Les 7 et 8 juillet 2017 se tenait le douzième sommet du G20, à Hambourg. Il a réuni toute une ribambelle de chefs d’État, dont ceux des États les plus puissants du monde, et des représentants d’institutions internationales telles que l’ONU, l’OMC, le FMI, la Banque mondiale, l’OMS, etc. [1]
Plusieurs mois auparavant, une mobilisation internationale était menée par différents groupes, collectifs et organisations, de différentes tendances, anarchistes, autonomes et « de gauche », avec l’objectif de contester la tenue du sommet de G20, pour ce qu’il est et ce qu’il représente, mais aussi parce qu’il allait se tenir tout près de quartiers populaires et contestataires de Hambourg (Sternschanze, St-Pauli et Altona), ce qui était vécu comme une provocation par une grande partie de la population locale.
Conscient de ce potentiel de colère sociale, le pouvoir allemand avait prévu les choses en grand, de manière à immobiliser la ville et à faire taire toute forme de contestation conséquente : seraient présents sur Hambourg plus de 20 000 policiers de diverses sections (principalement des flics anti-émeute allemands, mais aussi autrichiens), équipés de canons à eau, véhicules blindés, hélicoptères, drones, caméras et armes diverses (matraques, gazeuses au poivre et flingues).
Dès les premiers jours de la semaine du sommet (celui-ci débutant le vendredi 7), les flics anti-émeute avaient envahi la ville et circulaient de partout, se croisant bien souvent en mode défilé de fourgons. Les hélicos ont tourné dans le ciel sans discontinuer, jour et nuit, jusqu’à six hélicos en même temps.
Mais malgré l’occupation policière oppressante qui s’apparentait à une sorte d’état de siège, on peut dire que la mobilisation anti-G20 a réussi à se faire entendre...
Récit de ces quelques jours
Contrairement aux mobilisations « antimondialisation » du début des années 2000 (contre le G8, l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale, etc.), la mobilisation contre le G20 à Hambourg, notamment concernant les infrastructures/campements, a été principalement prise en charge par des organisations et collectifs autonomes, anarchistes, révolutionnaires, les organisations réformistes ou partidaires type Attac ou Die Linke étant clairement en retrait et focalisées sur la grande manifestation du samedi. La réussite de l’organisation de la vie quotidienne pour les milliers de personnes ayant afflué sur Hambourg est d’autant plus remarquable que la répression et le harcèlement policier ont pesé très lourd dès la fin du mois de juin. La tenue à l’arrache de campements improvisés et l’organisation de l’hébergement chez des ami-e-s et des inconnu-e-s a finalement été une belle réussite d’entraide locale.
Tout ce qui a été mis en place a été d’une aide précieuse, une logistique nécessaire : l’installation et l’entretien des campements, l’occupation d’un théâtre, la coordination d’hébergements chez l’habitant-e, les cantines vegans, les points info en différents endroits de la ville, les legal team et médic team, les flyers divers avec plans de la ville et parcours prévus pour les manifs, jours et horaires des actions, etc. Pour tout ça, d’un point de vue extérieur et « étranger », merci, danke !
Mardi 4 juillet
Face à la répression policière subie par les tentatives d’installation de campements à Hambourg, des actions de solidarité ont eu lieu la veille à Munich (occupation de place), Leipzig et ailleurs en Allemagne, et ce mardi 4 juillet à Wuppertal (occupation de place) et dans d’autres villes d’Allemagne.
La répression continue du côté des deux campements « officiels », à Entenwerder et Altona-Nord. Un petit campement est mis en place sur le terrain de l’église Johanneskirche à Altona-Altstadt. Celui d’Entenwerder est d’ailleurs abandonné au profit de différents campements en ville, plus petits (un autre campement sera mis en place sur le terrain d’une église au sud de St-Pauli, près de Fischmarkt.
Du côté de St-Pauli et du Sternschanze, 3 000 personnes sont à la manif « Reclaim the Streets » et sont dispersées par la police. Flics anti-émeute, canons à eau et hélicos sont déjà de sortie. Le slogan « Tout Hambourg est anti-police » également...
Dans la soirée, le nouveau campement du parc de la Gählerstrasse (Altona-Altstadt) est évacué par la police. Une manif sauvage en part, mais elle est rapidement attaquée et dispersée par les flics.
Toujours pour trouver de quoi se loger, le théâtre Schauspielhaus est occupé. Les flics tentent de faire avorter l’occupation, mais le directeur du théâtre s’oppose à son expulsion. Ça permet un paquet de places de couchage supplémentaires !
Mercredi 5 juillet
Une manif-happening de quelques centaines de personnes déguisées en zombies capitalistes a lieu au centre-ville.
En fin d’après-midi, une sorte de manif-rave-party anti-G20 part depuis les quais de St-Pauli Fischmarkt. Il y a des milliers de personnes, beaucoup de camions sono et une ambiance assez molle malgré le bruit... À vrai dire, l’ambiance n’est pas beaucoup plus agitée qu’une manif-merguez-sono de cégétistes. La musique est plus « originale », mais la cacophonie et l’apathie sont semblables. Bon, il y a quand même un bon nombre de slogans anticapitalistes et anti-police qui sont entonnés, et ça c’est quand même pas très courant dans les cortèges cégétistes.
Jeudi 6 juillet
Dans la nuit du mercredi au jeudi, dans le quartier d’Eidelstedt, un concessionnaire Porsche voit douze de ses belles voitures cramer complètement.
Les gens continuent d’arriver à Hambourg, il y a de plus en plus de monde, et c’est assez rassurant... Mais il y a toujours besoin d’endroits où héberger des gens. Les Ultras du FC St-Pauli se sont démerdé pour proposer 200 places de couchage dans la principale tribune du stade Millerntor, situé à quelques centaines de mètres du congrès du G20...
Le train spécial parti de Bâle, en Suisse, arrive sans encombres. Près de 1 000 activistes font le trajet en cortège depuis le quartier d’Eidelstedt jusqu’au campement d’Altona-Nord.
En fin d’après-midi, 500 à 600 personnes partent en cortège calme du stade Volkspark (qui accueille l’autre club de Hambourg), proche du campement d’Altona-Nord, jusqu’à Fischmarkt, pour le départ de la manif « Welcome to Hell ».
La manif « Welcome to Hell » (« Bienvenue en Enfer ») est le premier grand moment de cette semaine de mobilisation anti-G20. Annonçant clairement la couleur, « Join the Black bloc », il s’agit du premier rendez-vous offensif annoncé publiquement.
En début de soirée, sous le soleil, une foule impressionnante est rassemblée sur St-Pauli Fischmarkt (10 000 à 20 000 personnes), le long de l’Elbe. Deux banderoles ouvrent la manif : « G20 welcome to Hell » et « Smash G20 ». Au milieu du cortège se trouve un ou deux énormes ballons gonflables sur lequels est écrit « Black bloc / Lieber mili tanz ich als G20 » (« Black bloc / Plutôt militant dansant que G20 ») et « Nur ein Schwarzer block ist ein Guter Block » (« Le seul bon bloc est un black bloc »). En tête de manif, un black bloc gigantesque est prêt à partir, avec dans la suite du cortège un mélange de manifestant-e-s habillé-e-s de toutes les couleurs et de petits groupes de manifestant-e-s tout en noir. C’est clairement le dress-code du jour. L’ambiance a beau être calme, les flics bloquent très rapidement l’avancée de la manif, notamment pour cause de « personnes masquées » (interdiction sérieuse, en Allemagne). Mais dès le départ, leurs canons à eau étaient dirigés vers la tête de manif, bloquant le passage... Les flics ne cherchaient qu’un prétexte, tout trouvé, pour empêcher la manif d’avoir lieu.
Petite remarque avant de raconter la suite : alors que la situation nous poussait à réfléchir à comment réagir, il y avait trop de camions-sono, trop de parasitage sonore, la musique était beaucoup trop forte et nuisait clairement au bien-être des manifestant-e-s : rien qu’entre potes c’était compliqué de se parler ! Quand la police est oppressante, quand il y a des possibilités d’affrontement ou d’émeutes, on a besoin d’avoir tous nos sens au meilleur de leurs capacités. Ces camions-sono sont une auto-nuisance...
L’agacement des manifestant-e-s commençant à se ressentir, les flics ont pris quelques projectiles sur la tête et ont riposté immédiatement en chargeant dans le tas, à plusieurs centaines. Là aussi, ça donnait l’impression qu’ils n’attendaient que ça.
La charge policière est brutale, déterminée, et continue. Toute la rue, qui était occupée par des milliers de manifestant-e-s, est entièrement reprise par les flics anti-émeute. Aux coups de poing et de matraques des flics répondent les projectiles des manifestant-e-s, mais l’ensemble des manifestant-e-s se voient forcé-e-s de se replier sur l’esplanade des quais de l’Elbe. De loin, ça ressemble à une sorte de film d’horreur, avec des centaines et des centaines de personnes qui escaladent un mur par flots ininterrompus tandis qu’en bas les flics anti-émeute continuent leurs charges et leurs tabassages. De près, ça ne ressemble pas à un film, c’est bien réel, mais c’est pas terrible non plus. Sur l’esplanade, les affrontements continuent et ça tente de fuir des deux côtés, les flics réussissent à semer la panique de presque partout. Une grande partie des manifestant-e-s se retrouvent même sur les cailloux qui séparent le quai du fleuve, le seul endroit où les flics ne mettront pas les pieds...
Rétrospectivement, la fuite collective semble largement précipitée. Vu le nombre de manifestant-e-s, on aurait pu tenir la rue, en tout cas bien plus longtemps que ça n’a été le cas. Mais cette fuite n’est pas due qu’à la peur, elle n’est pas due qu’au réflexe de se protéger. Elle est aussi due à l’idée de faire autre chose, de partir en manif autrement, sans suivre un parcours pré-établi.
Si la police a fait un paquet de blessé-e-s lors de sa charge massive et acharnée, côté manifestant-e-s l’entraide lors de l’escalade du mur et sur l’esplanade est admirable. La solidarité va bien entendu au-delà des groupes affinitaires, pas de « chacun pour soi » ici.
À ce moment-là, le rapport de force a beau être largement favorable à la police, de nombreux groupes de manifestant-e-s continuent de caillasser les flics pour les faire reculer, ou au moins les ralentir, leur rendre la tâche plus difficile, notamment sur la place du Fischmarkt. Mais beaucoup de gens cherchent à fuir la situation. Et ça se comprend, les flics sont en sur-nombre ici, avec plusieurs canons à eau, ils bouclent complètement le sud de St-Pauli.
Au fil des minutes, une grande partie des manifestant-e-s réussissent à s’esquiver et à s’éloigner du traquenard de Fischmarkt. Sur Breitestrasse, c’est 1 000 à 2 000 manifestant-e-s qui repartent calmement. Les flics anti-émeute sont en nombre là aussi, mais dès que l’horizon est à peu près clair, des premiers groupes de manifestant-e-s s’emparent de mobilier urbain et érigent des petites barricades. Peu à peu, la retraite se transforme en manif sauvage, avec des slogans entonnés et des actions directes qui se multiplient. Au bout d’un moment, alors que les murs commencent à être décorés par des graffitis, des poubelles sont incendiées et des vitrines d’enseignes capitalistes sont brisées. En fait ça se met à ressembler aux manifs sauvages qu’on a pu vivre sur Paname l’an passé pendant le mouvement contre la loi Travail et cette année pendant le mouvement de solidarité avec Théo et pendant la période électorale des présidentielles. Par exemple, des banques sont attaquées, un Ikea aussi, et le palais de Justice d’Altona [2], situé Max-Brauer-Allee, ainsi que des panneaux de pub. L’ambiance offensive fait vraiment plaisir après ce qui vient d’être vécu. On s’en serait bien passé, mais force est de constater que la brutalité policière a permis à la rage de se répandre à celles et ceux qui ne l’avaient pas encore. Après avoir emprunté pas mal de rues d’Altona-Altstadt et avoir fondu pas mal au son des premières sirènes de police (police bien prise de vitesse pendant de longues minutes, quand même), la manif s’est progressivement dispersée, assez tranquillement, aux confins des quartiers Altona-Altstadt, st-Pauli et Sternschanze.
Plus tard, alors que la manif sauvage est terminée, la manif « Welcome to Hell » finit par se reformer et repart (avec environ 12 000 personnes) dans le calme, « escortée » par des camions de flics et des centaines de flics anti-émeute en rangs serrés. Vers les quartiers Altona-Altstadt et Sternschanze, la manif est attaquée par la police et se sépare en plusieurs morceaux. De nouveaux affrontements ont alors lieu dans la nuit à travers le quartier du Sternschanze, notamment devant le squat Rote Flora, où projectiles et barricades s’opposent aux canons à eau et aux matraques. Des barricades sont érigées un peu partout dans le quartier, des vitrines sont brisées, des voitures de bourges cramées, des véhicules de police caillassés, etc., pour fêter le début du sommet du G20 le lendemain, la première nuit d’émeutes de la semaine a lieu !
Vendredi 7 juillet
La journée d’actions décentralisées s’avère plus chaotique que prévue. Le projet d’aller perturber la zone rouge en plusieurs cortèges est un échec relatif, avec une faible mobilisation, peut-être due aux rendez-vous très matinaux qui suivent une nuit assez agitée... Seuls trois groupes (« fingers ») se forment en cortèges distincts, et encore, deux d’entre eux fusionnent assez rapidement pour pouvoir être un nombre conséquent. Ce qui est tout de même une bonne idée puisque ce groupe-là réussit au fil des heures à pas mal faire chier les flics en bloquant divers accès et ralentissant l’arrivée de plusieurs délégations au congrès du G20. L’autre groupe réunit assez peu de gens (une petite centaine) et ne réussit pas grand chose, il est la plupart du temps poursuivi ou au moins mis en fuite par la police. Il réussit quand même à forcer la délégation allemande à faire demi-tour, ce qui est déjà pas mal ! Et puis c’est un peu le bordel dans une partie du centre-ville déserté d’Hambourg, ça fait plaisir.
Au cours de cette matinée de blocages, on a su que Melania Trump n’a pas été autorisée à sortir de son logement à cause du bordel dehors. Le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäubele, a quant à lui été obligé d’annuler un meeting à cause des blocages, tandis que la délégation japonaise a elle aussi été forcée de faire demi-tour et de rejoindre son hotel pour toute la matinée.
Un autre rendez-vous matinal, donné sur le port de Hambourg, « Shut down the Logistics of Capital », est une réussite puisqu’il dure plusieurs heures, commençant tôt le matin et se terminant dans l’après-midi, avec sans arrêt des blocages et des confrontations avec la police. Tout ça ressemble parfois à de petites manifs sauvages avec des blocages sporadiques, un jeu du chat et de la souris entre flics et manifestant-e-s. Les canons à eau et les flics anti-émeute sont à nouveau de sortie pour empêcher tout ça, mais la mobilité des manifestant-e-s permet de perturber l’ambiance assez durablement.
Toujours dans la matinée, un black bloc de plusieurs dizaines de personnes a cramé ou dégradé des voitures (dont plusieurs véhicules de police), renversé du mobilier urbain, tagué et brisé des vitrines d’enseignes capitalistes dans le quartier d’Altona, loin de la présence policière massive.
En fin de matinée, une manif de « jeunes » (lycéen-ne-s, étudiant-e-s et autres) contre le G20 réunit près de 4 000 personnes en centre-ville.
Dans l’après-midi, quelques milliers de personnes se rassemblent à Millerntor (St-Pauli) pour une deuxième vague de blocages et se dirigent vers l’Elbphilharmonie, où les membres du G20 écoutent Beethoven en buvant du champagne, mais les flics attaquent le cortège bien avant que les manifestant-e-s n’y parviennent.
En fin d’après-midi, une manif à vélos, « Colourful Critical Mass », sillonne la ville d’est en ouest jusque tard dans la nuit.
En début de soirée, une auto-nommée « manif révolutionnaire » annoncée sur Reeperbahn (St-Pauli) pour « couler le capitalisme » est finalement annulée (interdite par les autorités ?) et se transforme en sorte de fête de rue / fête de la bière sur Reeperbahn.
Plus ou moins au même moment, des émeutes commencent dans le Sternschanze et s’étendent aux quartiers de St-Pauli et Altona. Les flics sont repoussés hors du quartier de Sternschanze par des barricades et des caillassages, plusieurs magasins sont pillés (un supermarché Rewe, EWE, des magasins Budnikowsky, Flying Tiger Copenhagen et Carhartt, une enseigne de téléphones portables O2 et un Apple-store), des banques et autres bâtiments capitalistes voient leurs vitrines brisées. Pendant un moment, les flics sont attaqués de partout, même depuis les toits et les fenêtres des immeubles. Selon le compte Twitter de la police de Hambourg, un policier a été attaqué par « des personnes violentes » alors qu’il tentait d’arrêter un « voleur » dans le quartier de Sternschanze et a « procédé à un tir de sommation » pour pouvoir s’échapper.
Cependant, cette ambiance de mini-insurrection où les rapports de force sont complètement bouleversés a commencé à se dégrader, selon une analyse d’Enough is Enough !, car « au lieu de détruire les bouteilles d’alcool dans les magasins pillés (une nécessité dans de telles situations), les gens ont pris les bouteilles et ont commencé à les boire. Avec l’alcool gratuit disponible, d’autres gens du quartier sont arrivés. De plus en plus de groupes affinitaires d’activistes ont quitté les lieux et de plus en plus de spectateurs, de machos et de bourrés ont occupé les rues. » L’analyse peut paraître simpliste, ou disons, simplifiée, car des spectateurs, des machos et des bourrés dans le quartier Sternschanze il y en a eu malheureusement tous les soirs, et dans cette partie de la ville il y en a en nombre tous les week-ends. De plus, il est assez clair que la situation quasi-insurrectionnelle dans le quartier n’allait pas durer éternellement, sachant que tout ce qui pouvait être attaqué avait été pété ou pillé et que les flics n’allaient pas baisser les bras devant l’adversité, même s’ils ne s’attendaient pas à ce que celle-ci soit aussi déterminée. Et puis à moins d’être en pleine situation insurrectionnelle, c’est jamais bon de rester à côté de magasins pillés les bras chargés de marchandises... Bref, la situation s’est peu à peu dégradée, et quelque part c’était une fatalité. C’est déjà génial qu’il ait pu se passer de tels moments !
Car au-delà du quartier Sternschanze sens dessus-dessous, il y a aussi eu de belles scènes dans le quartier d’Altona, avec plusieurs barricades en feu, des véhicules de police caillassés massivement sur leur passage, des parties de foot sur un croisement important du quartier (entre Max-Brauer-Allee et Stresemannstrasse), des actions menées en petits groupes ici et là, des tirs de feux d’artifice pour perturber les hélicoptères de flics, etc. Parallèlement à ces moments de fête émeutière, se vivaient des moments de conflit qui pouvaient faire penser à des situations de début d’insurrection, où il devient difficile de ne pas être concerné-e et où chacun-e est dans la rue malgré l’heure tardive, pour aider les émeutier-e-s ou leur faire la morale, à discuter de ce qu’on peut ajouter au feu pour alimenter la barricade, à réfléchir sur l’importance de la propriété privée dans des moments pareils. Tout ça se passant au beau milieu de poses « selfie », vestiges futurs du monde spectaculaire-marchand...
Samedi 8 juillet
« Nous n’avons jamais connu un tel niveau de haine et de violence ».
Le porte-parole de la police de Hambourg, Timo Zill, n’a pas peur des mots quand il déclare cela au journal Bild ce samedi matin. Pas besoin de connaître l’histoire de l’Allemagne sur le bout des doigts pour constater l’indécence et l’absurdité d’une telle déclaration. En même temps, bon, c’est la parole d’un flic...
Le pire c’est que ces propos seront relayés [3] par Andy Grote, ministre de l’Intérieur de Hambourg, avec ses propres mots : « La violence criminelle, impitoyable, que nous avons rencontré, va au-delà de ce que la police n’a jamais connu avant cela en Allemagne. »
Dans la nuit du vendredi au samedi, le commissariat du quartier de Zografou, à Athènes (en Grèce), a été attaqué par des jets de cocktails Molotov, en solidarité avec les émeutier-e-s anti-G20 d’Hambourg.
Tôt dans la matinée, un véhicule diplomatique garé sur Dohrnweg, dans le quartier d’Altona-Altstadt, près du Sternschanze, a été incendié. [4]
Dans la matinée, vraisemblablement en réaction à l’humiliation vécue la veille au soir par la police, plusieurs perquisitions ont lieu dans le quartier Sternschanze (notamment un centre social internationaliste, un ciné local, une coopérative alimentaire et des logements privés).
Vers midi, la manifestation « de masse » réunit entre 20 000 (selon la police) et 200 000 (selon des organisations participant à la manif) personnes derrière une banderole de tête « Solidarity without borders instead of G20 » (« Solidarité sans frontières, plutôt que le G20 »), entre la gare principale (St-Georg) et Millerntorplatz (St-Pauli). Hormis quelques rares accrochages avec les flics, la manif se déroule tranquillement, avant que des affrontements avec la police n’éclatent en toute fin de manif (canons à eau, projectiles, etc.).
Dans l’après-midi, le bruit commence à courir que les flics lancent des contrôles de rue massifs un peu partout, pas seulement à la recherche de potentiels adeptes des black blocs, mais en particulier de Français-es et d’Italien-ne-s...
Dans la soirée, des affrontements reprennent dans le quartier de Sternschanze, en particulier sur Schulterblatt (comme la veille et l’avant-veille) où la foule se masse principalement. Barricades, canons à eau, projectiles, charges policières, etc., le scénario se répétera plusieurs fois jusque tard dans la nuit, mais avec beaucoup moins d’intensité que la veille. À plusieurs reprises, les flics annoncent quadriller le quartier et imposer une sorte de couvre-feu non-officiel, mais à chaque fois la foule revient aux cris de « Tout Hambourg est anti-police ». Là encore, la solidarité entre manifestant-e-s et habitant-e-s du quartier est palpable.
Dimanche 9 juillet
Alors que le sommet du G20 s’est terminé la veille au soir, de nouveaux heurts éclatent dans la matinée. Des activistes incendient et dégradent des véhicules dans le quartier de Sternschanze, finalement dispersé-e-s par la police.
Vers midi, une manif antirépression « Nobody forgotten, nothing forgiven ! » (« On n’oublie personne, on ne pardonne rien ») réunit plus de 1 000 personnes entre le port de Hambourg et le centre de détention GeSa (conçu spécialement pour les manifestant-e-s anti-G20), où une centaine de personnes sont encore emprisonnées ce dimanche. À l’arrivée devant le centre de détention, la manifestation se fait entendre : beaucoup de bruit et d’expression de solidarité avec toutes les personnes incarcérées.
Dans l’après-midi, de « bons citoyens » descendent dans les rues du quartier de Sternschanze pour nettoyer les dégats des journées anti-G20...
Bilan chiffré
Selon un article paru sur le site de L’Obs qui relaie les chiffres donnés par la police allemande, « près de 500 policiers ont été blessés dans des heurts avec des manifestants et 186 personnes ont été arrêtées. Le nombre des manifestants blessés n’était pas encore connu avec précision. » Les flics ne connaîtront jamais le nombre de manifestant-e-s blessé-e-s de toute façon... Mais on peut penser que les blessé-e-s côté manifestant-e-s ont été au moins aussi nombreux que du côté des flics. Par ailleurs il serait intéressant de connaître la nature de chacune des blessures des flics, car même si certains ont clairement pris cher, ça sent quand même l’arnaque à la Sécurité sociale tout ça.
Selon le site globalproject.info, il n’y a pas eu 186 arrestations pendant les journées anti-G20, mais plutôt près de 300. Aussi, ce serait intéressant de connaître le nombre de gens qui ont été empêché d’arriver jusqu’à Hambourg, soit en étant forcé-e-s de faire demi-tour, soit en étant gardé-e-s en détention le temps de quelques jours...
Selon un comptage effectué le mercredi 12 juillet, il restait 51 personnes incarcérées en Allemagne suite aux manifestations et émeutes contre le G20 à Hambourg.
Bilan subjectif
Pour terminer ce récit sur quelques notes critiques, sans partir dans un discours d’analyse super développé, je retiendrai l’entraide quasi permanente pendant les manifs, les blocages, les actions directes, entre émeutier-e-s, manifestant-e-s bien sûr, mais aussi et surtout entre émeutier-e-s, manifestant-e-s et habitant-e-s des quartiers de Sternschanze, St-Pauli et Altona. Et même ailleurs, dans d’autres quartiers, sans en faire une généralité de ouf, il était fréquent de croiser des gens qui disaient « super ce que vous faites contre le G20 », ou simplement « Fuck le G20 » quand ils captaient qu’on ne parlait pas allemand...
Aussi, j’ai l’impression que ces campements décentralisés ont permis peut-être plus de rencontres inattendues qu’un grand campement central. Des rencontres avec d’autres activistes, d’autres manifestant-e-s d’Allemagne bien sûr, mais aussi de France... Finalement il y avait plein de Français-es, nan ?!
Il y avait dans la ville énormément de tags anti-G20 ainsi que des banderoles aux fenêtres et aux balcons de plein de logements. Aussi, pas mal de locaux associatifs et de petits commerces ont affiché des slogans anti-G20 sur leurs vitrines, certains avec une réelle sincérité, d’autres peut-être juste pour éviter d’avoir leurs vitrines brisées... Dans tous les cas ça montre une réalité locale qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs. Il y a aussi pas mal de témoignages d’émeutier-e-s pris-es en sandwich par les flics au milieu d’une rue et qui ont pu se réfugier chez des gens ou dans des petits commerces locaux, souvent sans rien avoir à demander !
Même si c’est principalement l’ouest de la ville qui a été affecté par les mobilisations anti-G20, si l’on y ajoute la zone rouge centrale, la journée de blocages décentralisés et la grande manif du samedi qui a traversé la ville d’est en ouest, plus l’occupation policière de la ville, l’ensemble de la ville a été en grande partie bloquée pendant presque une semaine, rendant notamment la circulation automobile fort compliquée, le G20 nécessitant à Hambourg une sorte d’état de siège permanent... Et bien sûr, sans les manifs, les émeutes et le nombre de gens venu-e-s dire « merde » au G20, tout ce bordel n’aurait pas existé, ou pas à ce point, et le pouvoir allemand et le G20 dans son ensemble en seraient ressortis « grandis », renforcés. À la sortie de ce G20 hambourgeois, c’est loin d’être le cas. L’objectif de perturbation du sommet du G20, et plus largement de l’ordre dans la ville d’Hambourg, a été une réussite, et vu les forces en présence des deux côtés, ça aurait difficile de faire mieux.
Alors bien sûr, les mobilisations internationales de type « anti-G20 » ne suffisent pas à faire la révolution, évidemment qu’il faut faire autre chose, notamment localement, là où on vit, mais il ne faut jamais oublier que ces moments de lutte ont une puissance de résonance importante, internationale. Quand on met le bordel pendant trois jours là où se réunissent les gouvernants de ce monde, on montre qu’il y a des gens dans ce monde qui refusent la domination mondiale du capitalisme et de l’étatisme. Et qui la refusent à tel point qu’ils mettent une partie de leur vie en jeu, prenant le risque d’être touché-e-s par la répression, la brutalité policière ou la prison.
Merkel et ses potes ont voulu faire les fier-e-s en organisant le G20 à Hambourg, en faisant taire les quartiers populaires et « alternatifs » que sont Sternchanze, St-Pauli et Altona situés aux confins de la zone rouge du G20. Raté ! Comme disait la Dictée magique, « essaye encore une fois ».
Pour finir, n’oublions pas les personnes emprisonnées suite à ces journées de joyeux chaos. Samedi 15 juillet, au moins deux manifs auront lieu contre la répression lors du sommet du G20 et pour la libération de tou-te-s les prisonnier-e-s. L’une d’entre elles aura lieu à Berne, en Suisse, à 14h à la gare. L’autre aura lieu à Hambourg, à 16h, en face de la prison JVA d’Hambourg-Billwerder, située Dweerlandweg.
Durant ces journées, on pouvait lire sur un mur d’une banque pétée sur Schulterblatt, non loin de Rote Flora, un tag qui disait « Free hugs for black blocs » avec un coeur. Voilà une belle conclusion !
Un anarchiste « français »