La mobilisation contre nos attentes

Comme toujours, nous abordons une nouvelle lutte avec nos attentes. Pas tant nos espoirs que nos repères, nos idées a priori sur la manière dont ça va ou ça devrait se passer, à partir de notre expérience des luttes passées. Et comme toujours, ça tombe à côté.

C’est forcément frustrant mais il faut bien faire avec. Nous avons besoin de ces attentes : notre expérience, augmentée parfois de l’analyse des luttes historiques qui ont précédé les nôtres, tout cela nous offre les points de repère qui nous guident au jour le jour. Mais les luttes se suivent et ne se ressemblent pas. On se souvient du plantage de tout le milieu militant face au surgissement des Gilets jaunes en 2018 ; mais en 2005 déjà, quand les quartiers populaires se sont embrasés, très peu en ont saisi la portée. Cela ne veut pas dire que le passé ne peut pas éclairer le présent, mais plutôt qu’il ne permet pas de décrire intégralement, et encore moins de le prédire. On ne peut pas réduire l’analyse à la transposition d’anciens schémas, ni réduire la stratégie à la répétition d’anciennes recettes.

Pour en venir à la mobilisation actuelle contre la réforme de retraites, tout le monde l’aura noté : les manifestations des 19 et 31 janvier ont été très nombreuses et extrêmement massives, exprimant un rejet profond et largement partagé de la réforme par la population. Ce succès traduit aussi une colère plus globale dans un contexte de forte inflation, quand de nouveaux sacrifices sont demandés aux plus pauvres et précaires tandis que les profits explosent. Mais en dehors de ces manifestations appelées par l’intersyndicale nationale, et sans doute contre certaines de nos attentes, il n’y a que très peu de mobilisation : sauf dans quelque secteurs (raffineries, docks) le nombre de grévistes a reculé entre le 19 et le 31, et globalement les grévistes ne participent pas aux AG – quelle déception, alors que cette fois-ci nous étions prêt·es !

Il semble bien qu’aux yeux de l’écrasante majorité, jusqu’ici les centrales syndicales font le job. Elles ont permis des manifestations record et posent de nouvelles journées : à quoi bon vouloir faire plus ? Pour la plupart des salarié·es opposé·es à la réforme, ce sont pour l’instant ces journées qui permettent de signifier le rejet le plus massif et les manifestations sont activement investies, comme en témoigne la floraison de pancartes et banderole artisanales dans les cortèges. Après tout, penser que les grosses manifestations peuvent peser politiquement, ce n’est pas absurde : c’est ce qui s’est passé récemment avec les Gilets jaunes.

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