La liasse 9 est disponible ici.
Alors que le mouvement contre la loi « travail » risque bien de se terminer avant dʼavoir vraiment commencé, encore une fois, cʼest bien chez les lycéens que lʼenvie dʼen découdre et le refus de rentrer chez soi semblent les plus tenaces. Ils sont aussi de ceux qui ont affaire aux formes de gestion policières et disciplinaires les plus proactives, c’est-à-dire au plus près des comportements des uns et des autres, au plus près des comportements collectifs, dans le but d’isoler et d’étouffer toute velléité actuelle et future de se mettre en lutte. En frapper pas mal pour en éduquer le plus possible, et pour longtemps, que ce soit par les volées de coups, lacrymos, grenades diverses, flash-ball en manif, conseils de discipline, ou par des procédures policières et judiciaires.
Ainsi à Levallois Perret suite à un blocage au cours duquel la porte et la façade du lycée ont été incendiées, 47 lycéens (d’après la police) ont été convoqués à la Sureté Territoriale. Les 13 qui s’y sont rendu ont été placés en garde-à-vue, et sont actuellement poursuivis, en plus des sanctions internes à l’éducation nationale. Des enseignants et l’administration ont participé activement à cette répression. Plus généralement beaucoup d’efforts sont aussi déployés pour empêcher les lycéens d’agir, à la source pourrait-on dire, en évitant par tous moyens le blocage des établissements, qui est, on le sait depuis bien des années, un point de départ à l’intensification du mouvement.
Le rectorat a donné des consignes sévères, en quelque sorte il a donné carte blanche aux administrations pour intimider ceux qui se risqueraient à commencer un blocage. Levés dès potron-minet, les équipes de direction usent et abusent de leur autorité en distribuant des menaces individualisées ou en empoignant s’il le faut les élèves récalcitrants pour maintenir le fonctionnement des enceintes du savoir et empêcher des blocages effectifs. Sans parler des EMS, ces véritables ERIS (équipes spéciales d’intervention dans les prisons) de l’éducation nationale, milice rectorale dont c’est le métier de menacer, de molester et d’insulter des adolescents. La BAC rode tôt, dans les rues adjacentes, aux heures des blocages éventuels pour les attraper un par un. À Montpellier, des flics en civil planqués aux abords des lycées où des blocages étaient prévus, ont tendu de véritables guet-apens aux bloqueurs de la rentrée en les interpellant pour le honteux délit de vol de poubelle, judiciarisant ainsi les moyens les plus banals et minimaux de la lutte. Et quand on en tient un, on ne le lâche plus, comme ce lycéen de Voltaire accusé d’incendie volontaire, parce qu’un papier enflammé a été mis dans une poubelle qui n’a même pas brûlé, alors même que des feux de poubelles ont régulièrement lieu lors des blocages de lycées, sans que personne ne s’en formalise.
Ces épisodes ne sont pas sans rappeler une époque pas si ancienne où, dans le mouvement contestataire de l’après 68, on se solidarisait avec de jeunes incendiaires de leur école, entendant dans ces actes la critique de ce lieu de travail et de mise au pas quotidienne de la jeunesse. Alors même qu’en 2005 beaucoup, et pas seulement dans les partis de gouvernement, avaient du mal à comprendre que des jeunes s’attaquent aux écoles, au même titre qu’aux commissariats par exemple, où en est-on aujourd’hui ? Ne devrait-on pas repasser le film de ces mobilisations déterminées à soutenir les élèves en les défendant pour ce dont ils étaient accusés : contester en acte la situation qui leur est fait dans l’école, jusqu’à mettre en jeu sa destruction.
Cette liasse est principalement centrée autour de l’affaire dite « du collège Pailleron ». Le 6 février 1973, des collégiens mettent le feu au CES de la rue Pailleron à Paris (en face de l’actuel lycée Bergson). Le lycée s’effondre en brûlant en moins de 20 minutes, et 20 personnes, exceptionnellement présentes tardivement ce soir-là, meurent. Très vite, Patrick et Marc, élèves de 4e, sont mis en examen et incarcérés. Suite au drame une importante mobilisation se construit, déterminée à soutenir les deux garçons. Y prendront part profs, élèves, parents, voisins, militants, etc. Deux aspects sont mis en avant pour les défendre. D’abord le type de construction à l’économie qui a causé la mort des victimes. Nombre de ces « collèges Pailleron » seront ensuite détruits d’ailleurs. Et puis la nécessité d’entendre leur geste, de le comprendre, voire de le poursuivre : on peut vouloir détruire l’école. On trouvera des extraits du 4 pages diffusé à l’époque à ce sujet, Liberté immédiate pour Patrick et Marc, ainsi que de Libérons l’école dont il est le supplément. L’affiche centrale, signée d’ailleurs de ce groupe constitué au départ pour le soutien de Jean-Louis Hurst, enseignant menacé de radiation de l’éducation nationale (voir Liasse 6), montre bien l’aspect fondamental et généralisable de la critique proposée, qui va même au-delà de la question de l’école pour affirmer la nécessité de refuser d’obéir et de se tenir à la place qui nous est faite dans ce monde. On a complété cette liasse avec des extraits d’un journal lycéen de Sèvres en solidarité avec cette affaire, Nous sommes tous irrécupérables, ainsi que des brèves de l’APL et quelques articles relatant d’autres épisodes de mobilisation lycéennes intéressants à divers titre. Un extrait des Invisibles, un récit s’appuyant sur différentes expériences de lutte des années 70 en Italie, vient apporter la perspective d’une mobilisation intense et joyeuse de l’intérieur d’un lycées. Pour ce qui est du collège Pailleron, la mobilisation jouera son rôle et les deux garçons libérés seront condamnés à 5 et 4 ans de prison avec sursis. Reste cette critique de l’école dont l’écho pourrait parvenir jusqu’à nous, et puis cette manière de pouvoir entendre qu’on puisse vouloir la détruire dont la relecture, dans le contexte du moment, pourrait donner à réfléchir.