Au cours de l’histoire, et particulièrement à partir du Moyen Âge européen, les Juifs et les Juives ont été accuséEs de perpétrer des « crimes rituels », notamment à l’occasion de Pessah (la « Pâque juive »). L’accusation classique est celle de sacrifier des enfants chrétiens pour ensuite se servir de leur sang pour confectionner les matzots (pain azyme).
Si la première accusation connue de ce type remonte à la période pré-chrétienne, il n’en est pas fait mention jusqu’au XIIe siècle, date à laquelle elle se multiplie dans toute la Chrétienté.
Il est significatif que cette accusation de meurtre rituel ait aussi visé les premiers chrétienNEs à l’époque romaine, alors qu’ils constituaient une minorités religieuse.
Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que cette accusation a été reprise au sein de pays à majorité musulmane. Il est frappant de constater la manière dont un tel mythe antisémite a été diffusée dans les pays à majorité musulmane : par des prêtres européens :
En 1840, un moine sarde et son domestique sont assassinés dans la région de Damas, et la minorité juive est accusée de meurtre rituel, ce qui donne lieu à un pogrom. Dans un contexte de concurrence économique entre bourgeoisie juive et chrétienne, la bourgeoisie chrétienne trouve dans cette accusation l’opportunité d’assoir sa suprématie. Elle est soutenue en cela par le pouvoir égyptien, en recherche d’alliance avec l’impérialisme français. Elle se renouvèlera à Rhodes, alors sous domination Ottomane, avec le soutien des impérialismes européens. On la retrouvera avec le pogrom de Chiraz, en 1910, en Iran.
Cette accusation de meurtre rituel connaîtra une particulière vitalité en Europe de l’Est à partir du XIXe siècle, avec l’émergence d’un courant antisémite de masse, entretenu notamment par le pouvoir tsariste, l’Église orthodoxe, mais aussi les mouvements nationalistes polonais, ukrainiens, biélorusses, lituaniens, hongrois... dans la zone de résidence, le yiddishland.
En Pologne, elle est utilisé en 1946 contre les survivantEs juifs et juives de Kielce qui réclamaient leurs terres spoliées à l’origine lors d’un violent pogrom.
Loin d’appartenir à « l’histoire ancienne », cette accusation continue d’être proférée et diffusée dans les textes, vidéos, paroles antisémites qui envahissent le net depuis plusieurs années, décrivant les Juives et les Juifs comme des « vampires » « assoiffés de sang », « assassins d’enfants », ... On la retrouve portée par une vingtaine de députés fascistes à la Douma russe en 2005, ou en Sibérie en 2008 par une campagne d’affichage.
Elle est diffusée dans les pays à majorité musulmane au travers notamment de la « Matza de Sion », brûlot antisémite rédigé et diffusé à échelle de masse par Mustapha Tlass, ancien ministre de l’Intérieur de Bachar el Assad. Ce texte reprend, outre le faux antisémite des « Protocoles des Sages de Sion », les accusations de « crime rituel ».
De manière significative, Mustafa Tlass puis son fils, qui a repris son activité de diffusion d’un antisémitisme de masse, a été l’interlocuteur privilégié des services secrets français et de l’impérialisme français au sein du régime syrien. Au point que ce dernier ait été exfiltré, en juillet 2012 par ces mêmes services, lorsqu’il a fini par abandonner le régime syrien. Cela montre tout le cynisme de la bourgeoisie et de l’État français qui se prétendent protecteurs de la minorité juive mais se retrouvent main dans la main avec un des principaux propagandistes de l’antisémitisme dans le monde.
En France, cette accusation est reprise par la mouvance fasciste qui s’organise autour d’Égalité et Réconciliation, mais aussi par au sein de réseaux catholiques traditionalistes. On peut en retrouver une déclinaison autour de la notion « d’abus rituels », accusant les Juifs et Juives d’être à la tête de réseaux pédocriminels (cette idée de réseaux pédocriminels revient à de nombreuses reprises dans la sphère complotiste et antisémite, c’est d’ailleurs l’un des dossiers que l’on peut trouver sur le site internet d’Égalité et Réconciliation).
Cette « version » est la convergence du thème du crime rituel avec celui de la « perversion » qui serait l’apanage particulier des hommes juifs, une manière d’évacuer la question de la domination masculine en général pour diffuser un venin raciste. Le lynchage de Leo Frank par un groupe qui constituera le futur KKK, aux cris de « morts aux juifs », après que celui-ci ait été accusé de viol et de meurtre,puis grâcié, est un autre exemple de convergence de ces deux thèmes.
On retrouve ce thème du « crime rituel » mobilisé en arrière plan de certains discours lorsque des enfants palestiniens sont tués par l’armée israélienne. Certains présentent ces crimes de guerre comme une manifestation moderne d’une prétendue « injonction talmudique » à tuer les enfants, selon la vieille image antisémite du « Juif assassin d’enfant ».
Pour autant, cette longue histoire d’accusation antisémites ne doit pas être instrumentalisée pour éviter de se confronter à la question de le violence coloniale et de son effet sur les enfants. Ainsi, lorsque Mohammed al Dura, un enfant palestinien de douze ans est tué par des tirs israéliens sous les yeux des médias français, une partie des partisans du sionisme assimile l’accusation de meurtre portée à l’encontre de l’armée israélienne à une accusation de meurtre rituel.
L’assassinat d’enfant est pourtant une constante de toutes les guerres, et particulièrement des guerres coloniales, qui ne font guère de distinction entre les victimes. L’armée française a ainsi le sang de nombreux enfants sur les mains, sans pour autant que la dénonciation (trop rare) de ces crimes soit l’occasion de présenter « les Français » comme des « assassins d’enfants ». Les enfants, parce qu’ils sont les plus vulnérables, sont parmi les premières victimes des guerres et des massacres coloniaux. Ces crimes de guerres sont donc le résultat du militarisme et du colonialisme, et doivent être dénoncés comme tels, tout comme doit être combattu ce qui les produit : occupation, militarisme, colonialisme. Mais les discours qui en font un avatar du « crime rituel » doivent être combattu fermement comme des tentatives de cibler les Juifs et les Juives en lieu et place de la politique coloniale israélienne.
Chaque période où ces accusations resurgissent correspondent à des périodes de crise où une fraction des classes dominantes cherche à désigner la minorité juive comme bouc-émissaire et légitimer la violence à son encontre.
L’idéologie dominante à pour caractéristique d’exercer son influence y compris dans les espaces de résistances populaires et au sein même des groupes opprimés. Le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie sont des éléments de l’idéologie dominante. Les thèmes antisémites (tout comme les thèmes racistes, islamophobes, ...) sont ainsi diffusés largement au delà des cercles qui les produisent et diffusent explicitement. Il n’est malheureusement pas rare, en période de crise de voir l’influence de l’idéologie dominante s’étendre au sein même du mouvement progressiste et organisé (produisant ce que certaines et certains nomment « la confusion »). Cette situation est destructrice pour ce dernier, qui voit certaines de ses composantes devenir le vecteur, souvent inconscient, d’une idéologie produite dans le but de le liquider. Mais elle l’est aussi pour la minorité nationale juive, qui subit les conséquences directes des discours antisémites, qui se traduisent inévitablement par la violence et l’oppression de type « pogromiste ». La réponse, c’est la formation collective, la vigilance collective, et l’autodéfense !