Interview de Loïc à propos de son énième procès suite à l’occupation du Medef

Après trois renvois, le procès de Loïc, accusé de « violences en réunion » par un cadre du Medef, aura lieu le 25 janvier au Tribunal correctionnel de Paris à 8h00. « Il s’agit d’accusations infondées et ça sera un procès politique » explique Loïc dans l’interview

A : Peux-tu nous rappeler dans quel contexte a eu lieu l’occupation du Medef du 7 juin 2016 ?

Loïc : On était en pleine période de Nuit débout, en plein mobilisation contre la Loi Travail et pour l’indemnisation des intermittents du spectacle. Il y avait eu un accord signé en avril entre les organisations syndicales et patronales des travailleurs du spectacle. Cet accord avait été signé à l’unanimité. Pour nous, ça représentait une belle victoire que l’on a obtenue grâce à des occupations, à des mobilisations, des AG etc, C’était une belle victoire parce qu’on avait obtenu des droits que l’on avait perdus en 2003, malgré la mobilisation. Même si l’accord n’est pas parfait, c’est quand même un vrai progrès. Au mois de mai, le Medef et la CFDT annoncent qu’ils vont refuser d’intégrer cet accord dans la convention de l’Assurance chômage. Pour nous il était hors de question que cet accord, accepté à l’unanimité, ne s’applique pas. Ainsi, le 7 juin, lors d’une réunion du Medef sur la fiscalité, où dirigeants et grands patrons étaient présents, nous envahissons les locaux. On était donc au bon endroit et au bon moment.


A : Comment l’action s’est-elle passée ?

Loïc : On était déterminés, on savait que l’on était au sein du symbole de la politique patronale ! Nous voulions nous confronter politiquement avec ces gens qui décident de la misère d’une grand partie de la population pour le grand bien d’une infime minorité, leur demander des comptes par des moyens très déterminés mais très pacifiques. Nous sommes une centaine de manifestants. On entre en douceur, ça se passe sans problème avec les vigiles, avec la personne qui était à l’accueil, on fait des blagues, on prend le téléphone : « bonjour ici le Medef occupé par les intermittents » etc. Sur place, tout se passe bien jusqu’au moment où un monsieur arrive traitant tout le monde de connard et cherchant à provoquer. On essaye de le calmer et de tourner cela en dérision sans répondre à ses provocations. Il n’y a eu aucune violence. Lui, il repart entouré de vigiles et quelques minutes plus tard, j’entends à nouveau crier en haut des escaliers, il criait sur un autre intermittent. J’arrive pour calmer le jeu et là, il me met un grand coup de pied dans les testicules et…je tombe. Les copains accourent…Lui, il va s’enfermer dans son bureau et, ce que j’apprends plus tard, il appelle la police en disant que je l’ai frappé.
Quand la police arrive, je veux porter plainte. On me fait attendre, puis on m’envoie au commissariat et on me met des menottes…pour porter plainte ? On me répond que cela est la procédure mais, en arrivant au commissariat, on me signale que je suis en garde à vue.

A : Et tu y es resté pas mal de temps !

Loïc : Il aurait suffi de regarder les vidéos du Médef pour savoir que je n’ai porté aucun coup, mais non, j’ai dû passer 48 heures en garde à vue. Ce qui est absurde est que tu expliques, aux policiers qui sont là, ce qui s’est passé et que tu voudrais juste porter plainte mais tu n’as droit qu’à une réponse : « oui, effectivement mais moi j’y peux rien, c’est la procédure ». Et tu glisses comme ça, tout au long de ta garde à vue. A aucun moment on te dit ce qui va se passer, tu ne sais pas combien de temps ça va durer, ce qu’ils vont faire. On vient te chercher dans ta cellule, on t’amène ailleurs, on t’accroche à un banc, on vient pour faire ton identification. Au bout de plusieurs heures, on m’a quand même amené à l’hôpital pour que je passe un examen pour le coup que j’avais pris… En sortant de l’hôpital, on me conduit dans un autre commissariat en m’informant, cette fois-ci, que dans celui du 7e mes amis faisaient une manifestation. Dans le commissariat du 15e, lieu fort sordide, c’est seulement à 2 heures du matin et suite à mon insistance que l’on vient prendre ma déposition. A 6 heures du matin on me rechange de commissariat et on me ramène à nouveau dans le 7e où m’est annoncé que ma garde à vue est prolongée du fait que l’enquête n’était pas terminée et que je devais être confronté au responsable de la sécurité du Medef, M. Salmon, qui a porté plainte contre moi. Celui-ci soutient que je l’ai frappé dans le hall. Heureusement pour moi, dans le hall il y avait plein monde autour de nous qui peut témoigner à ma faveur. Mais il se trouve que lui aussi a un témoin qui m’accuse. Ce monsieur a été présenté comme un chef d’entreprise. Nous avons appris par la suite qu’il est chef de la boîte de sécurité des vigiles. Il est donc le sous-traitant direct de Monsieur Salmon et même son prédécesseur sur ce poste ! Enfin, le deuxième jour on m’amène au dépôt à l’Ile de la Cité. On me fait passer toute la nuit là-bas dans une cellule immonde, pleine de poux…où t’as l’impression d’être dans une prison du moyen âge.
Quand je sors, je me rends compte de l’ampleur de la mobilisation qu’il y a eu.


A : As-tu enfin porté plainte ?

Loïc  : J’ai essayé pleins de fois. D’abord je me suis rendu au commissariat de la Plaine Saint-Denis mais en vain. On m’a ensuite envoyé d’un commissariat à l’autre et enfin, dans celui du 7e on m’a assuré que ce n’était pas nécessaire puisque, lors de ma garde à vue, j’avais manifesté la volonté de porter plainte et de ce fait, une plainte allait être instruite. Dans ce cadre, il leur était impossible de me délivrer un récépissé de dépôt de plainte mais, il ne fallait pas que je m’inquiète, la plainte était en bonne voie, d’après eux !
Avec l’aide de mon avocate j’ai pu vérifier qu’au contraire, aucune plainte n’avait été déposée. J’ai ensuite procédé par lettre écrite directement au procurer de la République et ai enfin obtenu un récépissé de dépôt de plainte à ma cinquième tentative. Plusieurs mois après, lors de la première audience de mon procès, en décembre 2016, la plainte n’avait pas encore été instruite et seulement l’instruction à charge avait été présentée : mes témoins à moi n’avaient pas été entendus, mes pièces, les bandes vidéo n’avaient pas été mises au dossier.
On obtient du juge le report du procès malgré l’opposition du procureur de la République. Le juge décide de recommencer l’instruction, de dessaisir le commissariat du 7e et il nomme une autre brigade de police qui refait l’enquête entièrement et qui va entendre tous les témoins. Depuis le procès a été reporté deux fois. J’espère que cette fois c’est la bonne.

A : Compte tenu de la répression ambiante, as-tu des craintes pour ton procès ?


Loïc
 : Ce sont des accusations infondées, nous n’aurons pas de difficulté à le montrer. Concernant cette action du 7 juin, le Medef a porté plainte aussi contre 8 copains, pour dégradation. Là encore, les accusations étaient infondées, les copains ont été tous relaxés.
Depuis le début de l’état d’urgence et du mouvement contre la Loi Travail 1, nous sommes 4200 à faire l’objet de poursuites judiciaires ou de sanctions professionnelles.

J’ai la chance d’avoir un large soutien et l’on va en profiter pour mettre en évidence que mon procès, comme tous les procès contre des militants depuis deux ans, sont des procès politiques qui ont comme but de criminaliser tous ceux qui osent protester. Ainsi, nous avons l’intention de faire nous aussi de cette affaire un procès politique : il y aura un rassemblement devant le Tribunal à 8 heures, des prises de parole et, à l’intérieur même de la salle d’audience, on a convoqué 3 témoins de moralité, qui me connaissent et qui auront en plus des choses à dire sur le fond. Il s’agit de Frédéric Lordon économiste atterré, de Denis Gravouil de la CGT spectacle et d’Arlette Laguillier de Lutte ouvrière. Ça va être un procès politique à l’intérieur du Tribunal comme à l’extérieur.

Localisation : Paris 1er

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