« Jean Michel Aulas, Jean Michel Aulas, on va la gagner chez toi ». Il y a quelques mois, les supporters marseillais faisaient la fête en reprenant ce chant pour accompagner la qualification de l’OM en finale de la ligue Europa qui allait se jouer à Lyon. La suite, tout le monde la connait, l’Atletico Madrid remporte le match et Griezmann inscrit son doublé en le célébrant, comme d’habitude, en sautillant et mimant un L sur son front (à la Fortnite).
Depuis, de l’eau est passée sous les ponts, la France est championne du monde, Kaaris et Booba se sont précipités à l’aéroport d’Orly pour accueillir les joueurs et ramener la coupe à la maison, Alexandre Benalla a conduit le bus de la FFF lors de la descente de l’équipe sur les Champs-Élysées, les rassemblements sur cette avenue sont passés du bleu au jaune et le chant des supporters marseillais a changé lui aussi de couleur (et surtout de destinataire) et est devenu « Emmanuel Macron, président des patrons, on va débarquer chez toi ! »
De gauche, de droite, anarchiste, facho, raciste, anti-écolo, nihiliste, réactionnaire, poujadiste … Les gilets jaunes ont été taxé de toutes les couleurs, comme si on était obligé de coller une étiquette sur un mouvement protestataire avant d’écouter son cri et ses revendications. Car faut-il le rappeler, quand la pauvreté et la précarité frappent à la porte des gens, elles ne leur demandent pas s’ils préfèrent Karl Marx, John Locke ou Cyril Hanouna. La goutte d’essence qui a fait débordé le vase a touché des personnes qui ont des références idéologiques, une conscience politique, mais aussi, et surtout, des personnes pour qui Jaurès et Guy Môquet sont de simples stations de métro parisien. Ce mouvement des GJ a pu combiner tout et son contraire, avec pour principal message, un ras-le bol contre l’injustice fiscale et contre la vie chère.
Après, oui il y a eu des dérapages racistes et facho et il faut en parler et ne pas fermer les yeux sur ces événements très graves. Mais il ne faut pas rentrer non plus dans le jeu de certains discours qui ne cherchent qu’à diaboliser les GJ, en leur collant toutes les étiquettes qui « font peur ». Car d’un côté, ça serait une insulte à des milliers de manifestants, et d’un autre côté, la nature a horreur du vide, et pour que ce vide ne soit pas rempli par ces discours et dérapages haineux, il faut être à la hauteur du rendez-vous et rapporter une pierre à l’édifice. D’ailleurs, c’est ce qui s’est passé hier à la manifestation de Paris où le comité de soutien à la famille d’Adama Traoré La vérité pour Adama ont défilé avec les GJ. Ça s’est aussi passé samedi dernier à Montpellier où les GJ ont fait une haie d’honneur au cortège de la manifestation « Nous Toutes » contre les violences faites aux femmes et les ont rejoint par la suite.
Nous ne sommes pas des anges, et le mal n’est pas forcément le produit d’autrui (comme le disait très bien Mahmoud Darwich), nous avons toutes et tous une responsabilité et un engagement envers notre planète. Cependant, il ne peut y avoir de transition écologique sans équité fiscale. La taxe carbone est injuste, car elle met au même pied d’égalité un millionnaire qui va à la pompe à essence et un chômeur, sans prendre en compte les différences de leurs revenus. La fiscalité écologique, c’est autre chose. Et il y a dans ce mouvement un discours qui ne veut pas opposer l’urgence sociale à l’urgence écologique, mais plutôt pointer du doigt ceux et celles qui ont détruit les ressources de notre planète et qui refusent de passer à la caisse lorsqu’il s’agit de financer la transition écologique.
Et quand je vois que face à la révolte des GJ, certains responsables politiques n’ont trouvé de réponse que l’instauration de l’état d’urgence, je me dis qu’ils sont peut-être en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis.