubervilliers) débute une grève d’une semaine, en raison d’une diminution de 59 heures hebdomadaires d’enseignement devant élèves, en plus de repasser à 35 élèves par classe l’année prochaine [1].
- Jeudi 5 mars : la grève s’étend aux collèges Jean-Moulin, Gabriel-Peri, Henri-Wallon et Diderot. Jean Vilar à la Courneuve est bloqué depuis une semaine par les parents.
- 11 h : une cinquantaine d’enseignants se réunissent en assemblée générale à la bourse du travail d’Aubervilliers afin de débattre de revendications communes.
- 14 h 30 : une soixantaine d’enseignants grévistes venus du collège Jean Vilar (La Courneuve) et des 5 collèges d’Aubervilliers ainsi que des représentants de la FCPE (Fédération des parents d’élèves) se rassemblent devant la DSDEN (Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale) de Seine-Saint-Denis à Bobigny, pour tenter d’être entendus en audience de ville. À l’origine, cette audience est celle du collège Jean Moulin qui doit être reçu à 17h 30, mais la volonté des grévistes est d’obtenir une audience collective. Le rassemblement est suveillé par la police et des personnels EMS qui bloquent l’accès au bâtiment. On notera que les EMS ou Équipes mobiles de sécurité, habituellement chargées d’intervenir contre les violences en milieu scolaire servent de milice patronale au rectorat).
- Un peu avant 16h, la directrice de cabinet de l’inspection tente de persuader les établissements d’être reçus au cas par cas, ce qu’ils refusent, réclamant une audience collective.
- 17h : la demande est refusée. Les manifestants (pour)suivent la directrice jusqu’au tribunal de Bobigny avant de tenter de pénétrer dans les locaux de la DSDEN [2], ce qui déclenche une bousculade assez violente avec la police et les EMS.
- 18h30 : réunion avec des parents et des enseignants du premier degré à l’école Jules Guesde.
Traditionnellement dans l’éducation nationale, le premier degré (maternelle+élémentaire) et le second (collège+lycée) sont assez séparés : ce ne sont pas les mêmes enjeux administratifs, et pas la même hiérarchie directe. Pourtant, les élèves qui ont déjà vécu une école difficile voient leurs difficultés augmenter au collège.
Les écoles en général sont gérées directement par les mairies, et beaucoup sont vétustes : il peut arriver qu’il pleuve dans les classes, ou que toutes les salles annexes (bibliothèque, salle de sport) soient converties en salle de cours car il y a trop d’enfants.
Quant au collège et au lycée, le ministère lance des grandes consultations pseudo-participatives sur le numérique à l’école, et tente de déplacer les enjeux matériels et pédagogiques vers un tout-numérique triomphant. Quand on sait que le nouveau collège Dora Maar (Saint-Denis/Saint-Ouen) ne fonctionne toujours pas du point de vue du matériel informatique, alors même qu’il avait été inauguré en grande pompe par Stéphane Troussel, sous les huées de parents d’élèves et d’enseignants, on se demande en quoi plus d’enfants face à plus d’ordinateurs défaillants pourrait représenter un avenir intéressant.
- Jeudi 12 mars : journée de grève en coordination, entre les établissements en grève d’Aubervilliers de La Courneuve et de Saint-Denis.
- 9h : AG des grévistes à la Bourse du travail d’Aubervilliers
Les revendications sont :
- 9h : AG des grévistes à la Bourse du travail d’Aubervilliers
- 20 postes de plus par bahut (300 heures),
- la baisse des seuils à 18 élèves par classe,
- créations de postes par bahut : 2 assistants d’éducation, une Assistante Sociale, une infirmière, une Copsy à plein temps, créations de postes d’adjoints techniques supplémentaires
- paiement des jours de grève
- 11h/11h30 : les profs d’Aubervilliers se déplacent au marché et diffent pour la manif du samedi 14.
- 12h : à Saint-Denis, rassemblement devant la mairie. 100 personnes, de 5 collèges : Barbusse, Fabien, Elsa Triolet, Iqbal Masih et Joséphine Baker de Saint-Ouen, le lycée Bartholdi, quelques professeurs des écoles, des représentants de parents des Bonnets d’Âne, de la FCPE et du collectif des parents du 93.
- 14h 30 : 2e rassemblement à la DSDEN : Aubervilliers, La Courneuve, Saint Denis, Montreuil (collège Politzer), Bobigny (lycée Louise Michel, avec une centaine de lycéenEs dynamiques).
Cette fois, un rendez-vous a été fixé. La DSDEN reçoit une délégation composée de représentants syndicaux. Le DASEN (Directeur académique des services de l’éducation nationale) explique que le rectorat ne dispose plus que de 84 heures à répartir sur les 79 établisssements REP / REP + que compte le département [3]. - AG des bahuts le soir à la Bourse du Travail de Bobigny.
- Samedi 14 mars : Aubervilliers : manifestation d’environ 150 personnes, parmi lesquelles des enseignants, parents et enfants.
- Mardi 17 mars : opération « École déserte » dans plusieurs établissement, dont le collège Jean-Baptiste Clément, Dugny.
Perturbation d’un meeting électoral du parti socialiste auquel la ministre de l’Éducation Nationale, Najat Vallaud-Belkacem, participait à Saint-Ouen. C’est un meeting de soutien à Karim Bouamrane (PS), candidat aux élections départementales sur le canton de Saint-Ouen. Une centaine de parents, d’enseignants et d’élèves ont réussi à infiltrer la salle, plusieurs enseignants se font évacuer de force par la sécurité. La ministre adresse une réponse politicienne : et affirme, que les Dotations Horaires Globales « ne sont pas à la baisse ». Ils finissent par obtenir du directeur de cabinet de la ministre une audience au ministère mardi 24 mars.
- Lundi 23 mars : occupations nocturnes sur plusieurs établissements d’Aubervilliers décidées en AG. Des réunions avec les parents d’élèves ont lieu.
- Mardi 24 mars : reprise de la grève
- 14h : manif de Sèvres-Babylone au Ministère de 250-300 personnes.
- 14h30 : rassemblement devant le ministère de l’éducation nationale
La délégation est reçue par un conseiller politique de la ministre chargé des reformes du collège et de l’éducation prioritaire, M. Tournier, profitant de l’audience obtenue pour le collège de Saint-Ouen le 17 mars. Fin de non-recevoir catégorique : la Seine-Saint-Denis est aux yeux du ministère un département comme les autres. - 18h : AG à la Bourse du Travail de Paris avec une soixantaine de personnes de 19 établissements différents : Louise Michel (Bobigny, Péri (Aubervilliers, Diderot (Aubervilliers, Rosa (Aubervilliers), Barbara (Stains), Courbet (Pierrefitte), Dora Maar (St-Ouen), Jaurès (St-Ouen), Moulin (Aubervilliers), République (Bobigny), Bartholdi (Saint-Denis), Fabien (Saint-Denis), Wallon (Aubervilliers), Vilar (La Courneuve), Cachin (St-Ouen), Jaurès (Montreuil), Backer (St-Ouen), JB Clément (Dugny).
Les personnes rassemblées appellent à la grève reconductible partout où c’est possible à partir du 2 avril.
- Jeudi 26 mars
- 19h : Un petit groupe d’enseignants tente de perturber le meeting de la gauche à la salle des fêtes de Bondy, où se trouve Stéphane Troussel, président du conseil général candidat à sa propre succession dans le secteur La Courneuve - Dugny - Le Bourget (contre l’UMP). Le service d’ordre les empêche d’entrer, il faut l’intervention de la police pour éviter que la situation ne dégénère en défaveur des profs.
Pour ces grèves dans l’éducation, si les profs sont prêts à lancer un mouvement, la poursuite de celui-ci ne peut compter qu’avec les parents : ceux-ci peuvent, s’ils en ont la possibilité, lancer des opérations "école déserte", en bloquant physiquement l’accès des établissements, ce qui fait que les profs ne sont pas déclarés grévistes. Cela permet de partir sur des logiques de grèves dures et longues, puisqu’il est possible de fonctionner en mode "relai", et de permettre aux autres travailleurs au statut moins confortable (agents, surveillants...) d’arrêter le travail.
En effet, la question des différences de statuts salariaux dans l’Éducation Nationale se pose aussi : pour un précaire (AED (surveillant), AVS (auxiliaire de vie scolaire), AP (assistant pédagogique) ou contractuel), faire grève c’est se soumettre à l’arbitraire du chef d’établissement et donc se voir possiblement non renouvelé l’année suivante.
De plus, seuls les enseignants gagnent une prime ZEP (d’environ 50 euros par mois en REP) : les personnels de vie scolaire ou autre, bien qu’eux aussi touchés de plein fouet par les mauvaises conditions de travail, ne la perçoivent pas. Être AED à Bobigny et à Vincennes, ce n’est pas le même travail effectif mais c’est du pareil au même pour l’Éducation Nationale.
- Du 24 mars au 30 mars : le collège République à Bobigny est bloqué, avec les parents contre la suppression de 10% de ses moyens l’année prochaine et appelle à un "plan d’urgence pour l’éducation en Seine-Saint-Denis".
Perspectives de lutte
La question des moyens est souvent brandie comme un slogan et il faut se demander ce que cela recoupe. Le fait est qu’il y a une urgence totale à l’embauche (1600 postes nécessaires sur le département dans l’école primaire, le chiffre n’est pas disponible sur le second degré), mais que c’est l’ensemble du dispositif qui est à repenser.
Le 93, département le plus jeune et le plus pauvre de France, n’intéresse personne, hormis quand il s’agit de revenir sur l’après-Charlie dans des établissements où la propagande d’État a du forcément mal passer (d’ailleurs à ce sujet, voir la saine réaction des enseignants du lycée Paul Eluard à Saint-Denis)
Les syndicats enseignants du 93 appellent à une participation à la mobilisation interprofessionelle du 9 avril, et à une grève dans le premier degré contre la répartition des moyens le 7. Les dotations des écoles parisiennes sont tombées, et on se dirige vers 90 suppressions de classe l’année prochaine.
L’enjeu est triple :
- la possibilité d’une fédération des différents établissements du 93, alors que pour l’instant, hormis quelques dynamiques de ville (Aubervilliers, La Courneuve, Bobigny), ce n’est pas encore très présent ;
- le fait pour les profs de lutter avec les parents d’élèves ainsi qu’avec les autres catégories professionnelles dans l’Éducation Nationale (non seulement les précaires mais aussi ce qu’on appelle "pole médico-social" qui regroupe infirmières, assistantes sociales... qui sont toutes et tous en sous-effectif dans le département) ;
- une vraie réflexion sur ce que peut bien signifier "l’éducation prioritaire".