Le sionisme est l’idéologie réactionnaire responsable de la situation actuelle. La propagande israélienne défend cette politique en semant la confusion et va jusqu’à présenter les Israélien·nes comme victimes d’un pogrom réalisé par des nouveaux nazis [2] que seraient les Palestinien·nes. Ce type de récit vise à mobiliser un imaginaire très douloureux pour les juif·ves pour justifier toute sorte de violences envers Gaza. En France, la hausse des actes antisémites observée depuis le 7 octobre a été utilisée pour défendre les crimes d’Israël et criminaliser le soutien à la Palestine. Cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme a atteint son paroxysme avec la marche du 12 novembre 2023 achevant la normalisation de l’extrême droite en France.
L’antisémitisme, une histoire européenne
L’antisémitisme consiste en la haine des juif·ves parce qu’iels sont juif·ves. En Europe, cela a pris plusieurs formes, la plus ancienne est chrétienne lorsque les juif·ves ont été perçu·es comme le peuple déicide. La communauté juive est alors vue comme une communauté à part à laquelle on ne peut pas faire confiance.
Pendant le Moyen Âge, l’antisémitisme se manifeste par la suspicion envers les juif·ves, la stigmatisation de leurs commerces, l’interdiction d’accès à certaines professions, des accusations de trahison, diffusion des maladies, sorcellerie et toutes sortes de croyances stigmatisantes. Les juif·ves sont souvent contraint·es de porter des vêtements distinctifs, de vivre dans des ghettos, jusqu’à être la cible de pogroms. Le point culminant de cette logique a été l’inquisition dans les pays ibériques avec la persécution et l’extermination de milliers de personnes, contraignant les juif·ves à se convertir au christianisme ou à partir, notamment dans des pays d’Afrique du Nord.
Au 19e siècle, avec le développement du colonialisme et de l’État-nation, l’antisémitisme renforce son caractère racial en plus de toute la mystique religieuse. Les juif·ves sont alors vu·es comme une minorité faisant obstacle à la création de nations « ethniquement pures ». Les juif·ves sont victimes de discrimination en Europe de l’Ouest et de pogroms en Europe de l’Est. Cette haine du juif atteint son paroxysme au 20e siècle avec la Shoah [3].
Sionisme, une doctrine réactionnaire
Le mot sionisme vient du mont Sion, le nom d’une colline à Jérusalem où dans le passé biblique se trouvait le temple du roi Salomon. Le sionisme devient un mouvement politique avec le journaliste viennois Theodor Herzl et la publication de son livre Der Judenstaat (L’État juif) en 1896. En s’adressant d’abord à la bourgeoisie, Herzl propose la création d’un État pour les juif·ves en réponse au contexte européen d’antisémitisme endémique. La création d’un foyer juif doit leur assurer la sécurité. Cette idée s’inscrit dans les mouvements nationalistes en vogue à cette époque avec la chute des empires Austro-Hongrois et Ottoman.
Du côté de la classe ouvrière, des organisations d’autodéfense juives ne soutiennent pas l’idée de création d’un État juif, mais l’organisation collective pour lutter contre l’antisémitisme. Le plus connu de ces mouvements a été le Bund, un parti politique juif, socialiste, marxiste et laïque. Ils s’opposent au sionisme qu’ils voient comme un nationalisme brisant la lutte des classes et comme une entreprise nécessairement colonialiste [4].
Le premier congrès sioniste a lieu à Bâle, en Suisse, en 1897. Le sionisme devient alors un mouvement politique organisé. Plusieurs lieux ont été envisagés pour ce projet comme Madagascar, Chypre, l’Argentine, etc. Finalement, c’est la Palestine qui est choisie. Depuis 638, cette région, qui s’appelait Canaan puis Palestine, est occupée par des musulman·nes et des minorités juive et chrétienne. Les premiers sionistes juifs n’étaient pas du tout religieux. Cependant, ils comprennent que le choix de la Palestine, liée à l’histoire biblique, est un argument pour convaincre les religieux. Ces derniers étaient très réticents à la création d’un État juif car pour elleux, les juif·ves devaient vivre là où iels étaient jusqu’à l’arrivée du messie.
Le mouvement sioniste commence alors à entretenir des liens avec des antisémites occidentaux, partageant avec elleux la conviction que les juif·ves ne doivent pas rester en Europe. Pour ces derniers, le sionisme a été vu comme un moyen d’assurer la pureté ethno-raciale des nations européennes en se « débarrassant » des juif·ves. Ainsi, Herzl rencontre à deux reprises l’empereur d’Allemagne Guillaume II, antisémite notoire [5]. Son intérêt pour le projet sioniste était le départ des juif·ves d’Allemagne. C’est dans la même logique qu’Édouard Drumont, auteur du pamphlet antisémite La France juive, écrira dans La Libre parole en 1897 qu’avec le projet sioniste, « les Juifs font leur bonheur en faisant le nôtre ».
Le sionisme a aussi été soutenu par une partie du mouvement protestant millénariste. C’est influencé par ce sionisme chrétien que lord Balfour a pu à la fois édicter des lois antisémites en Angleterre en 1905 et promettre en 1917 un foyer national aux juif·ves en Palestine dans la fameuse déclaration Balfour [6]. Manifestement, l’Angleterre avait en outre des intérêts impérialistes dans la région [7]. La réalité est que le sionisme s’inscrit dans une doctrine raciale, alliée à un discours religieux qui cherche à construire un État où une ethnie domine les autres. Il est fondé sur une idéologie suprémaciste. Il voulait créer un État à majorité juive dans un endroit qui était déjà occupé par une majorité musulmane. Comme les sionistes étaient européen·nes et, en grande partie, membres de la bourgeoisie, iels étaient imprégné·es par les idées colonialistes européennes de l’époque. Par conséquent, il n’y avait pas beaucoup de manières pour résoudre l’équation géographique et démographique à laquelle iels étaient confronté·es. C’est par l’occupation, l’expulsion, l’encerclement et le nettoyage ethnique que le sionisme va se mettre en pratique [8]. Le sionisme a toujours été une idéologie raciste et coloniale qu’il soit appliqué par la gauche de Ben Gourion ou par la droite de Jabotinsky à Netanyahou.
Sionisme et l’instrumentalisation de l’antisémitisme
Aujourd’hui, le soutien au sionisme permet à différents mouvements d’extrême droite en occident de se réhabiliter après leur discrédit suite à la Shoah. L’extrême droite et le sionisme se rejoignent dans leurs pratiques islamophobes et s’accordent sur le principe que juif·ves et non-juif·ves ne peuvent pas vivre ensemble avec les mêmes droits.
Après sa création, l’État d’Israël entretiendra de très bonnes relations avec l’Afrique du sud de l’apartheid et les dictatures sud-américaines. Ces dernières décennies, le gouvernement d’Israël cherche à renforcer sa position à l’international en nouant des liens avec des mouvements d’extrême droite à l’étranger. Plusieurs mouvements antisémites deviennent alors acceptables, à condition qu’ils soient sionistes. Ce rapprochement se fait au nom de la lutte contre l’islamisme et repose sur un deal : l’État d’Israël blanchira les mouvements d’extrême droite de l’accusation d’antisémitisme en échange du soutien inconditionnel à leurs politiques [9].
En Europe de l’Est, le gouvernement israélien s’est rapproché de régimes autoritaires et de partis nationalistes. Ces derniers apportent un soutien inconditionnel à Israël tout en réhabilitant les régimes ayant collaborés avec les nazis, au nom de la résistance au communisme [10]. C’est dans la même logique que de nombreux leaders d’extrême droite d’Europe de l’Ouest se rendent en Cisjordanie pour apporter leur soutien à la colonisation. En Amérique, le sionisme chrétien, très important parmi les évangélistes, explique les positions jusqu’au boutiste de Bolsonaro ou Trump.
L’amalgame entre antisionisme et antisémitisme
Le 16 juillet 2017, lors de la commémoration du 75e anniversaire de la rafle du Vél d’Hiv, Emmanuel Macron a déclaré en présence de Benjamin Netanyahou : « Nous ne céderons jamais à l’antisionisme, car c’est la forme réinventée de l’antisémitisme. » Cette déclaration marque une nouvelle étape dans la criminalisation du soutien à la Palestine, qui se manifestait déjà par la répression de la campagne BDS.
Cet amalgame de l’antisionisme à l’antisémitisme a été l’instrument d’Israël et des classes dirigeantes occidentales pour attaquer les acteurs politiques qui prennent position en faveur de la Palestine. Cette assimilation est à la fois trompeuse et infamante. Le contexte historique permet d’expliquer la différence entre le judaïsme et le sionisme, et donc la différence entre l’antisionisme et l’antisémitisme. Le judaïsme est une culture et une religion et le sionisme une idéologie. L’antisémitisme est un phénomène très ancien, qui repose sur la haine des juif·ves pour ce qu’iels sont. À l’inverse, l’antisionisme est un phénomène récent et est d’abord le fait de juif·ves. Il ne s’attaque pas à une religion ou à une ethnie mais à une idéologie nationaliste et colonialiste [11]. Ainsi, les Palestinien·nes qui se sont opposé·es à l’expulsion de leur terre ne sont pas des antisémites mais des anticolonialistes. De la même façon, celles et ceux qui les soutiennent.
La propagande israélienne trouve dans l’instrumentalisation de l’antisémitisme le meilleur moyen pour disqualifier celleux qui dénoncent les conséquences criminelles de plus en plus visibles du sionisme. Ainsi, il devient impossible de faire le lien entre l’idéologie d’Israël et les conséquences concrètes de cette idéologie. Toute personne qui critique Israël devient alors un antisémite ou un·e juif·ve qui se déteste. Cette instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme permet de s’attaquer à la fois à la gauche anticolonialiste et aux musulman·nes présenté·es comme les acteurs d’un supposé « nouvel antisémitisme ».
Le « nouvel antisémitisme »
En France, l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme se base sur le concept de « nouvel antisémitisme » où l’antisémitisme ne reposerait plus sur les acteurs traditionnels de l’extrême droite, mais sur les islamistes et la gauche antisioniste. Ce discours produit une rhétorique raciste où la lutte contre l’antisémitisme n’a alors plus pour but la défense des juif·ves mais la stigmatisation des musulman·nes. Les juif·ves, associé·es à l’Occident via Israël, deviennent un moyen d’expliquer l’incompatibilité des musulman·nes avec la nation et de garantir ainsi sa pureté. Cette soit disant défense des juif·ves contre les autres minorités n’a pas pour effet de protéger les juif·ves mais de renforcer les clichés à leur encontre. Elle renforce notamment le fantasme de la double allégeance en assignant à tous·tes les juif·ves un lien avec Israël, les mettant à part de la communauté nationale [12]. Ce concept de « nouvel antisémitisme » a servi de base idéologique à la marche du 12 novembre 2023. En France, le soutien du FN à Israël depuis 2011 a été central dans le processus de dédiabolisation du parti de Marine Le Pen. Cette normalisation du principal parti d’extrême droite français s’est définitivement réalisée avec la marche du 12 novembre 2023. Cette marche a été initiée par les présidents du Sénat et de l’Assemblée, deux soutiens inconditionnels à la politique d’Israël. Dans leur tribune parue dans le Figaro, iels appellent à défiler contre l’antisémitisme et pour les valeurs de la République. Iels évoquent la laïcité, la libération des otages israélien·nes et la lutte contre l’islamisme mais jamais l’extrême droite, le racisme ou la situation à Gaza [13].
Ce jour-là, Le Pen et Zemmour ont été acclamé·es et la gauche ayant accepté cette farce a été huée, le résultat ne peut pas être le recul de l’antisémitisme. Malgré les dénégations de certain·es, il est évident que cette manifestation était une marque de soutien à Israël au moment même où un massacre se déchaîne sur Gaza et où en France les manifestations pour la Palestine sont interdites sur prétexte d’antisémitisme. Le seul effet concret de cette manifestation aura donc été d’intégrer le RN à un nouvel « arc républicain », préparant la future alliance entre la bourgeoisie et les mouvements fascistes [14]. Cette alliance en gestation manifestera ses effets un mois plus tard avec le vote commun du RN et de Renaissance de la loi asile immigration.