Le nouveau visage du système de santé français : insécurités et privatisations

Je vais parler de ce que je connais, le soin, et je vais essayer d’expliquer comment nous sommes entrés dans une logique sacrificielle qui a déjà épuisé toutes nos forces. Après avoir fait le sacrifice d’un soin de qualité, la personne soignante doit faire le sacrifice de ses droits du travail, puis c’est à l’hôpital public de se sacrifier, comme tous les autres services publics, au nom de l’économie budgétaire.
Aujourd’hui, il existe un système de santé qui a fini par dégoûter les soignants, tous ceux qui se sont rendu compte que l’état ne les écoute pas car ils travaillent depuis 10 ans dans des conditions dégradées.

Avant la pandémie, il était difficile de trouver du sens à son travail pour un soignant. Dommage pour un professionnel qui choisit d’exercer un métier utile et social. Le sens a été perdu à partir du moment où les directives politiques étaient de laisser tomber toute pensée collective pour ne se baser que sur l’intérêt particulier. Le ruissellement de la richesse établi par le président Macron a été la fin de la solidarité.

À présent, dans une situation de crise qu’est la pandémie du COVID-19, quel est le sens d’être réquisitionnée par un gouvernement qui n’est pas en état de prévoir ces crises avec des moyens suffisants ? Comment un gouvernement ose-t-il un « appel à la solidarité » quand il détruit ordonnance par ordonnance le système de solidarité français comme la réforme des retraites ?

A l’inverse de ce que veut nous faire croire E. Macron, il n’y a pas de héros national voulant répondre à la patrie dont il se dit président. Une patrie capitaliste qui préfère des morts plutôt qu’une économie faible, c’est un gouvernement en guerre oui, mais contre son propre peuple. Dans ce contexte, qui a envie d’être un héros national ?

Pas les soignants dont un petit nombre milite pour leur reconnaissance depuis dix ans. Ni les policiers utilisés comme chiens de garde du capitalisme. Les personnels du service de transport se sont ruinés ces derniers mois pour manifester pour les droits de tous et ont finit la plupart en garde à vue et mi.se.s en examen, ont-ils envie de se soumettre à l’heure de la pandémie, à la loi de 2008 qui impose un service minimum ? L’armée, dont on a réduit les effectifs et le budget comme le reste des services publics, est peut-être la seule à accepter encore le sens du sacrifice mais je comprendrais la désertion quand le taux de mortalité augmentera.

La dette des établissements de santé a triplé passant de 9 milliards d’euros en 2002 à 30 milliards en 2013. Entre 2016 et 2017, le déficit global de l’hôpital public est passé de 470 millions d’euros à 1,5 milliard. Dans ce contexte, je pose en trois questions la problématique dans mon service, que beaucoup de soignant.es doivent vivre dans d’autres services :

  • Quel est le problème ? De ne pas mettre les moyens pour un soin de qualité ni de quantité
  • Quels sont les enjeux ? Les soignant.e.s se sentant dépourvu.e.s de leur moyens ne se reconnaissent plus dans leur travail, ils et elles s’épuisent à faire sans moyen, ou se résignent et peuvent se retrouver dans de la maltraitance.
  • Quels sont les repères ? Notre responsabilité envers les soins des enfants c’est-à-dire : préserver le bien être de l’enfant, prévenir les conséquences de la maladie, atténuer les symptômes, renforcer les capacités et sauvegarder la confiance des familles.

Tout au long de cette analyse, je veillerai à expliquer les évènements qui ont transformé l’institution hospitalière à travers les directives politiques et le quotidien d’un soignant en me référant à la responsabilité du professionnel de santé du soin qu’il exerce. Ce repère va me permettre de repenser la notion de sécurité du soin actuelle dans les représentations générales du soin, du soignant et des structures hospitalières. Je m’interroge sur une banalisation de l’insécurité dans le soin, dans le cadre des évènements récents que sont la pandémie du COVID-19, les mesures politiques prises et celles à venir.

La tarification à l’acte met en danger la sécurité du soin

Je suis ergothérapeute, un paramédical, un rééducateur. Je me considère aussi dans la grande famille des soignants car je soigne. Je soigne la dignité de la personne. Comme une expression du nord de la France qui dit « prendre soin » pour s’occuper des enfants, je m’occupe de préserver la dignité des personnes en situation de handicap. J’exerce le métier d’ergothérapeute car j’aime percevoir chez la personne en situation de handicap ses capacités et ses ressources pour les mettre en valeur au profit de son autonomie. J’aime la créativité, le travail manuel, l’écoute, l’analyse et les médias dont se sert l’ergothérapeute pour exercer son métier. J’aime la population diversifiée et cosmopolite regroupée dans les associations et les services publics et j’apprends beaucoup de ces personnes.

Le soin, c’est être face à une personne. Elle nous renvoie beaucoup de choses parfois difficiles, ne serait-ce que l’histoire du patient qui nous sort du confort qu’on connaît, de la « normalité ». Souvent mon entourage ne peut entendre les situations dramatiques que je rencontre à l’hôpital. Les situations de handicap sont physiques, mentales et aussi sociales. Les situations précaires sont pour 80% des situations des enfants que nous accueillons dans le service.

Partout où j’ai travaillé, en association ou en équipe mobile hospitalière, il est impossible d’oublier que nous travaillons avec des personnes car le cœur du métier est de solliciter notre empathie.

Un soignant doit faire face à la douleur, à la dépression, aux pleurs, à la solitude de la personne soignée, à l’échec des soins, leur technicité, leur rigueur, à l’inquiétude de la famille, aux ressources financières et morales de la famille qui ne sont pas toujours là. Son travail de technicien est constamment à réadapter selon l’état de la personne et le chemin qu’elle a parcouru dans l’acceptation de la maladie. La personne est parfois totalement désintéressée par son parcours de soin. Ou la personne est très anxieuse et n’arrive pas à entendre nos conseils et son comportement est agressif envers nous. Elle est isolée et il est difficile et chronophage d’entrer et partir du domicile. Parfois même la personne veut mourir, il faut alors savoir adapter les objectifs de rééducation d’un service (ex : demander de se mouvoir, de se transférer au fauteuil pour une personne douloureuse) et avoir une réflexion éthique pour entreprendre des soins palliatifs afin d’être à son écoute, n’exiger d’elle que ce qu’elle est capable de donner, par exemple une hospitalisation à domicile pour profiter de sa famille malgré les risques médicaux encourus. Il s’agit de prendre la personne là où elle est. Dans le temps et l’espace. Il faut être à son rythme et entrer dans son monde.

Grâce à cela, j’ai appris tout ce qui ne relève pas du geste technique mais qui permet au patient d’adhérer au soin : emmener les personnes dans l’imaginaire, dans le jeu, créer avec eux une histoire, un moment de confort, de confiance, de rire. Ce qui n’est pas un geste technique mais qui permet au patient d’accéder à des besoins essentiels.

Malheureusement, je ne donne plus de sens à l’exercice de mon métier dans le monde du travail actuel. Il existe un conflit d’idée entre ce que je veux exercer et ce que l’institution me permet d’exercer. A mon échelle en tant que soignant, ce que je ne peux plus exercer, c’est ce que je viens de vous présenter comme le cœur du soin car on ne peut pas le coter dans le PMSI. Le PMSI retrace tous les actes qui ont une valeur pour la tarification à l’activité (T2A) mise en place en expérimentation dès janvier 2000.

La T2A, renouvelée sur tout le territoire français à la suite du plan hôpital 2007, remplace un double système de financement qui distinguait les établissements selon qu’ils étaient publics ; participant au service public hospitalier ; ou privés. Pour ce qui est du public, les secteurs recevaient une dotation globale de financement forfaitaire qui ne dépendait pas de l’activité : l’enveloppe était un moyen pour arriver à un certain résultat d’activité. Le plan hôpital de 2007 a inversé l’objectif, faisant de la production de l’activité un moyen pour avoir droit à des subventions. La T2A est une codification comptable des actes : pour un type de prestation que l’on côte dans le PMSI, correspond un tarif défini par l’Assurance Maladie, et cette codification est la même dans le secteur privé et public.

La direction demande depuis deux ans d’augmenter l’activité de 20% dans mon pôle pour bénéficier d’une T2A à la hauteur des subventions dont l’hôpital bénéficiait. Ce qui n’est pas possible, augmenter l’activité, c’est faire du geste technique uniquement et abandonner la base du soin que j’ai développé dans un premier temps.

Depuis la T2A, l’hôpital s’est transformé en entreprise, d’abord dans les MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) et depuis 2017 dans les SSR (soins de suite et de réadaptation). Il s’agit de rendre l’hôpital public rentable. Pour cela, faire plus d’activité. Avant de faire entrer des intérimaires dans cet objectif, la direction use d’abord les soignant.e.s qui travaillent dans des équipes à effectifs réduits, il est facile de voir que l’offre de recrutement n’est pas réellement diffusée sur les sites d’emploi. Ceci entraîne un turn-over dans les équipes, qui a, dans mon expérience de service, une espérance de vie de deux ans, ce qui ne permet aucune transmission de savoir-faire.

Après cela, on utilise la solution des intérimaires pour remplacer les métiers qui font directement entrer des lits : infirmier et kinésithérapeute en ce qui concerne le service orthopédie. Le manque d’effectif dans les autres professions ne sont pas pris en compte (médecin, cadres, aide-soignant, psychomotricien, ergothérapeute), ce qui manque cruellement à la qualité du soin.

Pour avoir des subventions publiques, les séances individuelles sont sacrifiées pour des activités de groupe sous forme d’ETP (éducation thérapeutique du patient). La dynamique de groupe est très intéressante dans le soin, malheureusement le biais de l’ETP est de construire parfois le groupe sur un objectif qui n’est plus de partir du besoin du patient, mais d’une moyenne de critère (âge, sexe, pathologies, points communs).

Aussi, le fait d’accompagner le patient ou un projet en pluridisciplinarité est compromis car il est de plus en plus difficile d’obtenir la disponibilité d’un.e collègue.

Il y a la disponibilité physique à prendre en compte mais aussi psychique qui est mise à défaut dans ce système de traite des soignants. Pour continuer de soigner, nous nous retrouverons toujours dépourvus du don d’ubiquité et pourtant, toujours dans la nécessité d’être à deux endroits à la fois pour soigner deux enfants à la fois. Ce qui est un facteur de stress immense.

Ainsi, par cette loi T2A, la sécurité du soin est mis en danger car on ne prend pas en compte la responsabilité du soignant vis-à-vis du soin qu’il promulgue. Cette responsabilité n’existe pas chez tous les professionnels, c’est pourquoi le travail d’équipe et la formation sont essentiels dans le milieu où on travaille. La responsabilité professionnelle n’apparaît pas sur le salaire de tous les professionnels de santé : les hiérarchies sont très respectées dans la grille salariale, malgré le fait que chaque soignant se sent responsable du soin qu’il promulgue.

Certaines professions sont aussi rabaissées par un salaire misérable justifié par le nombre d’années d’étude. Pour ce qui est de la profession, celle-ci est transformée en grille de compétences plus ou moins orientée selon les manques du service. Par exemple, dans beaucoup de services, le métier d’ergothérapeute est remplacé par celui de bricoleur, l’ergothérapeute pallie aux déficits de fauteuil roulant, de coussin de positionnement, de lit en réalisant lui-même des installations en mousse, un acte chronophage et peu satisfaisant. La responsabilité de l’ergothérapeute est biaisée et alourdie pour le soignant qui réalise du matériel non homologué. C’est pourquoi je veux aussi évoquer la mise en danger du poste de soignant.

La sécurité du poste de soignant.e dans la fonction publique est menacée

La sécurité si légendaire du poste de soignant.e dans la fonction publique est réduite en cendres car on ne cherche pas à les garder dans une structure hospitalière : les écarts de salaire et de bénéfice de prime selon que le métier soit mis en tension ou non, le point gelé et les années d’échelons non respectées, la non-reprise d’ancienneté professionnelle, les formations refusées année après année : il y a dix ans, le personnel avait droit à une formation par an, réduite aujourd’hui à une formation tous les 5 ans pour les nouveaux arrivants.

Les glissements de tâches dans un service où il existe un manque d’effectifs dans toutes les professions et les hiérarchies sont évidentes. Je n’évoquerais pas les dégâts de l’ordonnance de la loi travail, dont nous subirons les adaptations de loi pour la reprise de l’économie après le confinement même si E.Macron promet un réinvestissement dans l’hospitalier dans son allocution du 12 mars 2020.

Une autre loi a bousculé l’exercice du métier de soignant.e par la ré-organisation des services. La loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 implique un Groupement Hospitalier Territorial, à relire sur le site vie-publique.fr : «  Des groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont créés, ils permettent aux hôpitaux proches d’élaborer un projet médical commun et de partager des missions ou des fonctions support ». Ce qui signifie que les objectifs du GHT sont de mettre en commun les moyens et le personnel afin de réduire les coûts, en d’autres termes plus de lits avec moins de moyens, tout en maintenant l’expertise.

Depuis septembre 2017, la restructuration du pôle enfant c’est la fusion de trois services en un. Ce qui rassemble des populations d’enfant qui ont des troubles cognitifs avec des populations d’enfants qui ont exclusivement des handicaps physiques très lourds tout en maintenant l’expertise de soin que les soignant leur promulguent. C’est surtout mettre en commun les commandes, afin que le budget de celles-ci soit divisé par trois. C’est aussi mettre en commun le personnel.

Pourquoi veulent-ils préserver certaines expertises alors que la tendance semble plutôt de généraliser le soin avec des commandes universalisées et le même personnel soignant pour toutes populations ?

Encore une fois, la raison est orientée selon les subventions publiques que peut toucher l’hôpital, c’est une logique économique.

Ceci est vain car l’expertise des soignant.es, c’est l’expérience acquise par le fait de s’occuper d’un même public, d’une même pathologie. C’est l’opportunité de travailler avec tous les acteurs du parcours de vie du patient pour mieux comprendre les décisions médicales, mieux comprendre les réactions des familles, pour donner sa vision en tant qu’ergothérapeute dans des disciplines comme la chirurgie qui nous sont éloigné dans notre formation. C’est l’expérience qui permet de remettre en doute les traitements et les théories par la pratique et le retour des patients, et de mettre en pratique de nouvelles théories. C’est aussi le réseau que se forme un.e professionnel.le pour par exemple procurer un fauteuil roulant électrique de 7000 euros à un enfant dont la famille ne peut rien payer grâce aux contacts d’association.

Le management dans les établissements de santé : la double contrainte

Ainsi, les soignant.e.s vivent ce qu’on appelle dans le jargon du « management » la double contrainte : c’est-à-dire recevoir deux ordres dont l’exécution de l’un amène à violer le second ordre. Ici, les deux ordres sont de mettre en commun moyens et personnel et garder nos expertises de service.

La double contrainte s’applique aussi au sein de l’organisation du service : avoir des subventions publiques, respecter le cahier des charges de la restructuration et appliquer les soins de base.

Pour réfléchir à la restructuration, nous avons réalisé des groupes de travail, car les soignant.e.s sont toujours prêt.es. à réfléchir à un « mieux ». Il en est ressorti que dans mon service accueillant des enfants, il faut préserver la confiance des parents et pour cela avoir le temps de les rencontrer. Il faut respecter le rythme de l’enfant qui a besoin de fenêtre thérapeutique, c’est-à-dire de partir le week-end dans sa maison plutôt que de rester seul.e à l’hôpital. La légitimité des enfants à être accompagné.e.s de leurs parents durant les soins quand ils sont trop petits doit être sauvegardée. La base du soin ce sont aussi les transmissions et l’esprit d’équipe.

Au final, ceci entraîne une pression faite aux parents pour laisser l’enfant hospitalisé.e le week-end afin de ne pas perdre un nombre de lits dans le service. Du fait du personnel réduit et la fermeture des services le week-end, il faut déménager les enfants de chambres comme de vulgaires cartons et les transférer de service chaque vendredi soir.

Durant une journée classique de travail, nous n’avons plus le temps d’écrire et de réfléchir sur l’accompagnement de l’enfant, l’équipe c’est la collègue qui te remplace quand tu es en congé maladie, ou toi qui la remplace quand elle part en vacance. La collaboration s’arrête là malheureusement par manque d’effectif.

Ces groupes de travail n’ont servi qu’à nous faire avaler la pilule. A cette frustration s’ajoute la violence verbale de la représentation qu’on nous renvoie de notre métier : «  on ne fait plus du sur mesure maintenant, ce sera du prêt-à-porter  » clame la cadre supérieur. À la suite du décès d’un enfant de 13 ans, très brutal pour le service qui se sent coupable, voici la réponse d’un psychologue de plateforme « il ne faut plus se voir comme une équipe en sous effectif mais une nouvelle équipe ». Cette plateforme, où nous avons droit à 3 appels téléphonique par an, est censée remplacer le poste de psychologue de travail supprimé.

C’est dur d’entendre dire un lundi matin en réunion, « on va créer un logiciel où tout sera marqué en temps réel comme ça on verra vraiment combien de patient vous suivez et combien de fois par semaine » car le chef de service s’inquiète de voir si peu d’enfants hospitalisés. Des sous n’entrent pas quand un lit est inoccupé, mais les soignants continuent de promulguer leurs soins : une séance s’annule et on court quand même partout dans la journée. Tous les jours, nous nous demandons comment nous aurions fait si le planning avait été correctement réalisé. On oublie que les soignant.e.s sont toujours dans le soin quand les lits ne sont pas complets car s’il y a moins de patient il y a quand même du travail de soignant.e que ce soit dans la communication avec les patients, dans la réflexion des soins et le travail d’équipe. A cela, il faut ajouter la recherche quant à l’évolution des soins car les soignant.es n’aiment pas « faire mal » et remettent en question systématiquement les techniques de soin qu’ils et elles utilisent quand le patient y adhère mal. Les soignant.e.s doivent aussi préparer l’avenir de la sortie d’hospitalisation pour ne pas laisser les soigné.e.s dépourvu.e.s d’aide du jour au lendemain.

La sécurité de l’hôpital public dégradée par les réformes

La qualité est systématiquement confondue avec la quantité ; c’est d’ailleurs ce qu’on m’a demandé de faire lors de mon entretien pour devenir fonctionnaire récemment. A l’entretien de ma titularisation, ma cadre supérieure m’a dit : «  on ne vous embauche plus pour faire des soins de qualité, vos expertises seront sauvegardées mais c’est la quantité de soin qu’on met aujourd’hui au premier plan ».

Le 11 décembre 2017 dans une interview à Libération, Agnès Buzyn évoque la période de la T2A au passé, en considérant que la souffrance des soignants est à présent révolue : "Nous avons risqué de faire perdre le sens de la mission de l’hôpital aux équipes en leur faisant croire qu’elles ne devaient faire que de la rentabilité. Les équipes hospitalières ont été malheureuses de ce virage. Et cette logique est arrivée à son terme" .

Ce qui est faux comme le montre mon évaluation de titularisation dans la fonction publique. Pour Jean-Marc Aubert, la T2A « ne favorise ni la qualité des soins, ni la prévention et elle peut même inciter à la réalisation de soins non pertinents » . Cependant, il est toujours question d’un financement à hauteur de 50% de T2A dans la réforme de 2020 et lui-même, M. Aubert, pourtant si lucide dans son état des lieux, préserve la T2A dans son rapport « Réformes des modes de financement et de régulation : vers un modèle de paiement combiné ».

De même, dans le plan d’urgence du 20 novembre 2019 d’A. Buzyn, les mesures prises sont ridicules : « un financement supplémentaire de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, la reprise par l’État d’un tiers de la dette hospitalière, une hausse de 2,45 % en 2021 et 2022 de l’Ondam qui était prévue jusque-là à 2,3%. Pour l’hôpital le taux de progression passe à 2,5% contre les 2,1% initialement fixés. »

La responsabilité de l’hôpital public semble tournée vers une logique administrative sans prendre en compte une éthique du soin. Cette absence remet en question la sécurité du soin. De ce fait, interrogeons la responsabilité du service public dans la sécurité du soin.

Nous allons évaluer la sécurité des services publics et notamment de l’hôpital public. Celle-ci ne s’est pas arrangée avec la loi travail et va empirer avec la reforme des retraites. J’emploie le terme « sécurité » car je crois au fondement d’institution publique qui recherche l’accomplissement de l’homme en tant qu’être social.

La sécurité des services publics est mise en danger par les coupes budgétaires réalisées depuis 10 ans. Le journal Libération rédige en 2015 la prophétie de la ruine de l’hôpital public : « Les hôpitaux devront contribuer à hauteur de 3 milliards d’euros au plan d’économies sur les dépenses de santé de 10 milliards (…) jusqu’en 2017 (…) Une part importante des économies viendra de la « maîtrise de la masse salariale », à hauteur de 860 millions d’euros. Soit 22 000 postes supprimés, 2% des effectifs de la fonction publique hospitalière. »

Le rapprochement entre hôpitaux voisins (le fameux GHT) rapporterait 450 millions d’euros. Tout ceci accompagné d’une mutualisation des achats des hôpitaux et l’obtention de meilleurs tarifs auprès des fournisseurs qui dégageront 1.2 milliards. Remettons en doute les milliards d’euros par un abaissement des tarifs de la part des services privés.
En effet, la prophétie s’est réalisée, nous avons vu qu’entre 2016 et 2017, le déficit global de l’hôpital public est passé de 470 millions d’euros à 1,5 milliard.

Face à l’économie budgétaire, aucun argument n’est de taille. La logique administrative est à éprouver ici dans une situation catastrophique : « cela désigne une calamité qui provoque des morts, de graves souffrances humaines et une détresse aiguë ainsi que des dégâts matériels de grandes ampleurs » selon J.WRESINSKI.

Je trouve le mot juste quand le matériel défectueux de l’hôpital n’est pas recommandé, quand les départs du personnel ne sont pas remplacés, et dans la précarité que va amener la reforme des retraites. Il n’est pas possible d’être à deux endroits à la fois : soigner un patient et préserver ses droits de travail et d’exercice de sa profession. La restructuration du service est à l’image d’une réforme, d’un changement historique. Beaucoup de soignant.e.s décident de partir dans un autre service suite à la mise en place du GHT, qui subira les mêmes réorganisations, d’autres restent et acceptent la situation malgré eux. Pourquoi ce changement historique est-il accepté ? Pourquoi les soignant.e.s ne se révoltent-iels pas plus ? Je m’intéresse ici à l’historicité de l’hôpital, ainsi qu’à nos représentations du travail, en tant que soignant, ses réalités et son avenir.

Des représentations erronées du soin et des services publics

Anciennement l’hôpital était un hospice, un endroit de charité pour les plus malheureux et les plus défavorisés accompagnés par des sœurs qui avaient sacrifié leur vie à Dieu et qui avaient pour vocation d’aider leur prochain.

Actuellement, on peut toujours voir l’hôpital comme la cour des miracles. Les enfants de mon service en orthopédie ont des maladies rares de plus en plus graves dans l’atteinte de l’autonomie car les progrès de la médecine ont diminué la mortalité infantile. Mais les soignant.e.s sont des travailleurs du secteur tertiaire et exercent un métier, ce qui s’éloigne des missions et rôles des sœurs de l’époque. Nous ne sommes pas des rescapé.e.s de l’Abbé Pierre qui cherchent à aider l’autre pour se trouver soi-même. Nous ne voulons pas d’un Emmaüs de la santé. Nous ne sommes pas le bon samaritain de la bible où il est question d’amour pour son prochain.

En effet, il n’en est pas question car nous ne devons pas être dans une logique sacrificielle pour soigner. Comme pour tout autre travail, on reçoit un salaire et en ce qui concerne le temps, on donne 151 heures par mois de productivité.

Malgré cela, il existe de la part des soignant.e.s une confusion entre aide et travail. Ce qui met les soignant.e.s dans une position très difficile quand il s’agit de défendre leurs droits de travail car ils et elles ont l’impression de perdre de leur altruisme. Or il ne faudrait pas vouloir aider les gens, car on n’est pas des sauveurs. Un.e soignant.e est là pour accompagner les situations de handicap. A la première rencontre d’une personne, un.e soignant.e devrait se présenter ainsi devant le patient : « bonjour, je ne suis pas là pour vous aider, mais voilà le travail dans lequel je peux vous proposer de vous accompagner… ».

De même la personne soignant.e doit considérer l’exercice de son métier dans le milieu où elle travaille. L’institution, ou le système de santé en général pour les libéraux par exemple, limite matériellement, physiquement (moins de personnel, horaire de travail à ne pas dépasser par exemple) et la vie ne se résume pas à un projet professionnel pour certains. Pour d’autres oui. Pas dans le soin, car les soignant.e.s ne peuvent pas toujours être tourné.e.s vers les autres, et prêts à se faire piétiner sur la gueule.

Se placer en tant que sauveur, c’est aussi attendre un merci, mais selon moi il ne faut pas demander de la reconnaissance de la part du patient. Le médecin de travail de l’hôpital public m’a dit ceci : « vous n’aurez ni reconnaissance financière ni reconnaissance sociale dans l’hôpital public. La seule reconnaissance que vous aurez, elle vient des patients ». Je ne suis pas d’accord car les patient.e.s vivent les moments les plus durs de leur vie et ne sont pas du tout en capacité de se retourner sur leur chemin pour se rendre compte comme iels ont avancé ; et remercier le soignant.

Après avoir eu ce regard sur les représentations que peuvent avoir les soignants et les non soignants, quelles peuvent être les représentations de la santé, de l’hôpital public et des fonctionnaires pour que, depuis si longtemps, des réformes détruisent l’hôpital public sans une mobilisation générale des français ?

Les valeurs de la bureaucratie et du pouvoir partagé avec des grilles salariales est complètement désuet. Les nouveaux professionnels de santé sortis d’école dont la profession est mis en tension par une forte attractivité dans l’exercice de leur profession en libéral peuvent entrer en stagiairisation directement et avec un salaire d’échelon 4. En revanche, les autres professions doivent passer par des CDD avant la stagiairisation et n’ont pas droit à la reconnaissance d’ancienneté professionnelle, ce qui fait des écarts de salaires de 300 euros que le second professionnel mettra 8 ans à atteindre (pour ma propre expérience, il est question de 11 années en comptant les années d’exercice avant ma titularisation qui ne sont pas prises en compte). Ce qui se répercutera aussi dans le calcul de la retraite.

Les fonctionnaires ont la réputation de ne rien faire et de percevoir trop pour ce qu’ils effectuent comme travail. Pourtant en France, les soignants et les enseignants sont bien moins lotis que les autres pays européens. Certains pensent que les hôpitaux ont des moyens importants, c’est sûrement pour cela qu’un médecin, en tant que conseil d’ami, va plus vous orienter vers du privé que du public.

Pour sortir des clichés, si je devais vous décrire une pièce qui symbolise bien l’état de l’hôpital public, je commencerais par ma salle de réserve en ergothérapie. C’est un cimetière d’appareillage, de siège coque, d’installation en bois très lourdes, des bouts de plastazote, des bouts de mousses dures, des matelas en mousse éventrés que nous collons et recollons avec de la colle néoprène sous le nez des enfants pour leur fabricoter des installations. Ce sont des chutes de recouvrement de mousse que nous laissent les entreprises privées d’orthoprothésistes, celles-là même qui ont pris la place des fonctionnaires ; il ne restait plus qu’une orthoprothésiste pour trois services, elle est en arrêt maladie depuis plus d’un an car son atelier n’est pas aux normes et elle respire de la merde, comme nous autres ergothérapeutes.

Pas de commandes cette année, heureusement que nous avons eu le fauteuil roulant électrique l’an dernier. Voilà dix ans que mes collègues en demandaient un. J’ai relancé la demande quand j’ai vu qu’un enfant se déformait les os avec les défauts du châssis du fauteuil roulant électrique (le dernier disponible) sur lequel je l’avais installé.

Une banalisation du rôle de l’État, du fonctionnement des cotisations et des missions du service public

Voilà quelques années que les réformes hospitalières ont influé sur la vision que nous avons maintenant d’un hôpital qui coûte trop cher pour peu de résultats. Il serait intéressant de remettre en question les lois qui ont petit à petit tué l’institution hospitalière.

Le 11 mai 2009, Le président Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il souhaitait un "vrai patron" pour l’hôpital, lors de la présentation de la réforme très contestée, la réforme Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST), retranscrit l’Obs. C’est ainsi qu’avec la création de l’Agence régional de santé (ARS) le ministère de la santé nomme un Directeur qui peut à son tour décider de qui dirigera les établissements publics de santé.

La T2A a aussi profité à l’image et au portefeuille du secteur privé tout en endettant le service public. En effet, les cliniques peuvent choisir quelles populations accompagner selon l’activité la mieux rémunérée. Le secteur privé choisit l’entrée des patients, en laissant les pathologies et les situations sociales les plus lourdes aux services publics, ce qui n’aide pas l’hôpital public.

La représentation d’un hôpital qui coûte cher à l’État et aux citoyens permet de justifier les réformes selon E.Macron. Le 6 avril 2018, le président E. Macron parle à une soignante du CHU de Rouen, retransmis sur France 3 Normandie, en l’infantilisant. Il lui explique que s’il n’y a pas de moyen pour l’hôpital c’est «  qu’il n’y a pas d’argent magique ». Il part du principe que la soignante n’a pas compris comment fonctionnent les impôts et la définition du contribuable : « A la fin, les moyens, c’est vous qui les payez aussi  ». C’est pourquoi il argumente le besoin de réformer : "Mettre des moyens sans faire les choses pour moderniser, accompagner, transformer ce n’est pas aider les gens."

Ce qu’il y a d’historique et de complètement décomplexé par E. Macron, c’est qu’il a transformé la perception générale du secteur public en une charge pour chaque individu. J’ai ainsi entendu cette réflexion qu’Emmanuel Macron a réussi à transmettre, dans le cadre de nos groupes de travail sur la qualité de soin dans le projet de restructuration : «  c’est vos impôts qu’on utilise  » ceci, justifiant la casse de l’hôpital public. Qu’est-ce qui est sacrifié dans cette glorification du particulier au sacrifice du collectivisme ?

Pour savoir ce qui est sacrifié, il suffit d’énoncer le rôle des services publics, dont ceux exercés par l’hôpital :

  • la recherche : pour faire évoluer le matériel utilisé, les soins promulgués, pour faire disparaître tous les symptômes des maladies génétiques
  • La formation : les CHU forment les médecins, futurs chef de service
  • L’accès pour tous (aux soins) : qui ne prend ni en compte la situation sociale, la pathologie ou les origines de la personne
  • La gratuité par les bénéfices du contribuable
  • Le social : toutes les situations de handicap se débloquent avec une aide sociale.

Ces missions des institutions publiques contribuent à l’accomplissement de l’humain en tant qu’être social car les institutions servent l’État. Dans la pensée de Hobbes, reflétant un idéalisme qui ferait rire certains capitalistes, l’État « ce n’est pas ce qui nous fait passer de la sauvagerie cruelle à la concorde artificielle mais ce qui réalise dans la construction sociale un certains nombres de principes naturels incapable de s’accomplir spontanément tel que « faire aux autres ce que nous voudrions qu’on nous fit » retranscrit F. Gros dans "le Principe Sécurité".

Existe-t-il un plus beau projet pour le service public que de satisfaire tous ces rôles de l’institution hospitalière afin de donner un soin équitable et de traiter les professionnels de santé de façon juste et égale ?

Malheureusement ce n’est déjà plus le cas, car on fait appel de plus en plus au privé au sein même des hôpitaux publics, ce qui est la tendance dans tous les secteurs publics qui ne peuvent plus sauvegarder les postes. Je suis témoin dans mon service de conflit d’intérêt d’une entreprise privée dans l’accompagnement des enfants de l’hôpital. Malgré l’alerte donnée, le fonctionnement de ce service ne sera jamais réétudié car il ne part que de la demande du personnel.

La nouvelle vision de l’hôpital de public c’est de s’effacer pour tendre vers de l’ambulatoire, comme l’explique le journal Libération en 2015 : « Le développement de la chirurgie ambulatoire, c’est-à-dire sans nuit passée à l’hôpital, va encore s’accélérer, afin d’économiser 400 millions d’euros. L’objectif fixé par le ministère de la Santé est d’atteindre 57% d’opérations en ambulatoire en 2017, contre 43% aujourd’hui. La réduction des durées d’hospitalisation devrait dégager 600 millions et le ministère estime que 15 000 « réhospitalisations » pourraient être évitées. »

Je me demande si l’ambulatoire ce n’est pas une manière de cacher la misère chez les gens. Les problèmes restent dans la vie privée. Il est vrai que les gens sont choqués quand ils entrent dans un hôpital, ils ne se rendent pas compte dans leur quotidien de l’importance de la santé et de l’impact social du handicap jusqu’à ce qu’ils vivent une situation nécessitant une hospitalisation et qu’ils découvrent un monde d’injustice.

D’autre part, les soignant.e.s sont très seul.e.s quand iels font du domicile et doivent supporter des situations difficiles où iels sont témoins parfois de maltraitance, de refus de soin et ne peuvent partager cette tâche d’accompagnement difficile, qui amène souvent à une rupture de contrat. Et une fois en dehors du circuit du parcours de soin dans lequel la personne malade est introduite, il est très difficile pour elle d’y retourner, car les chefs de services n’ont aucun intérêt à accepter des personnes en situations compliquées qui pourraient être des « bedblockers  » et épuiser le personnel soignant déjà bien usé.

Pour ce qui est des gens qui restent à l’hôpital, car certains soins nécessitent une technicité inaccessible au domicile, l’objectif est de les rassembler dans un même lieu afin qu’il y ait le moins de personnel nécessaire, tout en maintenant l’expertise, rappelez-vous, nous avons déjà parlé de ces injonctions paradoxales.

En tant qu’ergothérapeute, je suis pourtant la première à vouloir aller au domicile de la personne, et mon métier s’exerce essentiellement dans le lieu écologique de la personne, ce qui fait de l’ambulatoire une chance pour mon métier. Malgré cela, je cogite et la logique de rentabilité m’échappe. Je ne comprend pas bien comment plusieurs soignant.e.s sont plus rentables en ayant à se succéder les un.e.s les autres chez le patient, et en devant se déplacer en voiture entre chaque séance à des distances de 30minutes plutôt que plusieurs patient.e.s qui se déplacent dans le même lieu où sont regroupés plusieurs professionnels de santé de disciplines différentes ? A cette question, une cadre m’a répondu que le forfait d’un HDJ était plus élevé que le passage de deux professionnels de santé dans chaque domicile, avec trois déplacements entre patients d’une demi-heure.

Ainsi la rentabilité n’est pas une question de temps. Mais alors pourquoi nous pressons-nous comme des citrons en réduisant nos séances de trois quart d’heure à une demi-heure pour un objectif de 8 séances par jour ?

La rentabilité est peut-être plus une question de capitalisation. A présent, les services publics sont vus comme un coût, car aucun actionnaire n’en tire un dividende. Je trouve intéressant de se pencher sur la notion d’historicité pour prendre en compte l’importance et l’impact des prochaines décisions. L’historicité est le fait d’enlever toute part collective à la politique, c’est une bombe atomique de l’humanisme. Le gouvernement n’est plus dans le devoir de nous protéger, de prévoir dans la durée les besoins de la société. Le gouvernement fonctionne comme une entreprise qui recherche le profit direct et privilégie les plus aisés dans une idée de ruissellement des richesses. Un ruissellement des richesses va du particulier au particulier et jamais du particulier au collectif.

Une banalisation de l’insécurité du soin et de la précarité du système de santé

C’est historique, non pas de privatiser petit à petit le secteur public, ce qui a débuté dès 1991, mais la nouvelle vision des acquis sociaux, transformée en charges sociales. Parce que ce sont des charges pour les entreprises, on essaye de nous faire croire que ce sont des charges pour tous le monde. C’est une vison capitaliste qui dément toute précarité, toute inégalité, toute exploitation, tout licenciement économique.

En effet, chacun de ces termes se définissent maintenant autrement. Une personne en précarité, c’est une personne « en situation de fragilité financière  » ce qui n’a rien à voir avec la définition de précarité qui est « l’absence d’une ou plusieurs sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux  » .

L’inégalité se dit systématiquement «  inégalité des chances », mais les inégalités ne sont pas le fruit du hasard, au contraire.

L’exploité d’hier est maintenant « une personne défavorisée », ce qui enlève l’idée d’un exploiteur.

Le licenciement économique est un « plan de sauvegarde de l’emploi », c’est-à-dire une solution qui se veut salvatrice.

Je ne veux pas faire de misonéisme, c’est-à-dire avoir le comportement de ne pas faire face au changement par peur. Je ne suis pas dans le refus de la nouveauté. Je ne m’intéresse pas à quel gain, ni quel désavantage entraine la nouveauté mais sur quels objectifs se basent les nouveaux moyens. N’est-ce pas une banalisation de l’injustice sociale, l’objectif ?
L’injustice sociale ne se résume-t-elle pas dans une situation de précarisation du soin ?
Pour reprendre la définition de la précarité, nous sommes dans l’insécurité du soin, des professionnels de santé et des établissements de santé. Les reformes de l’hôpital et l’insécurité que j’ai développé sont à l’origine d’une banalisation de la précarité sanitaire. Elle est évidemment une précarité des services publics dans tous les domaines.

Pour répondre à cette crise du système de santé, que reconnait enfin E. Macron dans son allocution du 12 mars 2020, le président se tourne vers la caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce qui interroge, comme le fait Jean-Paul Damin, dans l’article de Mediapart, qui est membre des économistes atterrés et professeur d’université de sciences économiques. Il nous renseigne sur le fait que la CDC est un acteur majeur de l’hospitalisation privée lucrative concentrée dans la filiale Icade santé. Mediapart donne aussi la parole à l’universitaire Brigitte Dormont qui relève dans la note de proposition de la CDC « Un petit passage surréaliste propose même que le fonds de dette s’adresse “préférablement aux mutuelles ou aux fondations propriétaires des Espic” » .

Les Espic sont les établissements de santé privés d’intérêt collectif. Elle remarque cependant qu’ils ne relèvent pas de l’aide prioritaire « leur endettement est en phase de réduction et parfaitement soutenable ». Ils ne représentent pas non plus un grand pourcentage des soins : 14% des lits pour 61.6% pour les hôpitaux publics. Ce qui explique qu’encore une fois l’hôpital va être mis en concurrence comme une entreprise.

Ceci va tout à fait insécuriser ma pratique soignante car je me retrouve dans l’aporie suivante : je ne peux, ni répondre aux responsabilités qu’implique l’exercice de mon métier, ni me protéger de l’Institution qui me contraint à des missions de rentabilité et des compétences d’adaptabilité et d’employabilité.

Ce conflit d’idée et la réponse très fraîche d’E. Macron sur le sort de l’hôpital dans les mains de la CDC, me fait poser une nouvelle question : comment je ne peux faire avec ? Je constate l’incompatibilité. Si on me maltraite je ne veux pas être maltraitante, or, trouver une institution non maltraitante est impossible car toutes fonctionnent comme des entreprises.

Pour conclure je finirais là-dessus : quand on en arrive à penser que le soin n’est pas pertinent, et que c’est un soignant qui le pense : où va-t-on ?

Note

sur la LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé :
https://www.vie-publique.fr/loi/20733-loi-de-modernisation-de-notre-systeme-de-sante-tiers-payant-medecin-t

« Nous avons risqué de faire perdre le sens de la mission de l’hôpital aux équipes en leur faisant croire qu’elles ne devaient faire que de la rentabilité. Les équipes hospitalières ont été malheureuses de ce virage. Et cette logique est arrivée à son terme" de buzyn
et
Pour Jean-Marc Aubert, la T2A « ne favorise ni la qualité des soins, ni la prévention et elle peut même inciter à la réalisation de soins non pertinents »
https://www.vie-publique.fr/eclairage/272716-entre-t2a-et-ondam-quel-financement-pour-lhopital

« Les hôpitaux devront contribuer à hauteur de 3 milliards d’euros au plan d’économies sur les dépenses de santé de 10 milliards (…) jusqu’en 2017 (…) Une part importante des économies viendra de la « maîtrise de la masse salariale », à hauteur de 860 millions d’euros. Soit 22 000 postes supprimés, 2% des effectifs de la fonction publique hospitalière. » https://www.liberation.fr/futurs/2015/03/02/22-000-postes-supprimes-dans-les-hopitaux_1212741

Le 11 mai 2009, Le président Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il souhaitait un « vrai patron » pour l’hôpital, lors de la présentation de la réforme très contestée, la réforme Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) retranscrit l’Obs
https://www.nouvelobs.com/politique/20090511.OBS6365/nicolas-sarkozy-souhaite-un-vrai-patron-pour-l-hopital.html

La nouvelle vision de l’hôpital de public c’est de s’effacer pour tendre vers de l’ambulatoire, comme l’explique le journal Libération en 2015 https://www.liberation.fr/futurs/2015/03/02/22-000-postes-supprimes-dans-les-hopitaux_1212741

c’est une personne « en situation de fragilité financière »
https://vie-publique.fr/discours/272233-christelle-dubos-19112019-complementaire-sante-solidaire-precarite

la définition de précarité qui est « l’absence d’une ou plusieurs sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux » .
J.WRESINSKI. Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Paris, Journal Officiel, 1987, p 14.

Pour répondre à cette crise du système de santé, que reconnait enfin E. Macron dans son allocution du 12 mars 2020, le président se tourne vers la caisse des dépôts de compte (CDC).
https://www.mediapart.fr/journal/france/010420/hopital-public-la-note-explosive-de-la-caisse-des-depots

Mots-clefs : hôpital | soin - santé | covid

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