Une fois de plus, nous nous rapprochons du 11 juin, un jour de souvenir et de solidarité active, dans un monde de crises multiples et de luttes pour la libération. Tout ceci est interconnecté ; il n’y a pas de séparation des mondes. À travers les frontières, les langues, les contextes et les identités, les catastrophes comme les victoires du courage et de la désobéissance résonnent autour du monde. Un environnement n’est pas épargné de l’autre. Le personnel n’est pas séparé du politique. Le projet positif n’est pas séparé du projet destructif. La prison n’est pas séparée du « monde libre ». Les moyens ne sont pas séparés des fins. Franchir ces divisions est une curiosité partagée et un engagement ; franchir ces divisions, c’est de la solidarité. Dire cela n’a pas pour but d’aplatir ou de trop simplifier la diversité et les différences en circonstances, intensités, et conséquences.
Il s’agit plutôt de dire que ces différentes pièces sont maintenues ensemble comme les organes du corps sont maintenus par un tissu connectif. Alors nous nous questionnons : comment renforcer ces tissus connectifs ? Comment demeurer fort mais souple et flexible ? Les ponts, les connexions, doivent aussi être construits à travers le temps, spécialement dans un monde qui bouge trop vite, d’une crise à une autre. Le 11 juin aspire à devenir à être de ces ponts : pour construire la solidarité par-delà les frontières, entre les mouvements et les générations. Se souvenir et supporter les prisonnier·es en longue peine, comme supporter les combats partagés, sont deux manières de renforcer ce tissu connectif. Un tissus connectif plus fort, qui en retour, nous soutiendra contre la répression à venir.
Chaque année, comme contribution à notre effort pour être un pont entre les mouvements, les époques et les frontières, nous évaluons le terrain. Nous envisageons la forme que prennent les menaces de l’État, comment les camarades emprisonné·es peuvent être connecté·es aux activités à l’extérieur, comment les luttes dont ielles font partie ont continué malgré la répression, et comment se souvenir de celleux enfermé·es peut devenir une composante naturelle de l’activité anarchiste. Souvent, la répression et la criminalisation semblent nouvelles ; mais fréquemment, il s’agit d’un échec de la mémoire. Il y a des innovations auxquelles prêter attention, tout en voyant les continuités avec les tactiques et les idéologies utilisés contre nos ancêtres. Que pouvons-nous apprendre sur comment les personnes ont répondu par le passé ? Que pouvons-nous apprendre des personnes d’époques et de lieux où des tactiques répressives innovantes ont été développés, et comment pouvons nous agir en complicité à leurs côtés ?
Alors que la journée de solidarité approche, nous sommes frappé·es par ce qui se déroule actuellement ; les abominations abondent, et nous confrontent de multiples manières, mais ce sont aussi des motifs et histoires qui se répètent. Le pouvoir peine à se maintenir au milieu de l’incertitude de notre fragile construction sociale, et des individus et des groupes continuent de refuser leur monde. Nous voyons la violence coloniale continue, à travers les prisons, les armes, les bombes, et les idéologies nationalistes dans des endroits comme la Palestine, l’Ukraine, et la Papouasie Occidentale. Nous voyons aussi les traitements brutaux des personnes en Russie qui agissent contre le militarisme et le colonialisme, aussi bien que la criminalisation des activités pro-Palestinienne à travers le monde.
Les palestinien·nes, combattant pour leur liberté et contre le contrôle policier, la surveillance et l’enfermement depuis des décennies, font face à l’aboutissement des violences et du génocide commis par l’état Israélien – les crises et les violences coloniales continuent de se dérouler rapidement. Mais c’est aussi le cas de l’importante réponse de la résistance Palestinienne : des actions ont pris place à travers le monde afin de refuser la complicité et le sentiment d’impuissance nourris par la distance géographique, les informations en continu, et les machines de propagande et de guerre.
Alors que des personnes continuent de fuir leurs régions suite aux violences capitalistes et impérialistes, ainsi que les conséquences catastrophiques de l’effondrement climatique, nous sommes témoins d’un renouveau des marchands de peur aux frontières européennes et états-uniennes, alors que les milices suprémacistes blanches parlent d’aller affronter « les caravanes de migrants », et que les États mettent en place un plus grand niveau de violence pour garder les personnes en dehors de frontières artificielles. Cette crise s’étend à travers le globe, alors que des personnes de partout bougent à la recherche de stabilité, d’autres se précipitent pour maintenir la promesse de l’ordre des frontières et de la citoyenneté.
La violence coloniale éclate chaque jour, dans des fusillades et le vol de terres, dans les projets extractivistes et l’extension des territoires sous contrôle policier, dans la perte des derniers espaces sauvages. Mais, tout autour du monde, la résistance au futur homogène et creux qui nous est vendus par les géants technologiques, les capitalistes verts et l’État continue. Les pipelines, les antennes-relais, et les structures extractivistes continuent d’être ciblées, à la fois dans des sabotages individuels, comme dans une défense mondiale de la terre. La dépendance de ce futur nuisible sur le contrôle policier, la surveillance et la domination ne peut pas être plus claire, et les luttes affrontent les manières dont ces pratiques interagissent. Des rébellions éclatent contre la police, les prisons, l’indignité et les réalités macabres de la vie quotidienne. Pour chaque crise, et moment de résistance que nous pouvons lister, il y en a un nombre incalculable qui couvent, explosent, ou qui simplement disparaissent de l’espace public, des actualités mondiales. La liberté et la résistance trouvent toujours leurs chemins à travers les failles de cette horrifiante société.
Le harcèlement des distributions publiques de nourritures, la plus grande criminalisation des populations sans-domiciles, des poursuites similaires à celle contre les mafias pour des collectes de fonds pour des cautions ou des poursuites pour « conspiration » des idées anarchistes et pratiques, comme la proximité, associations et les réseaux sociaux. Des sabotages intenses et courageux continuent. Tout est nouveau, et rien ne l’est. La question n’est pas « quelles sont les solutions ? » , mais « Comment nous agrandissons, approfondissons et intensifions ce que nous savons qui marche déjà ? ». Comment nous nous voyons en les autres, comment nous comprenons que nos détresses sont entremêlées, sont inséparables, et comment nous pouvons continuer à étendre ces relations de solidarité. Comment nous pouvons accueillir le fait qu’il n’y a pas de séparation des mondes, et explorer les manières dont nous pouvons briser les effets limitants des murs des prisons, des frontières, du temps, de l’espace et des contextes.
Il y a des moments qui méritent d’être célébrés, quand nous sentons une ouverture des possibilités et capacité, de la cohésion et de la force ; il y a certainement aussi de nombreux temps pour le deuil, quand il semble que nous soyons en train de tout perdre et que nos corps et esprits prennent une raclée. Nous pouvons savourer une touche de réconfort quand nous remarquons le profond désespoir dans les mouvements de l’État. Ils avancent à tâtons, trouvant de nouvelles manières de criminaliser même les actes les plus basiques. Cela peut servir à nous motiver. Si n’importe quoi de vaguement anarchiste est assez pour lancer contre nous la répression, nous devons vivre nos vies comme nous le voulons, quelles que soient les conséquences. Alors que de plus en plus d’entre nous sont confrontés à la répression, aux cachots, aux tribunaux et prisons, faisons de cela la possibilité d’une invitation sans fin de continuer à se souvenir et à inclure celleux enfermés au loin dans notre mouvement continue vers la liberté. Le temps, la géographie, les barrières de ces prisons – rien de cela n’est assez fort pour détruire le vaste réseau de ponts qui nous maintiennent interdépendant·es, connecté·es, combattant les même ennemies de la liberté, à travers le monde.
Cette année, nous avons vu le décès de nombreuses personnes qui ont porté avec elles la vivacité de l’esprit anarchiste. Certaines peuvent nous être connues, tandis que d’autres demeurent inconnu-es. Ielles ont semé un esprit rebelle dans chaque chemin qu’ielles ont parcouru. Peut-être que leur impact est incalculable, mais jamais inexistant. Nous pouvons adopter le même esprit, prendre des chemins similaires, et demeurer fermes et assidus, comme celleux qui sont venus avant nous. Toujours vivant dans la lutte : Alfredo Bonanno, Klee Benally, Ed Mead, Sekuo Odinga, Tortuguita, Aaron Bushnell.
Toujours vivant dans la lutte sont celleux dont nous n’avons jamais prononcé.es, ni connu·es les noms, mais qui ont marché·es ces trajets malgré tout. Le temps est à peine une construction ; celleux qui sont venus avant, et sont partis dans la mort, continuent d’impacter la vie des vivant·es, continuent de contribuer à l’histoire des anarchistes et anti-autoritaires, et à nos luttes communes. Laissons leur une part de notre mémoire active, et continuons vers l’avant, dans le combat pour des vies contre la domination. Puisse ces mots attiser un feu en vous – vous encouragez à vous lever, à aller de l’avant et à rechercher à quoi cela peut ressembler de vivre comme si nous essayons de nous évader.