Les coups de marteau nous parlent

La casse est de saison. Elle est comme une carte postale que la rue nous adresse.

À l’ocassion de la dernière manifestation publique, en mars, on a vu des journalistes se faire dégager à coup de « Charognard, va manger tes morts ! », lorsqu’il leur prenait de filmer des actions de rue. Ils viennent à trois, un qui filme, l’autre avec son micro, et un troisième, qui croit que ses bras sont gros, pour protéger la cam. Las ! C’est vrai que monsieur Taranis n’y mets plus un pied (cf. Journalistes indépendants, vraies balances et faux-amis). Oui mais, du coup, il y a une place à prendre. Le créneau. Pas sûr que ça fera moins de soucis judiciaires pour toutes les spontanées. En mode : j’te prends en photo, mais j’te dis, en te posant la main sur l’épaule, voire en te menaçant d’un câlin : « T’inquiète ! », ou : « Nan, mais, c’est de dos », ou encore : « Ouais, mais je te floute après » (après que les keufs t’ont chipé ta carte sim ? « Nan, parce que les flics y savent pas sortir une pellicule argentique » ! ) Et puis, sur facebook, y a un gars, qui par ailleurs se fait interviewer de dos chez Arte et, qui demande qu’on lui envoie des photos. Il en reçoit plein, et il les publie. Moi, je reconnais un visage, ou deux. Je me dis que, toujours pareil, il faudrait pouvoir mieux expliquer. On aura bientôt l’occasion. Ben oui, parce que dans la rue, on a aussi vu beaucoup de marteaux danser. Et des graffitis bien sûr, par exemple sur la vitre d’un assureur : « C’est la casse qu’on préfère ». En bonne logique, le message sera rendu illisible par l’étoilement du verre de la vitrine.

Dans la rue, quoi de plus expressif qu’un coup de marteau ? Et qui parle dans la mesure où il n’institue pas une nouvelle syntaxe et un nouveau lexique, et dans la mesure où il défait les codes de la langue politique. L’intérêt de ce langage-là, qui n’est pas un langage finalement, est de perdre la comunication et de faire apparaîte ce qui parle plus haut. Ce mode d’expression ne s’inscrit pas et n’offre pas la possibilité d’une transition vers un langage politique organisé. C’est sa force. Il fait jaillir des étincelles qui peuvent être repérées. Le désir passe. En matière de langage politique organisé, si les critères lenninistes sont fossiles, d’autres modes de prédication, de propagande, plus fins, mieux composés, menacent toujours d’introduire une procédure d’intégration, c’est-à-dire l’organisation comme vieille routine idéologique politique. S’il n’est plus possible aujourd’hui de revenir à la fameuse « prise de conscience indispensable de la masse grâce à la pédagogie révolutionnaire d’une minorité », il est en revanche tout-à-fait courant d’entendre parler de telle ou telle « tactique » en particulier, et d’entendre affirmer sans argument, péremptoirement donc, que celle-ci « reste à dépasser ». Où l’on entend aussitôt que la personne qui parle prétend en savoir un peu plus que la personne qui écoute. Ce petit plus, avec lequel une logique de pouvoir s’amorce... La casse n’est pas une tactique, elle n’est donc pas à dépasser. Les coups de marteau sont à la fois un moyen et une fin. Sans message. Et les choses continuent à cheminer d’une façon complètement souterraine par les discussions, par les lectures, et, de toutes façons, ça éclatera.

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