L’élection brésilienne n’est qu’un aperçu de ce qui peut nous arriver.

Bolsonaro victorieux c’est toutes les forces réactionnaires mondiales qui jubilent. Face à cela, les militants de gauche et les forces du mouvement ouvrier organisées semblent sidérés et désarmés. Il faut que cela change. Y compris en France. Et vite !

Une montée mondiale de l’extrême droite et d’un fascisme démocratique

Il serait long de faire la liste des pays dont l’avenir s’assombrit ces 5 dernières années… En plus de l’Amérique de Trump, de la Russie de Poutine et de la Turquie d’Erdogan nous pouvons citer plusieurs éléments extrêmement alarmants qui nous font penser que nous ouvrons une période historique particulièrement morose : la montée de l’extrême droite et d’une droite conservatrice dans la quasi-intégralité des pays de l’ancien Bloc de l’est.
L’Ukraine bien sûr connaît un regain nationaliste avec la guerre du Dombass, la Bulgarie a vu des scores électoraux sans précédent de ces mouvements, les pays baltes voient une montée du nationalisme sous la pression de l’expansionnisme russe… Mais c’est surtout le cas de la Hongrie et son régime raciste subventionné par l’UE qui fait cas d’école. Le parti au pouvoir de l’ultranationaliste Victor Orban dispose d’une implantation solide et d’un état structuré.

Les scores sans précédent de l’extrême droite dans les pays historiques de l’UE et dans les pays centraux de l’économie capitaliste, qui semblaient plus épargnés jusque-là par le raz-de-marée réactionnaire font craindre le pire : par exemple en Autriche où le FPÖ, parti implanté depuis longtemps a manqué de peu d’être majoritaire, en Norvège et au Danemark où ils sont au gouvernement, en Allemagne où la montée en puissance en moins de deux ans du parti AFD et l’influence de l’organisation islamophobe Pegida se sont traduits par des logiques de pogroms qui semblaient révolues notamment à l’est du pays. On peut également citer la Suisse où l’UDC est majoritaire au « Conseil national » ou encore les Pays-Bas. Enfin la situation italienne est la plus désespérante, car, par le jeu d’une alliance avec le parti 5 Stelle (5 étoiles), la Ligue du nord s’est retrouvée au pouvoir et dicte sa politique comme bon lui semble. Cela n’est évidemment pas sans conséquence puisque le nombre de ratonnades et d’assassinat d’immigrés a bondi !

La montée de l’islamisme sous des formes variées dans l’intégralité des pays arabes et dans une bonne partie de l’Afrique subsaharienne a soit pour conséquences une intégration au pouvoir (comme c’est le cas au Maroc ou dans une moindre mesure en Tunisie) soit, dans les cas ou le phénomène djihadiste s’inscrit durablement, un durcissement de l’état en réaction aux provocations des islamistes, durcissement de l’État qui coïncide évidemment avec des pertes de liberté pour tout le monde...

L’Asie n’est pas en reste avec la présidence Duterte aux Philippines, les pogroms antimusulmans en Birmanie et le BJP indien (nationalisme hindou) qui tendent les rapports sociaux en faveur des forces les plus réactionnaires sur une grande partie de l’Asie du Sud et du Sud-Est.

Il est toujours malaisé de parler de fascisme. D’abord parce qu’il s’agit d’un phénomène historique et ensuite parce qu’il ne correspond pas réellement à ce qui se passe en ce moment. On peut définir le fascisme comme :

une dictature qui s’appuie sur une doctrine de réconciliation des classes au service de la Nation, articulant une organisation corporatiste et verticale des travailleurs à un État militarisé tout-puissant. Il professe un anticapitalisme qui n’est que façade puisqu’en réalité il est toujours parvenu au pouvoir avec l’aide et l’aval du grand capital et d’une grande partie de la bourgeoisie [1]

Si plusieurs de ces facteurs se retrouvent aujourd’hui, un élément n’est pas présent : la structure de l’État reste inchangée. Les cadres « démocratiques » restent, les élections sont maintenues et les partis d’oppositions, bien que malmenés, existent encore. La Russie à ce niveau-là est un brillant exemple. Tous les éléments du fascisme historique sont là : culte de la personnalité, police politique, volonté expansionniste, discours nationaliste, militarisme. Néanmoins, il reste quelques partis d’opposition devenus fantoches. Leurs leaders et leadeuses sont régulièrement emprisonné·e·s, mais plus rarement assassiné·e·s, disparu·e·s ou déporté·e·s. Les élections existent encore, bien qu’avec parfois des fraudes, le régime n’a pas besoin de la dictature puisque la population n’a guère le choix face à la pression politique et populaire. Ce cadre démocratique est conservé, car tout à fait compatible avec l’économie de marché mondialisée.
Mais cette démocratie n’en a que le nom. Puisque tous les éléments qui ont permis l’instauration de ces « démocratures » s’appuient avant tout sur une pression populaire forte. Car tous ceux qui pensent le fascisme comme uniquement un rapport à l’État oublient une chose : il s’agit surtout d’un mouvement populaire, glaçant et dangereux. Dans tous les exemples cités, l’arrivée au pouvoir de dictateurs en herbe s’est faite avec l’appui d’une majeure partie de la population et pas comme on peut l’entendre ici et là, uniquement des classes bourgeoises. 55 millions de personnes ont voté pour Bolsonaro. À entendre les gauchistes incapables de changer leur prisme, il ne s’agit que de bourgeois et des petits-bourgeois réactionnaires. Sauf que par essence, la bourgeoisie n’est pas majoritaire dans la population et elle s’appuie sur des franges du prolétariat plus ou moins réceptives selon l’époque. Et l’époque est visiblement plutôt propice à des idéologies bien dégueulasses.
Ces mouvements populaires, qu’on ne peut nier, s’accompagnent de toutes les horreurs possibles : ratonnades racistes, lynchages d’homosexuel·le·s, attaques de militant·e·s de gauche, bris de grèves… tout ce qui n’est pas fait par la police est possible par les factions populaires fanatisées. Ce processus est abouti en Turquie, en Russie, en Hongrie ou aux Philippines. Il est en cours en Italie où les chasses aux immigrés sont organisées, en Allemagne où il ne fait pas bon être de mauvaise couleur dans certaines régions… Et cela concerne n’importe quel·le militant·e ou intellectuel·le de « gauche ». Il n’est donc pas possible de réduire ce qui se passe à une simple alternance politique, à un simple changement de forme, mais bien un changement d’ambiance dans toute la société.

Si cela a été possible, c’est bien que l’état des démocraties à l’occidentale est dans un délabrement complet…

Un phénomène qui ne peut pas épargner la France

La France n’a aucune raison d’être épargnée par cette vague brune qui envahit le monde. Si on fait le parallèle avec l’Italie, pays frontalier et « frère » de la démocratie française, plusieurs éléments sont criants de ressemblance :
Depuis 20 ans, les partis traditionnels s’effondrent, la recomposition tous azimuts d’une classe politique affairiste a laissé un vide politique béant. Toutes les organisations politiques « de gauche » comme « de droite » se sont laissé aller à toutes les magouilles, à l’abandon total de toutes les valeurs au nom du pouvoir et du néo-libéralisme triomphant. Tout cela s’est fait sur fond de montée identitaire et raciste. Nous sommes exactement dans la même dynamique en France où le PS a payé ce qu’il devait payer. Un nouveau parti complètement cynique et sans fond (LREM) a pris le pouvoir sans avoir de projet politique autre que l’application du programme du MEDEF. LREM n’a pas une base militante susceptible de contrer une éventuelle montée d’une quelconque organisation structurée.
Face à cela, des pans entiers du prolétariat ont été laissés à l’abandon et ne sont plus structurés par les organisations du mouvement ouvrier. Ces franges-là sont à la merci d’influenceurs d’extrême droite qu’ils soient dans la classe politique (Marine Le Pen, Dupont-Aignan, La Lega en Italie ou Bolsonaro au Brésil) ou extérieur (Soral, youtubeurs antisémites, Fdesouche, complotistes, etc.). Ces discours se placent dans un espace concurrentiel avec nous, les révolutionnaires, ou simplement les militants progressistes. Un vaste segment du prolétariat est sensible à cette rhétorique souvent simpliste et flatteuse qui joue sur la concurrence entre les exploité·e·s.

Cette portion de la population ne serait que peu signifiante si les restes du mouvement ouvrier n’étaient pas aphones et complètement sidérés par la situation. Les centrales syndicales, en France comme en Italie, ne disent rien. Les organisations ne disent rien. Les groupes radicaux ne disent rien. On regarde, hébétés, une situation horrible. Chacun se replie sur ses potes, ses camarades les plus proches et ses affinités. Les dynamiques collectives sont brisées et peu alimentées.

Nous ne sommes pas prêts et pourtant seules les luttes sociales peuvent nous sauver

Il ne s’agit pas ici d’appeler à un front antifasciste. De toute façon un front avec qui ? La France insoumise continue à s’humilier sur les réseaux sociaux, s’embourbant dans des débats douteux sur le patriotisme de gauche. Lutte ouvrière n’a toujours pas compris que nous n’étions pas en 1917. Le NPA n’est qu’une grande bande gauchiste qui ne cesse de scissionner dans tous les sens sur des bases bizarres. Les organisations libertaires n’existent plus… Qui plus est, le front antifasciste n’a jamais été la preuve d’autre chose que l’imminence de la défaite. Il s’agit de s’organiser afin de faire vivre un rapport de force. Afin que les destructions sociales, qui accompagnent systématiquement les montées fascisantes, soient contrées. Afin aussi de reprendre le chemin du réel. Car c’est dans les luttes sociales que les langues se délient, que l’oppression devient visible. Ce sont les mobilisations collectives qui révèlent aux travailleurs et aux travailleuses que l’exploitation qu’ils·elles subissent est le fruit d’un système politique et économique. Ce sont les mobilisations collectives homosexuel·le·s qui révèlent à la face du monde ce qu’est l’hétéronormativité. Ce sont les mobilisations collectives qui ont mis la question du racisme sur la table. Ce sont les mobilisations collectives qui ont permis au féminisme de devenir une force politique à même de contester la norme patriarcale.
Or, ce réel, cet ancrage, qui fait la force de tous les mouvements révolutionnaires qui ont un jour pesé sur l’histoire, nous ne l’avons plus. Nous ne l’avons plus du fait de la conjoncture, c’est vrai. Mais nous ne l’avons plus aussi par fainéantise et par manque d’envie. Les militants, prompts à tant de jugements et de critiques semblent plus prompts à faire des mèmes sur Facebook qu’à réfléchir à un potentiel d’organisation. Les collectifs politiques se sont transformés en bandes, impossibles à rejoindre et condamnées à terme à se dissoudre dans les limbes des histoires interpersonnelles. Les mobilisations se font sans propagande autres que Facebook (autrement dit que des gens convaincus d’avance)…
Quelques réseaux et collectifs existent, mais ils sont animées que par un nombre trop faible de personnes. Quelques exemples :

  • Les cantines, à la ZAD, rue des Pyrénées, ou à Rouen, qui permettent une logistique et un appui non négligeable pour nos luttes.
  • Le réseau Mutu, dont fait partie Paris-luttes, qui s’organise au niveau national pour la diffusion d’idées anti autoritaire et faire contre poids aux médias et aux fafs.
  • Les coordination anti répression et caisses de solidarité, qui abattent un taf absolument monstrueux.
  • Les espaces physiques qui ne sont pas assez nombreux comme l’écharde à Montreuil ou le Rémouleur à Bagnolet…
  • Les coordinations de sans-papiers qui sont toujours trop seules face à la répression et au patronat.

Mais on peut imaginer aussi des collectifs qui se chargent d’inventer des slogans plus intéressants que ceux chantés en ce moment, des collectifs de graphistes un peu ambitieux qui recouvrent les murs de Paris de propagande, des collectifs féministes qui soient joignables par toutes celles qui ont la rage contre les mecs, des groupes antifa qui font de la contre-information dans nos quartiers, des journaux locaux, des gens qui développent des serveurs autonomes sur internet pour semer les flics, des gens pour rejoindre les familles de victimes de la police, souvent trop isolées. On peut aussi souhaiter des groupes d’interventions auprès des salariés en luttes, des graffeurs qui recouvrent la ville de slogans que les gens peuvent comprendre, des collectifs de fraudeurs pour la gratuité du métro… Toutes ces pratiques qui ont existé un moment et qui n’existent plus ou beaucoup moins.
Nous en oublions, c’est sûr, et il est important de dire qu’il se passe de nombreuses choses. Mais pas assez largement et assez vivantes pour peser réellement.

Hé les gauchistes, il est temps de se bouger parce qu’on est nombreux à avoir prévu autre chose que de passer nos dix prochaines années en prison ou assigné à résidence ! Pas plus que de vivre dans une société vitrifiée ou toute expression est impossible. Et ce n’est pas parce que vous ne faites rien en ce moment que vous n’allez pas vous prendre la répression dans la tronche. Parce que l’État n’oublie jamais qui il a en face de lui. Et le fascisme n’accepte pas la repentance, surtout à l’heure du tout numérique. On est parti pour une lutte à mort. Et si vous voulez attendre qu’on vienne frapper à votre porte pour vous chercher, libre à vous.

Alors avant d’en arriver là il est temps de lever la tête et de lutter.

Notes

[1Analyse trouvable sur le site de l’Organisation communiste libertaire

À lire également...