Manque d’effectifs, de lits, de matériel, pénurie de médecins, les revendications du personnel hospitalier sont connues de longue date...
Depuis, plus d’un an, les salariés des hôpitaux sont en grève pour dénoncer leurs conditions de travail : mouvement invisible puisque les personnels sont muselés par les assignations du fait du sous-effectif chronique.
Désœuvrés de n’être entendus, leurs cris silencieux s’acharnent à avertir l’opinion publique que notre hôpital n’est devenu qu’un château de carte prêt à tout moment à s’effondrer.
La décision de rentabiliser la santé prend son essor dans les différents plans de restructuration de l’hôpital public menés depuis ces 20 dernières années et n’a d’autres volontés que la marchandisation de la santé et à terme sa privatisation.
Baisse des budgets et des moyens
Depuis plusieurs années le système de santé est sous forte pression budgétaire, condamné à faire toujours plus avec toujours moins. Devant les déficits récurrents et progressifs, la maîtrise des dépenses arrive au premier plan.
Sous couvert du déficit budgétaire de la sécurité sociale, les stratégies gouvernementales n’ont eu pour objectifs que de réduire les budgets alloués à la santé, engendrant des fermetures massives de lits et dégraissement sans précèdent de la masse salariale.
Outre le gel des salaires, des réductions drastiques sont réalisées dans les remplacements d’équipements durables (lits, brancards, fauteuils roulants, par exemple) et dans les matériels à usage unique, (médicaments, gants masques surblouses etc. ).
Pour le reste, accusés de gâcher (jeter plutôt que nettoyer) les soignants se plaignent des distributions au compte-goutte. Les personnels doivent user de stratagème et utiliser l’entraide des réseaux personnels (d’un service à l’autre voire d’un hôpital à l’autre) pour faire face aux besoins.
Budgets des 5 dernières années | Diminution de 1,5 milliards |
Fermeture de lits | 69 000 entre 2003 et 2017 |
Dégraissement salarial | 50 000 postes supprimés de 2003 à 2019 |
Baisse de l’offre de soins
En redéfinissant la carte géographique avec l’instauration des territoires sanitaires, de nombreux établissements locaux ont été amputés d’une part de leur activité voire de la totalité,engendrant ainsi leur fermeture au profit des centres de références. D’où une désertification territoriale de l’offre de soin et des délais de plusieurs mois pour consulter un spécialiste.
Pour être soigné aujourd’hui en France, il faut donc attendre longtemps et se déplacer dans certaines régions à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile.
Cette politique de marchandisation de la santé prend toute sa mesure avec le plan hôpital 2007 suivi du plan hôpital 2012 qui conforte cette orientation. Ces plans ont comme unique ambition de rationaliser l’offre de soin et les ressources humaines.
En instaurant la T2A, l’hôpital, pour être viable économiquement, doit produire des soins rentables, avec une prise en charge inscrite dans la brièveté, de patients renommés clients. Ce terme trop révélateur de la volonté des instances dirigeantes sera remplacé par patientèle...
L’ambulatoire remplace l’hospitalisation conventionnelle, on peut donc fermer des lits et se passer des équipes de nuit.
Baisse des effectifs
Concernant les effectifs, il n’existe pas de texte officiel décrétant le ratio soignant par patient, mais des recommandations appelées ratios normés visant à assurer une sécurité minimum - et non maximale - notamment dans les services de médecine, de chirurgie aiguë et de soins intensifs. Le calcul en besoin de personnel ne prend pas en compte l’absentéisme, les congés maladie pas plus que les congés maternité, quine sont d’ailleurs plus remplacés le temps total du congé dans une organisation où la masse salariale est à 78% féminine.
Ce ratio est désormais défini afin de répondre à la charge de travail technique et non relationnelle, alors qu’en parallèle le regroupement des structures concentre les demandes de la patientèle, à l’origine d’une très forte augmentation de la charge de travail.
Main basse sur les spécialisations
Pour justifier cette politique de démantèlement hospitalier, la pénurie de certaines professions spécialisées telles que les infirmier(e)s anesthésistes et de bloc opératoire a été tout simplement organisée. Tout d’abord, les instituts de formations ont réduit leur capacité d’accueil des étudiants d’au moins un tiers.
Puis, il faut savoir que pour prétendre à une évolution professionnelle dans n’importe quelle filière de soins, l’agent doit justifier d’un certain nombre d’années d’expérience professionnelle et donc avoir un pied ancré dans le monde du travail. Cependant,l’accès à la formation professionnelle se transforme en peau de chagrin puisque désormais il faut s’auto-financer.
Naturellement, contraint et forcé, un grand nombre de professionnel(le)s doivent renoncer à leur désir d’évolution et de spécialisation afin de ne pas tomber dans la précarité.
Ainsi on assiste à une pénurie provoquée, et bien que les départs massifs en retraite de la génération du baby-boom soient anticipables, l’hôpital ne forme plus leurs potentiels remplaçants.
Baisse d’embauche de fonctionnaires au profit de CDD
Les coupes franches dans la masse salariale hospitalière provoque aussi la précarisation des emplois déjà les plus dévalués tel que ceux des agents hospitaliers et aides-soignants.
Désormais embauchés en CDD, ceux-ci n’ont accès à aucun des maigres avantages sociaux, tels que la demande de logement social, l’accès au comité d’entreprise et de nouveau, bien évidemment, la formation professionnelle. De plus, la menace constante du non renouvellement de leur contrat en fait du personnel corvéable à merci.
Les conséquences portent également sur leur vie personnelle et familiale : pas d’accès au crédit immobilier, logement éloigné à cause des loyers exorbitants par rapport aux salaires de misère, temps de transport interminable. Ainsi, on passe plus de temps à aller au travail et à l’exercer que de pouvoir s’occuper de soi et de sa famille. Et bien évidemment, ces démissionnaires parentaux ne manqueront pas d’être montrés du doigt par les instances....
Conséquences et massacre d’une profession
Le manque de personnel est chronique alors que la charge de travail physique et mentale ne cesse d’augmenter, surcharge accentuée par la mobilité actée des agents entre services d’un même établissement et désormais s’instaurant entre établissements.
Les soignants, privés de maîtrise sur leur organisation, ne peuvent s’investir dans les missions transversales logistiques et organisationnelles, alors que se multiplient les traçabilités des contrôles qualités et sécurité.
Enfin, la part invisible de ces réformes et sans doute la plus inquiétante porte sur la reconfiguration des pratiques professionnelles.
Pour répondre à l’augmentation de la charge de travail malgré la pénurie de personnel,la prise en charge des patients se fait désormais essentiellement en fonction de protocole, vendus comme censés autonomiser les professionnels de santé.
La réalité est tout autre :
La standardisation des pratiques professionnelles empêche la collaboration entre les différents acteurs hospitaliers, chacun ayant un rôle clairement définit pour répondre au plus juste à l’activité. Par conséquent, les différents personnels de santé sont astreints à ce cadre dont ils ne peuvent sortir faute de temps.
Ainsi, les médecins n’ont plus le temps de répondre aux demandes des infirmièr(e)s qui tentent encore d’offrir une prise en charge individualisée aux patients. Le devoir de réflexion des professionnels lié à leur rôle propre n’a plus lieu d’être, il devient même un obstacle au fonctionnement de ces organisations standardisées.
On attend d’un soignant qu’il soit un exécutant docile produisant du soin selon un schéma défini, alors qu’il s’avère que s’astreindre à un modèle engendre une perte notoire de compétences et limite le devoir de réflexion.
Si bien que les professionnels les plus expérimentés bravent ces consignes au péril de leur statut, trop conscients de la mise en danger des patients alors que les jeunes recru(e)s s’astreignent à ce modèle de travail qu’ils(elles) viennent d’assimiler.
Pour tenir le coup face à cette cadence de travail,il faut désormais rompre la relation avec le patient et leur famille faute de temps. Il faut supporter le ressenti de devenir maltraitant, de dénigrer ses valeurs, celles qui amènent à s’orienter vers les professions de la santé. Les prétendants à la fonction,motivés par les représentations sociétales de la profession, se heurtent si violemment à la réalité qu’un nombre de plus en plus croissant renoncent à s’inscrire dans cette voie.
Le modèle de travail s’apparente désormais au néo taylorisme : consignes, mode d’emploi, traçabilité.
Les soignants perdent la reconnaissance :
des patients frustrés car mis dehors à peine arrivés,
de leur hiérarchie qui leur demande de ne plus réfléchir,
de l’institution qui s’acharne à casser l’outil de travail.
D’où la souffrance au travail...
Le temps accordé aux traçabilités remplace celui qui l’était aux patients.
Basée sur des logiques économiques avec des objectifs de rendements, l’orientation impulsée par les instances dirigeantes se heurte aux valeurs et aux représentations qu’associent les soignants à leur travail, les privant de leur identité professionnelle.
Après vingt ans de réformes antisociales, l’hôpital est dans l’incapacité de subvenir aux besoins de sa population.
Les suites de la canicule n’étaient pas un accident, mais un signal d’alerte révélant les conséquences palpables de cette politique d’austérité.
Pendant l’été 2019, la situation des hôpitaux de Strasbourg et Mulhouse était déjà jugée « critique » : manque d’effectifs, de lits, de matériel, et pénurie de médecins. A Mulhouse, la direction du groupe hospitalier a même fait appel à la réserve sanitaire pour pallier la pénurie de médecins.
Cet hiver, les hôpitaux pédiatriques de la région parisienne et intramuros étaient tellement saturés que des enfants relevant de la réanimation étaient déjà transférés à Rouen, Lille, Orléans...
Il n’aura fallu qu’un virus ...