Libertés Casse et Communication politique

Lundi.am a reçu plusieurs témoignages concernant la première marche des libertés qui s’est tenue ce samedi. Pèle-mèle ils pointaient les retournements de veste d’une partie de la gauche (aujourd’hui à l’unisson sur la question de la loi), s’offusquaient des discours de dissociation qui ont accompagné les affrontements de fin de parcours, ou pointaient l’absence de recul critique quant aux pratiques mises en oeuvres (de la casse au « smartphone levé »).

Le texte que nous [lundi.am] avons choisi a à la fois le mérite de traiter de l’ensemble de ces sujets, et de ne pas partir de la marche parisienne qui a concentré toutes les attentions. Plus qu’une critique d’un communiqué que l’on pourrait juger anecdotique il faut le voir comme une amorce de réflexion sur les stratégies de luttes et de divisions.

Nous avons battu le pavé contre la loi liberticide dite de sécurité globale. Ce samedi de manifestation, qui était aussi celui de la réouverture des commerces, s’est déroulé dans la capitale des Gaules sous un soleil radieux !
Désolé : on s’abaisse au même niveau de poncifs que le communiqué dont on va discuter.

Nous avons manifesté donc, et constaté, avec joie, que l’inattendu mouvement contre une loi sécuritaire prenait de l’ampleur. C’est rare. Et c’est rare de se dire que la rue pourrait, si ce n’est gagner, au moins arracher enfin un bout d’honneur perdu.

"Rentrer" de manif aujourd’hui c’est souvent rentrer dans un autre espace-temps, celui des réseaux sociaux et leurs folies post-manifestation. Cette fois, en plus des stratégies de com’ gouvernementales et de la tentative d’exister d’une extrême-droite plutôt aphone ces derniers jours, il y avait quelques autres raisons d’être dégouté. On pourrait parler de tel « photographe de terrain », qui sans une once de recul critique ou d’intelligence, met sur le même plan « casseurs » et BRAV parce que tous deux l’empêcheraient de filmer. Ou de l’ancien journaliste du JDD et créateur de Loopsider, qui tombe dans le piège pourtant grossier tendu par un syndicat de police visant à mettre sur le même plan les bastons entre CRS et manifestants et le tabassage de Michel Zecler. Surtout, il y eut, posté par David Dufresne sur Twitter, le "communiqué des organisateurs".

Ce fameux communiqué [1] publié par la coordination [2] évoque notamment la manifestation où nous étions : celle de Lyon, pour en dénoncer "fermement", les "violences".

Revenant de manifester, d’avoir inhalé notre dose de gaz, comme on en a l’habitude à Lyon depuis au moins 4 ans (d’ailleurs n’était-ce pas aussi contre ça que l’on était dans la rue ?), quelle joie de nous voir ainsi condamnés "fermement" (par extension). Naïvement, puisque ce sont nos corps, nos voix, que l’on avait mis en mouvement ce samedi, on pensait que c’était un peu notre manif. Des proprios se ramènent avec un acte notarié : ils condamnent .

VIOLENCE

La coordination condamne… « les violences. »

On comprend, on fait le parallèle avec les dépêches habituelles de fin de manif’. La coordination est composée notamment de journalistes. Ce doit être un truc appris à l’école, l’usage de ce mot-magique, ce fourre-tout : la « violence ». On ne sait pas exactement ce que dénonce la coordination. Au mieux on comprend qu’elle est du côté du « bien ». Pour le reste on va essayer, ensemble, de deviner.

Pour cela il faut d’abord savoir qui parle, et à qui on parle : on va exclure que ce soit un « bot » produisant des discours automatiques de « dénonciation des violences ». On pensera plutôt à ceux qui ont incarné le collectif jusqu’à présent, notamment devant les micros, sur les réseaux sociaux ou dans les salons ministériels : Taha Bouhafs, Arié Alimi, David Dufresne. Ça tombe assez bien parce qu’on se dit que la « violence » en manifestation c’est un sujet qu’ils connaissent, et avec de la chance maîtrisent un peu.

Revenons donc à cette grande valise, la « violence ». La valise accueille au choix : dégradations, bagarres, coups portés par la police, ou coups portés à la police. On peut rajouter un cinquième choix : mettre tout dans le même panier, secouer.

Ecartons les bagarres (il n’y en a pas eu ici). Et les violences policières (ce serait convenu, c’est votre travail quotidien). Vous pourriez parler de dégradations. En l’occurence à Lyon des tags, nombreux et drôles, et des poubelles brûlées. Dans le même temps, David Dufresne postait sur son fil Twitter une photo de graffiti (auto-promotionnelle, certes). Quant à Taha Bouhafs il semblait sourire, il y a quelques années, quand l’auvent du Fouquet’s prenait feu. [3] Ce n’est certainement pas là que se situe le problème. Next.

Restent donc les « violences contre personnes dépositaires de l’autorité publique » (voyez, on essaye de parler alternativement le langage de vos composantes, journalistiques et avocates). C’est donc ça que vous condamnez, ou bien vous amalgamez tout, ce qui revient à la même chose.

Eh bien vous voir dénoncer avec empressement des "violences" contre la police, c’est proprement indécent.

CONTEXTE

Ici, à Lyon, comme pour chaque manifestation depuis le milieu du mouvement des Gilets Jaunes la préfecture avait pris un arrêté interdisant de défiler sur la Presqu’île (le centre-ville). Exception faite de la place Bellecour, qui est l’endroit de dispersion privilégié par le préfet. La police en a un usage qui a été bien documenté à partir de 2010. Résumons pour vous éviter de faire des recherches (à supposer que vous n’ayez pas perdu les réflexes élémentaires de votre formation depuis que vous êtes de la "coordination") : c’est ici qu’a été expérimentée la première nasse, ou l’encagement. Ajoutons que c’est aussi sur cette place qu’a été inauguré l’usage en manifestation du LBD 40. C’était en 2007, avec pour conséquence un testicule explosé.

La manifestation devait se dérouler loin des badauds, de l’autre côté du Rhône sur un quai plutôt dédié à la circulation automobile. C’est le nouveau « classique » : la police peut à loisir y faire un usage disproportionné de lacrymogènes, sans subir l’ire des commerçants. Désolé, c’est un peu long cette mise en contexte… Cliquer sur le bouton « condamner les violences » demande moins d’efforts.

Sauf que voyez-vous ce contexte nous importe. Pour la simple et bonne raison que nous le vivons, ce contexte, manif après manif’ : l’invisibilisation, l’affrontement, les coups. Donc quand une énième charge absurde de policiers tout aussi absurdes se fait rembarrer par des jeunes gens un peu audacieux, eh bien désolé mais on n’a pas trop envie de condamner. Idem quand une partie de la manifestation essaye de ne pas se faire enfermer à Bellecour, une fois de plus. Parce que Bellecour, et ça David Dufresne le sait puisqu’il l’a documenté, Bellecour la dernière fois quelqu’un y a perdu la moitié de ses dents. Donc vos communiqués de condamnations… non avant de conclure, on va continuer un peu.

PRISE D’OTAGE

Après avoir condamné les violences de notre manifestation, donc, vous nous expliquez pourquoi. C’est bien aimable.

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Notes

[1Au moment où nous finissions d’écrire ces lignes, le communiqué avait été supprimé du compte de David Dufresne. Il était encore présent, sous un autre format, sur le site de la CGT-SNJ. Par ailleurs certains extraits avaient eu le temps de se retrouver dans la presse. Nous ne connaissons évidemment pas les raisons de cette suppression...

[2La coordination rassemble notamment les sections « journalistes » des syndicats (CGT, FO, CFDT, CNT), mais aussi le Syndicat des Avocats de France et des collectifs de reporters (REC, La Meute).

[3On ne voudrait pas attirer à l’homme plus d’ennuis qu’il n’en a déjà. Alors reformulons : il semblait soutenir les GJs malgré leur large pannel d’actions. Mais nous allons peut-être encore trop vite en besogne, puisqu’il s’est opposé directement à la casse lors de la manifestation parisienne de ce samedi.

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