Lettre aux féministes, pour une solidarité interluttes avec l’antispécisme

Bien qu’on ne puisse exiger de l’ensemble des mouvements sociaux qu’ils priorisent la question du spécisme, on est en droit d’attendre une politique interluttes de non-nuisance. C’est à une telle solidarité passive qu’appelle cette lettre ouverte, envoyée par voie postale à une vingtaine de collectifs, personnalités et revues féministes francophones, et initialement publiée sur le site de L’Amorce, revue en ligne contre le spécisme (www.lamorce.co).

Chères camarades,

Nous sommes quatre militantes antispécistes engagées de longue date dans diverses luttes sociales, actuellement réunies en non-mixité choisie dans le cadre d’une résidence d’écriture antispéciste. Il nous a paru crucial de vous faire part d’une préoccupation qui surgit de façon récurrente dans nos parcours militants, celle de voir la question animale négligée dans les milieux féministes.

Faisant nous-mêmes partie de ces milieux, nous sommes touchées par votre travail et reconnaissantes pour votre engagement. Nous avons néanmoins de bonnes raisons de penser que le spécisme ne devrait plus en constituer un angle mort.

Le niveau de violence exercée à l’encontre des animaux est incommensurable. Notre société est organisée de telle façon qu’ils sont des milliers de milliards à subir chaque année une vie d’exploitation, de terreur et d’enfermement : ils sont mutilés, torturés, empoisonnés, gazés, asphyxiés, chassés, pêchés, vendus, tués puis dépecés, réduits à l’état d’outils et de moyens pour servir des fins qui leur sont extérieures. Ils sont dépossédés de leur vie, de leur corps, de leur agentivité. Leurs préférences, leurs désirs et leurs besoins sont profondément méprisés.

Le spécisme est une oppression spécifique, qui ne peut être réduite à la question du capitalisme ou à celle de l’écologie. Il s’agit à la fois :

  • d’une organisation sociale fondée sur l’exploitation animale, institutionnellement et légalement reconnue, qui fait des animaux des propriétés au service des intérêts humains (plaisir, confort, divertissement, habitudes alimentaires et traditions) ;
  • d’une idéologie, celle du spécisme ou du suprémacisme humain, qui légitime et verrouille cette organisation sociale ;
  • d’une discrimination basée sur le critère de l’espèce, aussi arbitraire que celles fondées sur le sexe, la race, les capacités, l’âge, l’orientation sexuelle ou la classe sociale.

Cette critique du spécisme a beau avoir été formalisée dans les années 1970, force est de constater que cinquante ans plus tard, elle n’a toujours pas infusé l’ensemble des gauches. En plus d’être négligée et mal comprise, la lutte antispéciste est régulièrement caricaturée, voire attaquée. Ses revendications sont absentes des grands rendez-vous de la gauche. Les quelques fois où l’enjeu est abordé, la parole est donnée à celles et ceux qui défendent le maintien de l’ordre établi, aux tenant·es d’un discours d’arrière-garde (à l’instar de Jocelyne Porcher ou de Paul Ariès). Le mouvement animaliste fait face à la même rengaine qu’ont connue – et connaissent toujours – les féministes de la part de la gauche : à objet secondaire, lutte secondaire.

Pourtant, les proximités théoriques et politiques entre nos luttes sont indéniables. Ce qui est dénoncé dans le système sexiste existe également dans le système spéciste. Nos arguments et notre projet politique reposent sur une conception de la justice sociale commune, à savoir le rejet des discriminations, de l’appropriation et de l’exploitation des corps, de la destruction physique et psychologique d’autrui. Un mouvement féministe qui fait l’impasse sur les questions animalistes délaisse des milliards d’individus. Or, au vu de la gravité de ce que vivent les animaux dans le système spéciste, nous avons une responsabilité commune à nous en soucier. Personne ne devrait rester silencieux·se face à une telle violence institutionnalisée.

Mots-clefs : abattoir | antispécisme

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